PMA : Après l’éthique, au tour des politiques

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Le Comité national d’éthique s’est dit mardi favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. Mais reste opposé à l’autoconservation des ovocytes et à la GPA. Cet avis étant consultatif, encore faut-il que le gouvernement s’en saisisse.

Eric Favereau; Catherine Mallaval

Après quatre années d’attente, dont plusieurs mois à respirer l’air confiné, voire irrespirable, de la Manif pour tous et de ses sympathisants, enfin une bouffée d’oxygène. Mardi, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), saisi par un François Hollande alors pris dans la tourmente du mariage et de l’adoption pour tous, a fini par rendre son avis «sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation». Les dossiers à examiner et «trancher» étaient nombreux. Au menu : l’ouverture ou non des techniques de PMA à toutes les femmes, mais aussi la possibilité pour celles qui procréent de plus en plus tard de prendre une petite «assurance fertilité» en congelant leurs ovocytes quand elles sont jeunes. Sans oublier la sulfureuse GPA, interdite en France depuis 1994.

Bilan ? Les couples de lesbiennes qui manifestaient encore le week-end dernier pour avoir le droit de bénéficier, elles aussi, d’une assistance médicale (précisément un don de sperme) pour devenir mères, ont enfin été entendues. De même que les femmes célibataires. Oui, l’avis rendu ce mardi par les sages du Comité désormais présidé par Jean-François Delfraissy (en remplacement de Jean-Claude Ameisen) est favorable à la PMA pour toutes. Et c’est peu dire que cet avis en a réjoui plus d’un et d’une : du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes à toutes les associations qui défendent les droits des LGBT.

La position adoptée est d’importance, le feu vert fortement symbolique. La PMA (également appelée AMP dans le monde médical) pourrait ainsi répondre désormais à une demande «sociétale», et non plus rester enfermée dans le strict cadre médical des problèmes d’infertilité rencontrés par des couples hétérosexuels.

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Pour autant, l’avis rendu par les sages est une coupe de champagne à moitié pleine. Alors que le comité valide la demande sociale des femmes qui doivent encore franchir les frontières de la France et payer de leur poche pour devenir mères dans des pays aux législations plus ouvertes, il semble comme pris dans un savant jeu d’équilibre (entre ses membres notamment), et se refuse à «recommander» l’autoconservation ovocytaire (c’est-à-dire la congélation personnelle de ses ovocytes). La GPA, quant à elle, reste interdite, bloquée en rase campagne (ou plutôt hors de nos frontières). Le CCNE s’oppose à toute modification de sa prohibition, et donc à toute autorisation. Ses membres se sont même montrés d’une virulence inattendue, en appelant à une abolition mondiale de cette pratique, reprenant ainsi à leur compte le combat de la philosophe Sylviane Agacinski.

«Tout ne s’arrête pas à cet avis», a cependant expliqué mardi en préambule le professeur Jean-François Delfraissy : «Nous avons essayé de mettre en place une méthode de réflexion. Il s’agit, pour nous, de garder toujours un regard sur ce qui se passe. Car le monde de la procréation change, et il change plus vite que notre capacité à le suivre.» Dont acte et décryptage.

PMA pour toutes

Voilà maintenant plus de vingt ans que de nombreuses tentatives ont été lancées pour modifier les conditions d’accès à la PMA en France, en tentant de les assouplir. En vain. Le cadre fixé en 1994 est à l’attention exclusive des couples hétérosexuels qui sont soit confrontés à des problèmes de fertilité, soit susceptibles de transmettre une maladie à leur descendance. Ceux-là peuvent alors bénéficier d’une insémination (avec ou sans donneur), et d’une fécondation in vitro. Avec une prise en charge par l’assurance maladie. Ce modèle a à peine bougé en 2011, quand les couples candidats à une PMA n’ont plus eu besoin d’être mariés. A côté de cette France bloquée, nos voisins européens ont, eux, évolué. L’accès à la PMA s’est ainsi détendu au gré de l’évolution des moeurs, pour sortir du strict cadre de l’infertilité et s’ouvrir aux demandes sociétales : dans onze Etats membres de l’Union européenne, la PMA est accessible tant aux couples lesbiens qu’aux femmes seules. C’est notamment le cas de la Belgique, depuis 2007. Dix ans déjà…

«Pourquoi avons-nous évolué ? a lancé mardi Frédéric Worms, philosophe, et rapporteur du comité sur cette question. Pour trois raisons. La première, c’est la prise en compte, dans nos sociétés, d’une demande forte du principe d’autonomie.» En clair, la demande des femmes existe, elle est là. Et les sages ne voient pas de raisons éthiques de s’y opposer.

En second lieu, pour le CCNE, les techniques d’aide à la procréation comportent certes des risques, mais «ils sont minimes, ne provoquent pas de violence à l’égard d’un tiers [personne n’est lésé, ndlr]». Et enfin, a ajouté Frédéric Worms, la place et les droits de l’enfant ne sont pas en danger. D’où l’ouverture proposée.

Pour autant, celle-ci n’est pas totale. Elle repose sur «trois conditions de faisabilité». «Il ne faut pas que cette ouverture de l’AMP remette en cause un principe essentiel qui est la gratuité des gamètes», a rappelé le philosophe. Car aujourd’hui, tant pour le sperme que pour les ovocytes, c’est le règne de la rareté qui prévaut, avec un risque de marché parallèle, en France ou à l’étranger (où un certain nombre de pays, comme le Danemark, ont jeté le principe de la gratuité par-dessus bord).

Deuxième condition : définir qui va payer. Les sages ne sont pas opposés «à une prise en charge différenciée» entre les couples hétéros et les autres, mais en restant dans le cadre du service public. En somme, les femmes seules ou en couple lesbien pourraient avoir à payer en partie la prise en charge de leur PMA. Mais n’y aurait-il pas là risque de discrimination ? «Si. Il ne peut pas y avoir de régimes différents», tranche d’emblée l’avocate Caroline Mécary, faisant remarquer que la différence entre PMA médicale et sociétale est parfois ténue : «30 % des cas d’infertilité dans les couples hétéros sont inexpliqués. Et n’ont pas de « vrais » fondements médicaux. Pourtant, ils ont droit à la PMA et à une prise en charge.»

Enfin, le CCNE recommande une différenciation de la prise en charge pour les femmes seules et pour les couples de lesbiennes. «Il nous paraît important de ne pas gommer cette différence», a expliqué Frédéric Worms, sans plus de précision. Evoque-t-il un accompagnement différent pour les candidates solitaires ? Cela reste flou.

Infographie BIG

L’autoconservation, c’est non

Retarder son horloge biologique. Geler le temps, ou simplement le prendre, en vitrifiant ses ovocytes à -196 °C dans l’azote liquide. Cette technique dite «d’autoconservation ovocytaire», au point depuis plus de dix ans, permet aux femmes de garder «au frais» leurs précieux gamètes, prélevés lorsqu’elles sont jeunes, pour mieux les retrouver plus tard quand elles ont avancé en âge. Cet acte médical n’est pas banal : il nécessite en effet une stimulation ovarienne à base de médicaments, puis une intervention – la ponction – souvent effectuée sous anesthésie générale.

En France, le recours à cette pratique est très limité par la loi. Elle n’est autorisée que dans deux situations précises : soit lorsque la jeune femme est atteinte d’une maladie ou soumise à un traitement qui peut endommager sa réserve ovarienne, soit lorsqu’elle est prête à faire un don pour une autre femme. Le partage des gamètes se faisant très largement en faveur de la receveuse du don…

Voilà pour le cadre, proche de l’explosion depuis quelques années. De plus en plus de femmes, du moins les mieux informées (et non pas forcément des carriéristes, comme le révèlent nombre d’études sur leurs motivations) souhaitent avoir recours à ce procédé considéré comme une sorte d’«assurance fertilité», à une époque où elles font des études qui peuvent durer, ne rencontrent pas leur «prince charmant» tôt, et où, globalement, tout le monde fait des enfants de plus en plus tard (y compris les hommes).

De façon surprenante, alors que l’Académie de médecine s’est déclarée favorable à l’ouverture de cette technique aux femmes la semaine dernière, plutôt que de les laisser filer dans des pays où cela se pratique, comme l’Espagne, les sages s’y sont opposés. «Nous, nous avons rendu un avis de prudence», a argumenté Frédérique Kuttenn la rapporteuse de cet avis, pointant des dérives commerciales dans les pays qui l’autorisent. Elle a surtout insisté sur le danger pour la femme. «La stimulation ovarienne, puis l’anesthésie, ne sont pas sans risques. En plus, pour beaucoup d’entre elles, cette autoconservation sera inutile, car elles tomberont enceintes naturellement. En outre, on leur propose de conserver leurs ovocytes, sans certitude de succès ni de résultat. C’est pour cela que nous n’y sommes pas favorables.» Et d’avancer encore d’autres arguments, plus particuliers : «Nous recommandons qu’un effort particulier soit consenti par la société pour faciliter la maternité chez les jeunes femmes qui le souhaitent, leur permettant d’allier emploi, évolution de carrière et qualité de vie familiale.» Une autre façon d’encourager les femmes à faire des enfants tôt (il est vrai que la fertilité chute drastiquement après 35 ans), comme le prêchent dans le désert nombre de gynécologues…

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GPA, Pas de débat

Depuis sa création en 1983 par François Mitterrand, le Comité d’éthique a toujours été opposé à la gestation pour autrui, alors baptisée «maternité de substitution». Ce fut même un des tout premiers avis rendus par les sages. Aujourd’hui, on imaginait mal un pas en avant, tant le débat s’est durci sur cette question.

Frédérique Kuttenn, pour expliciter la position du CCNE, a ainsi stigmatisé «le tourisme procréa tif», voire «ces mères que l’on vous vend sur catalogue». Ou encore la situation de ces enfants nés par une GPA, et ensuite abandonnées «car handicapés». Une version bloquée et caricaturale de la GPA. Mais quand on veut pas, on veut pas. Et le CCNE d’enfoncer le clou en affirmant, sans aucune possibilité de débat : «Il ne peut y avoir de GPA éthique.»

Et maintenant ?

On le sait, l’avis des sages est purement consultatif. Reste que l’ouverture de la PMA à toutes faisait partie des propositions du candidat Emmanuel Macron : «Ma conviction personnelle est qu’il faut étendre la PMA, au nom de l’égalité hommes-femmes et du droit à l’accès à une prestation médicale. Mais je respecterai l’avis attendu du Comité consultatif national d’éthique et je regarderai aussi l’état de la société et des débats qui s’y jouent pour agir de manière apaisée.»

Apaisée ? Si la tonne de sondages publiés ces dernières années (depuis les débats sur le mariage pour tous) révèlent une France favorable à la PMA pour toutes, la Manif pour tous est toujours en embuscade, prête à crier très fort (bien au-delà de ce qu’elle représente réellement). Dès mardi, elle montait au créneau en «prévenant» Emmanuel Macron que ce serait une «erreur majeure que de rouvrir ce sujet de la PMA». Reste à savoir, si elle fera aussi peur au nouveau gouvernement qu’au précédent.

En attendant, dans le cas le plus probable où les pouvoirs publics suivraient les recommandations du CCNE, cette ouverture de la PMA interviendra lorsqu’il s’agira de revoir la loi de bioéthique qui encadre cette pratique. «Cette révision, a conclu mardi le professeur Jean-François Delfraissy, est un long processus. Elle va débuter cet été, va durer plusieurs mois, et l’on envisage en 2018 des états généraux qui donneront des indications claires sur la nouvelle loi à venir.» Ensuite, ce sera au Parlement de reprendre la main. A moins d’un coup d’accélérateur…