Une porte entrouverte à la reconnaissance de l’homoparentalité

La Cour de cassation a rendu, jeudi 8 juillet, un arrêt par lequel elle admet un lien de filiation entre un enfant et la compagne de sa mère biologique. En ordonnant l ‘exequatur – c’est-à-dire la reconnaissance juridique sur le sol français – d’une décision prise plus tôt par un tribunal américain en faveur d’une certaine Mme B., la Cour laisse entendre qu’un enfant peut avoir juridiquement deux parents du même sexe.

Quelle est la portée de cette décision ? Les juristes que nous avons interrogés sont unanimes : cet arrêt constitue un « appel d’air » , une « brèche » , une « porte ouverte » . « Jusque-là, la justice considérait l’homoparentalité comme contraire à l’ordre public. Aujourd’hui, cela ne pose plus de problème » , lance même Daniel Borrillo, maître de conférences en droit privé à l’université Paris X-Nanterre et spécialiste du droit des homosexuels.

« Cet arrêt vient de faire sauter un verrou constitutionnel » , s’enthousiasme Me Caroline Mecary, l’avocate des deux femmes. « La plus haute juridiction française dit enfin qu’un enfant peut avoir deux parents du même sexe » , et ce dans « toute situation similaire » à celle tranchée par la Cour de cassation : c’est-à-dire dans le cadre d’un couple binational, ayant adopté à l’étranger et désirant faire reconnaître en France l’adoption par le second parent. Etats-Unis, Canada, Afrique du Sud, Belgique, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Islande, Suède et Danemark autorisent déjà l’adoption conjointe par les couples homosexuels.

UN ARRÊT À LA PORTÉE LIMITÉE

D’autres arrêts devraient donc suivre celui-ci. Caroline Mécary confie avoir « un certain nombre de dossiers du même type » à défendre. Des demandes de Français vivant à l’étranger, en attente depuis 2007. Cet arrêt peut-il accélérer les démarches ? « Pas vraiment. Les juges de première instance, c’est-à-dire les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, ne sont pas obligés d’arbitrer dans le même sens. Il faudra alors aller jusqu’à la Cour de cassation pour obtenir une réponse positive » , nuance l’avocate.

Des dizaines de milliers de couples homosexuels seraient concernés par l’adoption en France. Parmi eux, seule une petite minorité de couples binationaux pourraient bénéficier de cette jurisprudence. « Mais peu importe le nombre » , plaide Caroline Mécary. « L’accouchement sous X ne concerne que 500 enfants par an, et pourtant il existe une loi. »

« Pour l’instant la portée de cet arrêt est limitée, car il s’agit d’un seul cas. La portée deviendra politique si d’autres suivent » , confirme Daniel Borrillo. Ou si le législateur s’empare de ce domaine. Si l’UMP reste fermement opposée à l’adoption homosexuelle, le Parti socialiste et les Verts se montrent plus ouverts. Pour l’enseignant , « une alternance en 2012 pourrait donner lieu à une loi » .

« UNE ÉVOLUTION LÉGISLATIVE ENVISAGEABLE »

Avocate habituée des questions d’homoparentalité, Véronique Levrard semble optimiste. « Les limites commencent à être repoussées, la porte a été entrouverte. Une évolution législative est envisageable. » Reste donc à confirmer avec d’autres décisions. Dans son cabinet, les cas de couples homosexuels sont de plus en plus courants. Elle relève pourtant sur son blog que la Cour de cassation « souffle le chaud et le froid » : le même jour, les juges ont en effet refusé une demande de délégation de l’autorité parentale à un autre couple homosexuel.

« La Cour de cassation est hypocrite » , accuse le porte-parole de l’Inter-LGBT (Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans), Vincent Loiseau. « Elle accorde des droits à un couple binational, mais ne donne pas les mêmes à un couple français. » Les obstacles subsistent alors que 57 % des Français sont favorables à la reconnaissance de la famille homoparentale, selon un sondage BVA de novembre 2009.

LEMONDE.FR Marianne Rigaux