Faut-il reconnaître les familles homoparentales

Faut-il reconnaître les familles homoparentales ?

Combien d’enfants sont concernés en France ? Que sait-on sur leur développement ? Où en est la législation ailleurs en Europe ?

Décodage

Ils ont grandi dans un monde où l’homosexualité n’était plus un délit, ils peuvent s’unir en toute légalité depuis la création du pacte civil de solidarité (pacs), mais il leur reste encore un univers à conquérir, celui de la parentalité. Alors que, dans les années 1970 et 1980, la plupart des couples homosexuels s’interdisaient de fonder une famille, ceux qui se forment aujourd’hui rêvent de devenir parents. Ils étaient des centaines de milliers à le dire, samedi 26 juin, lors de la Marche des fiertés, qui a demandé, comme tous les ans, la reconnaissance juridique des familles homoparentales.

Forgé en 1997 par l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), le terme d' » homoparentalité  » est entré dans Le Robert en 2002. Ce mot désigne à la fois les lesbiennes qui partent en Belgique pratiquer des inséminations artificielles avec donneur, les gays qui reviennent des Etats-Unis avec des enfants nés de mères porteuses ou les homosexuels qui adoptent des bébés en passant sous silence leur vie de couple. Il fait également référence aux  » coparentalités « , ces couples d’hommes et de femmes qui s’associent pour élever à quatre leurs enfants.

De 24 000 à 250 000 enfants concernés Combien d’enfants sont aujourd’hui concernés par l’homoparentalité ? Nul ne le sait avec précision puisque la question n’est jamais directement posée dans les enquêtes. En 2005, Patrick Festy, de l’Institut national des études démographiques (INED), aboutissait à un chiffre allant de 24 000 à 40 000 enfants, mais il ne prenait en compte que ceux qui vivaient avec un couple de même sexe dans le même logement. L’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens arrive, elle, au chiffre de 250 000 enfants en se fondant notamment sur un sondage réalisé par le magazine Têtu en 1997.

Ces familles homoparentales qui essaiment depuis une vingtaine d’années dans l’ensemble de l’Europe ne font pas l’unanimité. Pour la philosophe Sylviane Agacinski ou le psychanalyste Jean-Pierre Winter, l' » homoparenté  » efface un principe essentiel qui gouverne la filiation depuis toujours : la différence des sexes.  » Qu’est-ce qui différencie un couple homosexuel d’un couple hétérosexuel ?, résume ainsi M. Winter dans Homoparenté (Albin Michel, 224 p., 18 euros). C’est le déni de ce qu’il a fallu la différence des sexes pour faire un enfant.  »

Les partisans de l’homoparentalité leur opposent les études effectuées sur le devenir des enfants nés dans des familles homoparentales. Lors d’un débat organisé en 2007 à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Olivier Vécho, maître de conférences en psychologie à Paris-X, avait analysé 44 recherches sur ce sujet, effectuées pour moitié en Europe, pour moitié aux Etats-Unis et au Canada.  » Les conclusions de ces travaux sont loin d’être alarmistes. Ils ne vont ni mieux ni moins bien que les autres « , concluait-il.

Identité sexuée solide Ces études conduites auprès d’enfants, d’adolescents mais aussi d’adultes montrent que les personnes élevées dans des familles homoparentales ne deviennent pas plus souvent homosexuelles que les autres, que leur identité sexuée est aussi solide que celle des autres et que leurs comportements sexués – Ont-ils des amis filles ou garçons ? Choisissent-ils des jeux associés au féminin ou au masculin ? – sont semblables à ceux des autres. En revanche, ces enfants affichent parfois une certaine inquiétude face au regard d’autrui.

Leur situation n’est pas toujours confortable, y compris aux yeux de la loi. Dans les familles homoparentales, l’un des parents est reconnu par le droit : c’est le cas, par exemple, de la mère qui a porté l’enfant en cas d’insémination artificielle, du père qui a donné son sperme en cas de gestation pour autrui ou du parent qui a fait les démarches en cas d’adoption. Leurs compagnons ou leurs compagnes n’ont, en revanche, aucune existence juridique : aux yeux de la loi, ils n’ont aucun lien avec l’enfant.

Pour Vincent Loiseau, le porte-parole de l’Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans (Inter-LGBT), qui organise tous les ans la Marche des fiertés, cet effacement du  » parent social  » est contraire à l’intérêt de l’enfant.  » Aux yeux du droit, l’un des deux parents ne peut pas inscrire son fils ou sa fille à la crèche, autoriser une opération chirurgicale, choisir son école ou partir en vacances à l’étranger avec lui. Si le parent légal décède ou si le couple se sépare, la situation peut devenir dramatique : il peut perdre de vue cet enfant qu’il considère pourtant comme le sien.  »

Insécurité juridique et débat politique Pour pallier ces difficultés, Ségolène Royal, alors ministre de la famille du gouvernement Jospin, a, en 2002, inventé les délégations-partages de l’autorité parentale. Ce texte ne crée aucun lien de filiation entre l’enfant et son  » second parent « , mais il prend acte des relations qui se tissent, jour après jour, au sein de ces nouvelles familles. Choix éducatifs, voyages à l’étranger, autorisations médicales : le juge peut désormais partager l’exercice de l’autorité parentale entre le parent légal et son compagnon ou sa compagne.  » Cette loi n’est qu’un premier pas, mais elle constitue une réelle avancée « , souligne le porte-parole de l’APGL, Philippe Rollandin.

Le partage de l’autorité parentale a cependant ses limites : il prend fin au 18e anniversaire de l’enfant et il ne permet de transmettre ni son nom ni ses biens. Le texte de 2002 est en outre très diversement appliqué par la justice.  » La plupart des demandes finissent par aboutir, mais certains juges demeurent très réticents : ils refusent les requêtes sans raison, parfois par simple méconnaissance de la loi, souligne l’avocate Caroline Mécary. Cette insécurité juridique n’est pas acceptable.  »

Une réforme enterrée Pour faciliter la vie quotidienne de ces nouvelles constellations familiales, Nicolas Sarkozy avait donc promis, pendant la campagne électorale, de créer un statut pour tous les  » tiers  » qui accompagnent la vie d’un enfant – beaux-parents ou homoparents.  » Qui peut nier la réalité des liens affectifs qui peuvent se créer entre un enfant et le conjoint de son parent biologique ? interrogeait-il en février 2009. Je souhaite reconnaître ces liens particuliers par la création d’un statut des beaux-parents et, plus largement, des tiers qui vivent au domicile d’enfants dont ils ne sont pas les parents.  »

Le projet de loi présenté un an plus tard par la secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano, se contentait de simplifier les procédures de partage de l’autorité parentale, mais il a déclenché un véritable tollé au sein de la majorité : Christine Boutin, alors ministre du logement, avait vivement dénoncé cette  » reconnaissance détournée  » de l’homoparentalité. Pour désamorcer la grogne des députés, le gouvernement avait été obligé de confier une mission de conciliation à Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes).

Que deviendra ce texte ? Le secrétariat d’Etat à la famille affirme que le projet n’est pas abandonné mais que, en raison de l’embouteillage législatif, il ne sera sans doute pas présenté en conseil des ministres avant… fin 2011.  » En réalité, il est enterré, regrette Philippe Rollandin. Ni le gouvernement ni l’Elysée ne souhaitent qu’il sorte. Ils ont fait une croix dessus.  » Ce débat pourrait cependant ressurgir pendant la campagne présidentielle de 2012 : le Parti socialiste s’est en effet engagé à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels.

Anne Chemin