Mères porteuses : « Une GPA ‘éthique’ peut parfaitement exister en droit français »

Trois spécialistes du droit ont tenu à répondre à Marie-Anne Frison-Roche, dont nous avons publié récemment un entretien. Cette dernière estimait qu’une gestation pour autrui (GPA) éthique est juridiquement impossible.

Figure paradigmatique des nouvelles formes de procréation, la gestation pour autrui (GPA) nous invite à revisiter nos idées relatives à l’engendrement, la parenté et la filiation, trop attachées encore à une conception traditionnelle de la famille. Il est nécessaire de pouvoir penser la GPA au-delà des fantasmes qu’elle suscite, à partir d’une réflexion posée sur les principaux enjeux qu’elle soulève. L’usage de termes tels qu’ »esclavage », « marchandisation du corps », « trafic des femmes », « vente d’enfants », « utérus mercenaire », « carnet de commandes », « pratique eugéniste », « volonté aliénée », « bébés à la carte », « enfants génétiquement modifiés » ou encore « mère artificielle », qu’on entend dans les débats, mettent en évidence une stratégie discursive consistant à soustraire de la délibération la régulation de la GPA, laquelle ne mériterait que condamnation. Pourtant, jusqu’à la fin des années 1980, la GPA était pratiquée en France et intégrée dans le droit civil de la filiation. Au moins quatre-vingts enfants sont nés dans notre pays à la suite d’une GPA. Ce sont le Conseil d’État et la Cour de cassation, et non le législateur, qui ont, chacun, fondé juridiquement l’interdiction de la GPA sur la base d’arguments provenant plutôt de la morale que du droit.

Pour dissiper les fantasmes, parlons de la réalité !

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnaît la GPA comme faisant partie des techniques de procréation médicalement assistée avec l’intervention d’une tierce personne (femme porteuse) et considère qu’elle est admissible lorsqu’elle est régulée juridiquement. Contrairement à la France qui interdit cette pratique, plusieurs pays démocratiques l’ont encadrée : Grèce, Portugal, Royaume-Uni, Ukraine, différents États aux États-Unis et au Canada, Inde, Israël, etc.

Juridiquement, la légalisation de la GPA serait une manifestation de la diversité des modes de création des familles.

Comme la France est prohibitionniste, les couples vont à l’étranger et reviennent après un parcours de deux ans avec leur enfant. À la suite de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation a finalement admis que les enfants nés grâce à une GPA pouvaient obtenir un acte de naissance français avec la mention du père — pas la mère ou le mari du père, pour les couples d’hommes — et en même temps être adopté par la conjointe du père (ou le conjoint). Ce montage juridique, véritable usine à gaz, créé de toutes pièces par la Cour de cassation, rend de facto effectif la convention de GPA, malgré sa prohibition en France. Cette effectivité est cependant toute relative.

Suivant l’approche promue par Jean Carbonnier, qui imposait au juriste de regarder les mouvements de la société pour tenter d’adapter le droit, il nous semble nécessaire de nous affranchir des préjugés à l’encontre de la GPA et de regarder en face la réalité, à la fois celle des parents d’intention de cette technique reproductive, celle des femmes qui volontairement souhaitent aider un couple à avoir un enfant et celle de l’enfant issu de la GPA, lequel doit jouir des mêmes droits que des enfants conçus naturellement, adoptés ou par PMA.

Juridiquement, la légalisation de la GPA serait une manifestation de la diversité des modes de création des familles (classique, monoparentale, homoparentale, naturelle ou par techniques procréatives…); elle assurerait le droit au respect de la vie privée qui exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation, comme ne cesse de le rappeler la Cour européenne. La légalisation de la GPA, selon nos principes, nos valeurs et nos critères, peut être envisagée comme une manifestation de la liberté reproductive et de la libre disposition de son corps, dans la continuité de ce qu’a été la légalisation de l’IVG. Ainsi, comme pour l’IVG autrefois, la légalisation de la GPA permettrait un contrôle et une surveillance de la pratique et serait de nature à limiter les GPA clandestines et hors la loi qui favorisent toujours l’exploitation du faible par le fort.

Dans ce cadre, loin de constituer une exploitation, la GPA peut devenir une forme d’émancipation des femmes non seulement par la désacralisation de la maternité qu’elle opère mais aussi et surtout par la mise en lumière du travail procréatif, historiquement occulté.

La GPA n’est pas, en tant que telle, une forme d’exploitation, elle peut le devenir selon le cadre et le contexte dans lequel elle est pratiquée. Dans des pays où elle est gratuite, comme au Royaume-Uni, au Canada ou au Portugal, seul le consentement éclairé de la femme porteuse et son altruisme peuvent en être la source. Dans des pays où elle est rémunérée, les femmes porteuses semblent jouir d’une plus grande liberté, comme en Californie. En revanche, en Inde ou en Ukraine, les femmes porteuses viennent de populations vulnérables et sont donc susceptibles d’être victimes d’exploitation. Ce qui est toutefois frappant, c’est que l’émotion que cette situation produit se trompe de cible : l’exaspération ou les angoisses exprimées ne sont certes pas discutables, mais la GPA n’est pas la véritable cause. Considérer in abstracto, dire qu’elle constitue une forme d’esclavage est non seulement faux mais aussi injuste par rapport aux victimes de l’esclavage moderne (traite des êtres humains, travail forcé, mariage forcé, prostitution forcée…). De même, dire que toutes les femmes sont libres de disposer de leur ventre est aussi faux car la nécessité économique peut constituer une contrainte telle qu’il n’y a pas de place pour la volonté. Tout dépend donc du contexte dans lequel se développe cette pratique et comment cette pratique est encadrée par la Loi.

Plutôt que d’organiser le débat en opposant les défenseurs et les détracteurs de la GPA, il vaudrait mieux se poser la question, in concreto, des conditions dans lesquelles se développe cette pratique et quel type de régulation garantie le mieux les droits des femmes, des enfants et des parents d’intention dans le cadre d’un projet parental responsable. Quant à soutenir qu’une GPA éthique ne saurait exister en France en raison des principes d’indisponibilité du corps ou de l’état de la personne, c’est oublier qu’il existe déjà de nombreuses exceptions à chacun de ces principes : la légalisation de la GPA en France constituerait « simplement » une nouvelle exception.

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Dans ce cadre, loin de constituer une exploitation, la GPA peut devenir une forme d’émancipation des femmes non seulement par la désacralisation de la maternité qu’elle opère mais aussi et surtout par la mise en lumière du travail procréatif, historiquement occulté. À cet égard, la GPA peut prendre une forme contractuelle ou celle d’un service public. Dans l’un ou l’autre cas, l’intervention du droit — indispensable — serait là pour fixer un cadre rigoureux, empêcher les abus et les déséquilibres entre les parties et fixer des sanctions, y compris en termes de responsabilité, en cas de non-respect. Pour ce qui est de la voie contractuelle, les pays qui ont opté pour cette forme de régulation imposent systématiquement une homologation judiciaire dudit contrat, donc un contrôle du juge.

Pour sortir de l’impasse dans lequel se trouve la France, il faudrait dans un premier temps suivre les recommandations de la Conférence de La Haye et reconnaître la validité des conventions de maternité de substitution à caractère international, ainsi que les décisions judiciaires étrangères portant sur la GPA. Plus généralement, il faudrait inscrire la GPA dans les principes généraux du droit relatifs à la liberté procréative, à la libre disposition de soi, à la diversité et à l’égalité des filiations.