Avocate de combats

lemonde caroline mecary

Spécialiste des droits des homosexuels, Caroline Mécary élargit son champ d’intervention. Elle plaide désormais dans les enceintes politiques et s’est présentée sur la liste Europe Ecologie dans le Val-de-Marne

Anne Chemin

Elle a longtemps tourné autour de la politique sans y toucher vraiment, défendant les sans-papiers de Saint-Bernard (1 996), rédigeant l’argumentaire juridique des mariés de Bègles (2004), bataillant inlassablement pour construire une jurisprudence sur l’homoparentalité. Mais, à l’automne, Caroline Mécary a décidé de franchir le pas : elle a accepté de figurer en bonne place sur les listes d’Europe Ecologie pour les élections régionales. « J’avais envie de plaider en faveur du changement, non plus devant un tribunal, mais dans une enceinte politique », explique-t-elle dans un sourire.

Silhouette gracile, cheveux courts, oeil vif, Caroline Mécary est née, il y a quarante-six ans, d’une « conjonction improbable » : un père libanais qui lisait les paraboles des Evangiles, le soir, à ses enfants, et une mère issue de la petite-bourgeoisie de province « presque aussi jolie que Brigitte Bardot ». Boulos El Mekari, qui deviendra Paul Mécary après sa naturalisation, en 1968, est un chrétien maronite élevé dans un collège religieux de Tripoli. « Il était très imprégné de culture libanaise, mais il ne parlait jamais arabe à la maison, raconte sa fille. Il avait une volonté de rupture avec le Liban. »

Caroline Mécary, qui est l’aînée de cinq enfants, apprend vite que, dans sa famille, les filles n’ont pas les mêmes droits que les garçons : ses frères peuvent aller et venir en toute liberté, alors qu’il lui faut aider sa mère, ranger sa chambre et s’occuper des petits. « J’ai ressenti d’emblée une différence de traitement que je ne comprenais pas, explique-t-elle. Et j’en ai gardé une sensibilité extrême à l’injustice et aux inégalités ! Rien n’était imposé à mes frères, alors que mon destin à moi était tout tracé : une fille, c’est évidemment fait pour se marier et avoir des enfants. »

Quarante ans plus tard, Caroline Mécary n’a ni mari ni enfants. « On se construit par opposition ! », plaisante-t-elle. Mais cette enfance franco-libanaise lui a laissé le goût de l’effort et, surtout, un grand sens des responsabilités : sa petite soeur meurt alors qu’elle a 10 ans, et son père alors qu’elle en a 13. « Ce jour-là, nous avons perdu le pilier de la famille, raconte-t-elle. Nous sommes brusquement passés d’un univers de sécurité au chaos. » En tant qu’aînée, Caroline Mécary doit seconder sa mère, une artiste peintre qui peine à se remettre de la mort brutale de son mari.

L’adolescente trouve son salut à l’école, un monde où l’avenir lui semble plus ouvert. Peu après la mort de son père, son professeur de français lui glisse un jour qu’elle devrait devenir avocate : Caroline Mécary ne sait rien du barreau, mais le cap est fixé, même s’il n’est pas évident. « Elle n’appartient pas à une dynastie d’avocats, précise son amie Françoise Rossignol, ophtalmologiste à Paris. Il a fallu qu’elle se fabrique elle-même, car rien ne lui avait été donné. Caroline est un bourreau de travail, elle a beaucoup de caractère, elle y est arrivée. »

Passionnée de karaté – elle est ceinture noire -, Caroline Mécary se spécialise peu à peu dans la propriété littéraire et artistique tout en défendant les sans-papiers de Saint-Bernard ou les homosexuels victimes d’agressions. « Elle est très entière, très engagée, parfois même excessive !, souligne Vincent Vigneau, un conseiller référendaire de la Cour de cassation qui la connaît depuis leurs études à Nanterre. Mais il est toujours très agréable d’être en désaccord avec elle, parce qu’elle est aussi très ouverte. Parfois, je la provoque juste pour le plaisir de la discussion ! »

Cet engagement, Caroline Mécary le met peu à peu au service de l’égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels. En 1997, elle organise le premier colloque du barreau de Paris sur le droit et l’homosexualité, publie dans la foulée un « Que sais-je ? » sur les droits des homosexuels et commence à travailler avec les associations. « Comme la loi ne reconnaît pas les familles homoparentales, il a fallu créer de la jurisprudence, précise Eric Garnier, le président d’honneur de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens. Elle a défendu ses dossiers un par un, et elle a fini par faire bouger les lignes. »

Caroline Mécary s’attelle à ce travail avec le sérieux qu’elle met en toute chose. « Une fois le boulot fini, elle aime bien rire, mais, pendant le travail, c’est rigueur-rigueur ! », sourit Eric Garnier. En 2004, Caroline Mécary, qui défend un couple d’homosexuelles et leurs trois filles, obtient la première reconnaissance juridique d’une famille homoparentale : les enfants portés par l’une sont adoptés par l’autre, tandis que l’autorité parentale est partagée entre les deux « mères ». Quatre ans plus tard, elle fait condamner la France pour discrimination par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg : le conseil général du Doubs avait refusé un agrément à une homosexuelle qui souhaitait adopter un enfant.

Lorsque Noël Mamère cherche un juriste pour rédiger l’argumentaire de ce qui deviendra, à Bègles, le premier mariage homosexuel français, il se tourne tout naturellement vers Caroline Mécary. Après avoir assisté à ce « joli moment », l’avocate défend le mariage gay devant la justice française, puis la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. « Les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, la Suède, la Norvège et la Grande-Bretagne ont reconnu le mariage homosexuel et le Portugal est en train de le faire, remarque-t-elle. Qu’attend la France pour faire de même ? »

Parce qu’elle voulait élargir son horizon, Caroline Mécary est devenue en 2009 présidente de la Fondation Copernic, un think tank qui tente de « remettre à l’endroit tout ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers ». « On connaissait son combat contre les discriminations et on s’est dit qu’une ouiiste affirmée au traité de Maastricht comme elle, qui arrivait à diriger une fondation noniste comme Copernic, avait forcément une grande aptitude à la tolérance et beaucoup de tempérament ! », explique l’ancien député européen Alain Lipietz, qui lui a proposé de rejoindre Europe Ecologie.

Au vu des résultats du premier tour, Caroline Mécary a de grandes chances de devenir, le 21 mars, conseillère régionale du Val-de-Marne. « Dans le monde politique, elle est un peu un ovni, car elle est désintéressée, affirme le sociologue Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic. Au sein de la gauche de gauche, elle incarne une gauche de solutions, pas une gauche d’indignation. Elle veut montrer que le changement est possible. »

Si elle est élue, Caroline Mécary partagera son temps entre son cabinet et le conseil régional, un arrangement dont elle a longuement discuté avec celle qu’elle appelle en plaisantant son « mari ». « Il s’appelle Fleur », conclut-elle dans un sourire.

Parcours

  • 1963 Naissance à Paris.
  • 1977 Mort de son père.
  • 1991 Prestation de serment au barreau de Paris.
  • 2004 Avocate des mariés de Bègles.
  • 2009 Présidente de la Fondation Copernic.
  • 2010 Candidate sur la liste Europe Ecologie dans le Val-de-Marne.

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