Peut-on abroger la loi Taubira ?

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PEUT-ON abroger la loi Taubira qui, en mai 2013, a ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe ? Nicolas Sarkozy s’est prononcé en faveur de cette abrogation et de l’instauration de deux régimes de mariage. La perspective d’une réforme divise les juristes.

« Démarier » et « désadopter » . C’est le point qui ne fait pas débat. Au nom du principe de la protection des droits acquis, il ne serait pas envisageable, si abrogation de la loi Taubira il y avait, de mettre fin aux mariages contractés, depuis 2013, entre personnes de même sexe et encore moins aux adoptions issues de ces unions.

Obstacle constitutionnel ? En 1816, la loi Bonald supprime le divorce, que la Révolution française avait autorisé. Il sera rétabli, en 1884, sous la IIIe République… « Ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire. La loi Taubira n’a-t-elle pas modifié le Code civil pour ouvrir le mariage à des personnes de même sexe ? Rien n’interdit une nouvelle modification pour le réserver aux hétérosexuels » , pose Me Geoffroy de Vries, avocat du Collectif des maires pour l’enfance, proche de la Manif pour tous. Selon lui, il n’existe pas d’obstacle constitutionnel. Il en veut pour preuve la décision même du Conseil constitutionnel, en mai 2013, en faveur du mariage gay. « La plus haute juridiction a botté en touche, estimant qu’il s’agissait là du choix du législateur, auquel elle n’avait à se substituer. Elle a jugé que la loi Taubira n’était pas contraire à la Constitution, mais elle avait aussi jugé auparavant que l’absence de mariage homosexuel n’était pas contraire à la Constitution. »

Mais la loi Taubira n’a-t-elle pas instauré un droit ? Est-il possible de revenir en arrière ? Les juristes évoquent de ce point de vue la jurisprudence du Conseil constitutionnel dite du « cliquet » , née en 1984, qui écarte une loi restreignant certaines libertés (par exemple, d’association, de la presse ou universitaire). Question : le mariage gay en ferait-il partie ?

Référendum. Pour Me Caroline Mécary, défenseur des droits des homosexuels, il est « impossible de revenir sur cette liberté fondamentale » . « D’un point de vue technique, un parlement peut défaire ce qu’un autre parlement a fait, mais cela ne passerait jamais devant le Conseil constitutionnel. La seule possibilité d’échapper à sa sanction serait d’organiser un référendum » , explique-t-elle, avant d’ajouter : « Il n’y a jamais eu de retour en arrière sur toutes les grandes réformes de société, comme le droit de vote des femmes, le droit à l’avortement ou l’abrogation de la peine de mort. » Elle met en avant également, en cas d’abrogation, la discrimination à l’égard des citoyens homosexuels. Lesquels n’auraient pas le même traitement juridique que ceux ayant pu se marier et adopter. Une discrimination dont pourrait être saisie la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)

Mariage hétérosexuel et mariage homosexuel. Deux régimes de mariage, l’un « classique » pour les hétérosexuels, l’autre n’incluant pas la filiation pour les personnes de même sexe, sont-ils envisageables ? « Juridiquement, c’est possible. Politiquement, c’est à certains égards présentable, mais ce serait trompeur que d’utiliser ainsi le mot « mariage » » , estime Geoffroy de Vries. « Mettre en place deux mariages aboutissant à deux traitements différents en fonction de l’orientation sexuelle des personnes serait discriminatoire » , juge pour sa part Caroline Mécary, qui lance : « Et pourquoi pas un mariage pour les Franco-Français ? » Revenue ce week-end au centre des débats, la loi Taubira n’en finit pas de poser des questions juridiques.