Noël Mamère, en dépit des obstacles, s’obstine à célébrer le premier mariage gay
Après les doutes sur la domiciliation du couple, des soupçons sur un bail antidaté. « Rien ne m’arrêtera », répond le maire
Jean-Baptiste de Montvalon
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BÈGLES (Gironde) de notre envoyé spécial – Sauf événement majeur de dernière minute et indépendant de sa volonté, Noël Mamère devait devenir, samedi 5 juin, le premier maire de l’histoire de France à avoir officiellement célébré le mariage d’un couple homosexuel. Plusieurs centaines de manifestants – pour ou contre – étaient attendus autour de la mairie de Bègles, où devaient être mobilisés une centaine de policiers et autant de CRS. Selon le dossier de presse que la mairie a fourni vendredi aux quelque soixante journalistes accrédités, la cérémonie de mariage de Bertrand Charpentier, 31 ans, magasinier, et Stéphane Chapin, 34 ans, aide-soignant à domicile, devait débuter samedi matin à 11 heures. Une séance-photos était prévue à 11 h 30 sur le perron de la mairie en présence des mariés, du maire, d’élus et de signataires du Manifeste pour l’égalité des droits.
Mariés, élus, responsables associatifs et militants devaient ensuite participer à un buffet campagnard organisé au local des Verts à Bordeaux. Sans M. Mamère, qui devait se rendre à un déjeuner organisé dans le cadre de la fête de la morue. Manière, pour lui, de signifier qu’il reste dans ses fonctions de premier magistrat de la ville. Assumant l’entière responsabilité de son initiative, le député (Verts) de Gironde n’aura toutefois pas ménagé sa peine dans cette affaire, qui a vu les obstacles se multiplier et la pression s’accroître au fur et à mesure que l’échéance du mariage approchait.
Le ministère de la justice a concentré le tir sur les sanctions encourues par M. Mamère. En visite à Lyon, vendredi, le garde des sceaux, Dominique Perben, les a de nouveau évoquées. En liaison avec la chancellerie, le procureur de la République de Bordeaux, Bertrand de Loze, s’est efforcé pour sa part de dénicher – et de faire connaître – d’éventuels motifs d’annulation. Le 26 mai, le procureur s’était opposé par principe à la célébration de ce mariage, écrivant au maire de Bègles qu’ « en [sa] qualité d’officier d’état civil, il [lui] est fait interdiction » de le célébrer. La deuxième salve a été envoyée jeudi par fax à la mairie de Bègles : s’appuyant sur un constat d’huissier, un nouveau courrier du procureur indiquait à M. Mamère que « l’adresse fournie par messieurs Chapin et Charpentier ne correspond pas à une habitation effective » (Le Monde du 5 juin).
« ENTREPRISE DE HARCÈLEMENT »
Des policiers en civil s’étaient rendus il y a quelques jours au neuvième étage d’un immeuble de la cité HLM Maurice-Thorez, domi-cile annoncé sur les bans des futurs époux. Ils ont interrogé des voi- sins d’Edith Puyaubreau. Signataire d’un bail de location au nom de M. Chapin, en date du 5 janvier, cette dame, âgée de 66 ans, a été entendue au commissariat, ainsi que sa fille. Selon le procès-verbal de sa déposition, qui a été transmis à plusieurs rédactions, Mme Puyaubreau aurait notamment indiqué n’avoir hébergé M. Chapin que pendant trois jours, au mois de janvier. Selon M. Mamère, ces déclarations ont été obtenues « sous la pression », ce qu’a contesté le procureur. Tout en entreprenant, à toutes fins utiles, de rassembler des témoignages d’amis du couple faisant état de la domiciliation effective de M. Chapin à Bègles, l’un des avocats du couple, Caroline Mécary, indiquait, vendredi après-midi, que la validité du bail – ainsi que d’une facture de téléphone qui figurerait dans le dossier enregistré en mairie – devait suffire, en l’espèce, à justifier la domiciliation de M. Chapin. M. Mamère dénonçait pour sa part une « entreprise de harcèlement et de destabilisation ».
Rebondissement en milieu d’après-midi, lorsque la fille de Mme Puyaubreau laisse entendre, sur Europe 1, que le bail aurait été antidaté : le couple, dit-elle, n’aurait rencontré sa mère qu’ « il y a un mois, un mois et demi ». Nouveau flottement au cabinet de M. Mamère, où l’on multiplie les coups de fil aux avocats. A 19 h 15, lorsqu’il quitte sa mairie pour aller visiter les stands de la fête de la morue, le maire affiche une détermination sans faille : « Rien ne m’arrêtera », assure-t-il alors.
Après avoir affirmé que la fille de Mme Puyaubreau est « l’une de ses opposantes municipales », il quitte le registre procédurier dans lequel veut l’enfermer le procureur. « Tout ça, ce n’est pas mon problème ! Je ne vais quand même pas faire une enquête de police ! », s’exclame-t-il, en ajoutant : « J’ai bien marié ma soeur et ma nièce qui n’habitaient pas Bègles, le procureur n’est pas venu me poser des questions ». Deux heures plus tard, le député de Gironde partait dîner dans un restaurant tenu par des « amis portugais », le Tout va bien.