Quand la Cour de Cassation prive un enfant de sa mère: observations sur les arrêts du 5 juillet 2017

La question posée à la Cour de cassation était de savoir comment l’état civil français doit transcrire l’état civil étranger des enfants nés par GPA.

L’état civil étranger des enfants nés par GPA peut être le résultat de différentes configurations:

Lorsque la GPA est réalisée pour un couple hétéro, ce sont les parents dits « d’intention » qui figurent sur l’acte de naissance; même si dans le processus de procréation médicalement assisté l’enfant peut avoir été conçu à partir des gamètes de ses deux parents d’intention ou d’un seul –ici il y aura un don de sperme ou d’ovocyte; et, dans certain cas, un double don de sperme et d’ovocyte.

Pour les couples d’hommes, l’acte de naissance peut être établi au nom de l’un des hommes et de la femme qui a accouché; il peut aussi être établi au nom d’un seul homme et enfin il peut aussi être établi au nom des deux hommes (quant aux modalités de procréation tout est possible comme pour les couples hétérosexuels).

Sur le plan du droit, l’enfant a légalement pour parents les personnes qui figurent sur l’acte de naissance étranger et uniquement ces derniers.

La question posée à la Cour de cassation est de savoir comment l’état civil français doit prendre en compte ces indications d’état civil étranger. Par une décision du 5 juillet 2017, la Cour a opté pour une transcription partielle dans la seule branche paternelle, amputant du même coup la branche maternelle[1]. Cette « solution » aboutit à ce que l’enfant ait légalement deux parents dans le pays où il est né, et un seul en France. L’intérêt supérieur de l’enfant y trouve-t-il son compte? A l’évidence non.

La Cour de cassation vient de refuser la transcription complète de l’acte de naissance étranger en ces termes « Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité est [celle] de l’accouchement ».

Pour cette demi-mesure, la Cour de cassation lanterne depuis treize ans et a même abouti à ce que la France soit condamnée par la Cour européenne pour avoir méconnu l’intérêt de l’enfant.

Ainsi en 2011, la Cour cassation a reconnu que l’acte de naissance étranger établissait la filiation tant maternelle que paternelle; mais elle a refusé la transcription de cet acte au nom de la théorie de la fraude à la loi[2]. En 2013, elle a confirmé sa position allant jusqu’à affirmer dans un attendu de « principe » (ce qui ne veut pas dire qu’il est juste): « qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3§1 de la convention internationale des droits de l’enfants, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne sauraient être invoqués ».

L’arrêt de 2011 a donné lieu à la première condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2014 qui a jugé que le refus de transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA est une violation de sa vie privée[3]. L’arrêt de 2013 va lui aussi faire l’objet d’une condamnation identique en 2016 toujours par la Cour européenne[4]. En 2015[5] la Cour de cassation a abandonné la théorie de la fraude à la loi et a jugé que le fait d’avoir eu recours à la GPA ne devait pas empêcher la transcription de l’acte de naissance étranger à la condition que ce dernier soit conforme à la « réalité »…[6]

Ah la « réalité », ce petit mot qui marque l’opposition de la Cour de cassation à l’égard de ces couples qui ont le désir de fonder une famille et qui pour cela vont à l’étranger dans les pays ou la GPA est légale. Car c’est au nom de cette « réalité » que la Cour de cassation vient de refuser la transcription complète de l’acte de naissance étranger en ces termes « Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ». Ainsi la femme qui figure comme mère sur l’acte de naissance étranger est effacée (alors même que l’enfant n’a et n’aura jamais d’autre mère que celle qui est sur son acte de naissance).

Cette conception est contraire au droit des pays qui ont légalisé la GPA, qui reconnaissent que la femme qui accouche peut ne pas être celle qui apparaît à l’état civil.
Cette conception est contraire aux faits et au droit des pays qui ont légalisé la GPA, qui reconnaissent que la femme qui accouche peut ne pas être celle qui apparaît à l’état civil. A ceux qui approuvent ce déni, il faut rappeler que l’intérêt supérieur de l’enfant passe AVANT tous les autres comme le dit très clairement le Comité des droits de l’enfant[7].

En droit la Cour aurait pu faire un autre choix car la « réalité » de l’article 47 du Code civil est une réalité juridique et non pas une « réalité » biologique.

C’est la réalité juridique qui permet de transcrire l’acte de naissance étranger d’un enfant adopté par un couple de Français puisque sur l’acte de naissance d’un enfant adopté est portée la mention de ses deux parents adoptifs qui ne sont JAMAIS les parents biologiques; pas la « réalité » biologique.

C’est la réalité juridique qui permet d’établir un acte de naissance aux noms d’une femme et d’un homme ayant eu recours à la PMA avec tiers donneur, voire y compris avec un don d’embryon; pas la « réalité » biologique.

La position de la Cour de cassation loin de résoudre toutes les situations que l’on peut rencontrer dans la « réalité » (la vraie) va compliquer la vie des enfants. Quid par exemple de ce couple de femmes qui a eu un enfant par PMA en Belgique ou au Royaume-Uni ou encore à Québec? Dans ces pays, l’acte de naissance de l’enfant est, dès sa naissance, établi au nom des deux femmes engagées dans le processus de PMA. Est-ce que celle qui n’a pas accouché va devoir adopter son enfant? Et que va dire par exemple la Belgique, membre de l’UE, si la France ne reconnait pas ses actes de naissance, alors même que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne lui en fait obligation depuis un arrêt du 2 décembre 1997 [8]?

La Cour de cassation punit les « vilains » parents qui ont eu l’audace d’un voyage pour réaliser leur désir de fonder une famille.

La Cour de cassation, en feignant de confondre réalité juridique et biologique n’a pas seulement renoncé au droit, elle a fait un choix politique qu’elle exprime en ces termes: « Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ».

Pour la Cour l’intérêt de l’enfant serait d’avoir la transcription de son acte de naissance à l’égard de son seul père plutôt qu’à l’égard de ses deux parents?! La Cour se paye de mots à tel point qu’ils en perdent leur sens. Et voilà que l’on découvre la Cour de cassation protectrice de la mère porteuse étrangère qui n’a rien demandé; elle n’est même pas dans la cause car elle a renoncé volontairement à tout droit et devoir sur l’enfant qu’elle a porté, conformément à sa loi nationale, et qui n’a même jamais été sur l’acte de naissance de l’enfant.

Cette conception paternaliste du droit fait fi de l’intérêt réel et concret de l’enfant que l’on ampute de sa filiation maternelle. La Cour a choisi l’intérêt d’une femme qui n’est pas dans la cause contre l’intérêt réel et concret de l’enfant. Elle a préféré une « réalité » politique, d’une morale obsolète contraire aux faits, à la réalité juridique et concrète. La Cour de cassation punit les « vilains » parents qui ont eu l’audace d’un voyage pour réaliser leur désir de fonder une famille.

Mais la Cour ne pouvait pas totalement faire comme s’il n’y avait pas d’enfant; alors par un autre arrêt du même jour, elle a validé la possibilité d’adopter l’enfant du conjoint même si l’enfant a été conçu par GPA[9]. La combinaison de ces deux décisions impose à tous les couples qui ont eu recours à la GPA d’en passer par l’adoption pour celui/celle qui n’est « apparemment » pas le parent biologique et quand bien même l’enfant a sur son acte de naissance deux parents.

Accepter la transcription complète de l’acte de naissance étranger aurait été simple, conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, conforme aux engagements internationaux de la France.

Toutes choses apparemment secondaires.

La Cour a tranché, n’est pas Salomon qui veut!

[1] Arrêt n°825 du 5 juillet 2017, pourvoi 16-16901&16-50025

[2] Arrêt du 6 avril 2011 ; pourvois n°10-19.053, 09-17130 et 09-66486).

[3] 26 juin 2014 Mennesson et Labassée

[4] 21 Juillet 2016 Foulon et Bouvet qui sera suivie d’une nouvelle condamnation de la France pour les mêmes raisons le 19 janvier 2017 Laborie

[5] Arrêts du 3 juillet 2015, pourvois n°14-21323 et 15-50002

[6] L’article 47 du Code civil dispose que: « Tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant, après toute vérification utile, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

[7] Le Comité des droits de l’enfant a précisé, dans une observation générale de 2013, que: « L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale lors de l’adoption de toutes les mesures de mise en œuvre. L’expression ‘doit être’ impose aux États une obligation juridique stricte et signifie qu’ils n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu ou non d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant et de lui attribuer le poids requis en tant que considération primordiale dans toute mesure qu’ils adoptent. L’expression ‘considération primordiale’ signifie que l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut pas être mis sur le même plan que toutes les autres considérations. »

[8] CJCE, 2 décembre 1997, Eftalia Dafeki contre Landesversicherungsanstalt Württemberg, affaire C-336/94

[9] Arrêt n°826 du 5 juillet 2017, Pourvoi 16-16455