PMA: l’ouverture à toutes les femmes renvoyée en 2018
Louise Fessard
Paris – La ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a renvoyé à fin 2018 (révision de la loi de bioéthique) l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. La voie est libre pour la mobilisation des opposants, redoutent les associations féministes et LGBT.
Promise depuis 2012, l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) – dite aussi assistance médicale à la procréation (AMP) – aux couples de lesbiennes et aux femmes seules est une énième fois repoussée. La ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a estimé mardi 11 juillet que « la société française [était] prête » à cet élargissement à toutes les femmes. Mais elle a renvoyé le sujet aux états généraux prévus en 2018 en vue de la révision de la loi de bioéthique.
« Nous allons voir quand il convient d’ouvrir ce sujet, sachant que fin 2018 nous devrons de façon systématique rouvrir les lois de bioéthique , a déclaré Agnès Buzyn sur France Inter . Donc, il est probable que cette discussion aura lieu lors des états généraux de la bioéthique, qui se tiendront dans le courant de 2018. » Alors qu’Emmanuel Macron s’était engagé durant la campagne présidentielle en faveur de cette ouverture, sa ministre a refusé de donner sa position. « J’attends de voir ce que donnent les états généraux. Je n’ai pas d’avis personnel à donner sur les sujets de société , a-t-elle poursuivi. Il faut qu’une société soit prête pour avancer. J’attends de voir ce que disent les Français. » « Le Comité consultatif national d’éthique contient en son sein toutes les sensibilités. Donc, s’il a rendu un avis favorable, je pense que la société est prête » , a-t-elle cependant ajouté.
Fin juin, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé pour l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes seules. Aujourd’hui, la PMA, que ce soit par le biais d’une insémination artificielle ou d’une fécondation in vitro , est réservée en France aux couples hétérosexuels pouvant justifier de deux ans de vie commune et souffrant d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie très grave. Considérée comme le traitement d’une pathologie, elle est remboursée par la Sécurité sociale.
Dans La Croix , en mars, le président de la République s’était déclaré « à titre personnel » favorable à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, « au nom de l’égalité hommes-femmes » , tout en affirmant qu’il « attendrait » l’avis du CCNE et « regarderait l’état de la société […] pour agir de manière apaisée » . Le 28 juin, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, souhaitait sur LCI que le passage de la loi se fasse « dans un véhicule législatif qui soit le plus efficace possible et qui permette d’avoir un débat le plus court possible » . « L’idée n’est pas de recrisper la société avec des débats comme ceux qu’on a pu connaître au moment du mariage pour tous, qui ont été peut-être longs, durs et crispants pour la société » , précisait-elle. Elle assurait qu’il n’avait pas encore été décidé si la PMA passerait « dans le cadre de la révision de bioéthique en 2018 ou via une loi à part » .
Ce sont les lois de bioéthique de 1994, révisées en 2004 puis en 2011 , qui limitent l’accès à la PMA aux couples hétérosexuels infertiles sur la base d’une fiction : l’enfant né par PMA doit pouvoir passer pour la progéniture « naturelle » de ses parents. Le texte est régulièrement réexaminé au regard des évolutions des connaissances scientifiques. Un nouvel examen doit avoir lieu en 2018, date butoir du délai légal de sept ans prévu.
À cette occasion, les textes prévoient que le Comité d’éthique organise en amont des états généraux sous forme de « conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité » . « Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations, qui sont rendus publics » , précise la loi. Dans son avis fin juin, le comité d’éthique estimait nécessaire « une consultation citoyenne » en 2018 pour réfléchir à la question du remboursement de la PMA et à ses conséquences sur le don d’ovocytes et de spermatozoïdes, aujourd’hui gratuit et anonyme.
Mais pour les associations féministes et LGBT, échaudées par le recul de l’ex-président François Hollande, le gouvernement devrait légiférer dès cette année. « Puisque la ministre estime que la société est prête, il faudrait une loi avant la fin de l’année 2017 » , demande Joël Deumier, président de SOS homophobie. Depuis 2012, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes a été sans cesse repoussée . D’abord prévue dans la loi sur le mariage des couples de même sexe du 17 mai 2013, cette réforme en a été exfiltrée à deux reprises, puis renvoyée à la loi famille, et enfin suspendue à l’avis du Comité d’éthique, qui a mis quatre ans et demi à se prononcer…
« On nous a baladés durant tout le précédent quinquennat , rappelle Fatima Benomar, cofondatrice de l’association Les Effronté-e-s. Le gouvernement a fait une promesse, il a été élu, il est légitime à légiférer vite pour sortir des familles homoparentales de situation délicates. » Elle prend l’exemple d’un membre du bureau de l’association, « mère sociale » d’un enfant conçu par insémination en Espagne qui a perdu tout droit sur celui-ci quand sa compagne, mère légale, l’a quittée.
« Hollande s’est caché derrière le comité d’éthique, et maintenant le gouvernement continue pour justifier son manque de courage politique, alors qu’il s’agit d’une question de justice sociale, de santé publique et d’autonomie des femmes » , regrette Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Inter LGBT, qui fédère une soixantaine d’associations. Elle estime « bizarre » de reléguer ce choix à un débat public, alors que pour réformer le droit du travail, « bien que la société soit également très divisée, le gouvernement estime qu’il n’y a pas besoin de débat de société et qu’il peut légiférer par ordonnances » .
Le calendrier repoussant à 2018 la réforme est jugé très risqué. « Cela donne toute latitude à la Manif pour tous et aux mouvements conservateurs pour lever des fonds et s’organiser » , s’inquiète Joël Deumier. Avocate de familles homoparentales, Caroline Mécary pointe le précédent de la loi sur le mariage pour tous, dont la présentation tardive en novembre 2012 avait permis une forte mobilisation des opposants et le déchaînement d’une parole homophobe. « Les états généraux risquent d’être pris en otage par les conservateurs , redoute-t-elle. Emmanuel Macron fait le même mauvais calcul que François Hollande, qui, au lieu de déposer le projet de loi dans les 100 premiers jours, avait laissé le temps aux conservateurs de tout bord de fourbir leurs armes. »
Doan Luu, de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), se veut plus optimiste. « Une grande partie de la société française est ouverte à cette réforme, même si un groupuscule de personnes conservatrices, autour de la Manif pour tous, veut réactiver les démons de 2013 , estime-t-il. Tous les voyants sont au vert. Le président s’était positionné pour l’ouverture à toutes les femmes – pas seulement aux couples de lesbiennes – et les députés En Marche! avec lesquels nous avons pu en discuter considèrent qu’il s’agit d’une avancée majeure. »
Les militants considèrent également que cette réforme n’a pas sa place dans un débat public sur l’éthique, puisque la question de fond de la PMA a déjà été tranchée en 1994 pour les couples hétérosexuels. « Il s’agit d’une question d’égalité. Il n’y a pas besoin d’un grand débat public, sauf à avoir une volonté de discriminer en fonction de l’orientation sexuelle, ce qui ne semble pas être la volonté de la ministre » , affirme Joël Deumier, président de SOS homophobie. « Ce n’est pas un droit nouveau, juste son extension aux couples de femmes et aux femmes seules » , estime aussi Fatima Benomar. « C’est une question de discrimination et d’autonomie des femmes, pas de bioéthique » , affirme de son côté Clémence Zamora-Cruz.
Les opposants sont en effet à l’affût. « Ça ne passera pas ! » a aussitôt menacé sur Twitter la Manif pour tous. Le collectif, à l’origine manifestations d’opposition à la loi sur le mariage pour tous, s’appuie sur un sondage commandé à Opinion ways, aux questions très orientées . Il est d’ailleurs contredit par un sondage Ifop publié le 23 juin par France Info . Dans La Croix , Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, association qui milite contre l’avortement et donc contre « la PMA sans père » , disait fin juin être prêt « à redescendre dans la rue avec des Français de toutes les sensibilités politiques et philosophiques, sur la base d’un collectif plus large que celui de la Manif pour tous » . Le président des Associations familiales catholiques (AFC), Jean-Marie Andrès, prévenait lui : « Nous serons de plus en plus mobilisés ces prochains mois. »
Ces oppositions se rencontrent au sein même de la justice. Le 22 septembre 2014, la Cour de cassation a validé l’adoption d’enfants nés à l’étranger par insémination artificielle avec donneur. Elle a estimé que le recours à la PMA à l’étranger par un couple de lesbiennes « ne faisait pas obstacle à ce que l’épouse de la mère puisse adopter l’enfant ainsi conçu » . Malgré cela, certaines juridictions s’obstinent à ne pas reconnaître ce droit. Le 29 juin 2017, le tribunal de grande instance de Versailles a ainsi refusé, pour deux couples de lesbiennes, l’adoption de l’enfant par la conjointe, au nom d’une hypothétique reconnaissance de l’enfant par le père.
Dans sa décision, le tribunal argue que « l’existence d’un père identifiable, autre qu’un donneur anonyme dans le cadre d’une PMA interdite par la loi, est donc probable » et qu’autoriser l’adoption « reviendrait à interdire au père de faire reconnaître juridiquement sa paternité biologique et le priverait d’un droit auquel il ne peut renoncer » . « Toutes les conditions pour l’adoption étaient pourtant réunies : l’enfant a un lien de filiation uniquement avec sa mère (pas de reconnaissance de paternité), les deux femmes sont mariées, la mère a donné son consentement, et c’est dans l’intérêt de l’enfant » , dit Caroline Mécary, l’avocate des deux familles.