L’homophobie n’est pas du « folklore »

Dans une tribune au « Monde », le juriste Daniel Borrillo et l’avocate Caroline Mécary s’insurgent contre les propos de Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel (LFP), sur les chants homophobes dans les stades. Ils rappellent qu’il s’agit d’une infraction pénale mais également d’actes qui contreviennent aux valeurs du sport.

[Quelques jours après la rencontre PSG-OM du 17 mars, la ministre des sports, Roxana Maracineanu, s’indignait sur les ondes de France Info des chants homophobes entendus lors de la rencontre. Elle laissait entendre qu’elle réfléchissait à des sanctions pour les punir. De son côté, Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel (LFP), dans un entretien au Parisien, estimait que « le propos pris hors contexte n’est pas acceptable. Maintenant, dans le stade il n’est pas acceptable en tant que tel, mais il fait partie du folklore ». Précisant sur l’emploi de ce terme : « Je ne dédouane pas ce qui s’est passé. Mais quand on parle de chants homophobes, pour beaucoup de supporters cela fait partie du folklore. Je ne suis pas en train de dire que ça doit le rester, mais c’est une réalité. » ]

Tribune . Selon la présidente de la Ligue de football professionnel (LFP), Nathalie Boy de la Tour, le déversement d’insultes homophobes dans les stades n’est autre chose que du « folklore » , plus précisément « l’expression d’une ferveur populaire qu’il faut prendre comme telle » . Elle relativise la question en nous invitant à la contextualiser. Prenons au sérieux l’injonction de la présidente. Cette question de l’injure homophobe peut effectivement être mise en perspective à la fois sur le plan social, familial, historique et international.

Socialement, selon le ministère de l’intérieur, les plaintes pour agressions et injures homophobes ont augmenté de 15 % (diffamation, harcèlement, dégradations des biens, menaces…). De même, la ligne d’écoute de l’association SOS-Homophobie explose, avec 37 % de témoignages en plus cette année par rapport à 2018. « Pédé » demeure l’insulte la plus répandue dans les cours de récréation et le taux de suicide d’adolescents LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes) est de trois à sept fois supérieur que chez les autres adolescents.

Depuis dix ans, une agression homophobe a lieu tous les trois jours dans notre pays. Selon les statistiques officielles, la famille et le voisinage sont les espaces dans lesquels se déploient les agressions homophobes, après les lieux publics et les réseaux sociaux. Encore aujourd’hui des lesbiennes et des gays sont expulsés de leurs foyers après avoir fait leur coming out. De surcroît, Gareth Thomas, un des rares footballeurs ouvertement gay, a été victime de violences homophobes sans que cela émeuve le monde sportif.

Pas d’égalité complète pour les personnes LGBTI

Poursuivons dans la contextualisation de l’homophobie. Historiquement, rappelons-nous que dès 1936 les homosexuels furent envoyés en masse dans les camps de concentration nazis auxquels très peu survécurent. D’après l’historien Frank Rector, un demi-million d’homosexuels ont trouvé la mort dans les prisons, les exécutions sommaires ou lors de traitements expérimentaux en Allemagne.

Paradoxalement, de l’autre côté, la propagande communiste n’eut de cesse d’identifier l’homosexualité à une « perversion fasciste » . Le 6 août 1942, quelques mois après la promulgation de la loi sur le statut des juifs, la France de Pétain réintroduit dans la loi criminelle une disposition pénalisant l’homosexualité.

Même après quarante ans de luttes pour l’égalité, aujourd’hui elle n’existe pas complètement pour les personnes LGBTI. Sur le plan international, le dernier rapport d’Amnesty International recense soixante-douze pays où une relation homosexuelle est un crime. Dans huit pays, elle est même passible de la peine de mort. Des centaines de milliers de personnes LGBTI frappent à la porte de l’Europe en demandant l’asile à cause des persécutions homophobes dans leur pays d’origine.

Lorsque les statistiques montrent que l’homosexualité est un tabou chez 63 % des joueurs professionnels et chez 74 % des jeunes joueurs, ce qui rend pratiquement impossible de s’assumer comme lesbienne ou gay, lorsque l’on est un sportif de haut niveau, dire que l’homophobie est l’expression de la ferveur populaire implique de se rendre complice de cette forme de violence qui empoisonne la vie de millions de personnes.

Non, Madame la présidente, l’homophobie n’est pas du folklore, elle est une infraction pénale, et bien plus que cela, l’insulte homophobe est une agression qui marque la conscience des gens, une manière de se moquer de l’autre, de le dévaloriser, de l’inférioriser, de le supprimer…, bref tout le contraire des valeurs qui devraient être promues par la Ligue de football professionnel que vous présidez.

Daniel Borrillo est juriste, maître de conférences HDR en droit privé à l’université de Nanterre. Caroline Mécary est avocate au barreau de Paris et du Québec. Tous deux sont les auteurs de L’Homophobie (PUF, 128 p., 9 €).