Mariage pour tous : « Avoir deux parents de même sexe, ce n’est pas une question de droit, c’est un fait »

L’avocate Caroline Mécary défend depuis 15 ans les droits des homosexuels. Elle réfute, preuves à l’appui, les arguments des professeurs de droit.

« Homo, hétéro, mêmes droits, mêmes devoirs », le sous-titre de l’ouvrage de Caroline Mécary L’amour et la loi (Alma éditeur) ne prétend pas être un simple slogan. « Il est temps d’en finir avec un modèle unique de parenté et de famille qui discrimine toute une frange de la population », assure l’avocate qui a fait de cette « cause » son combat personnel et professionnel depuis quinze ans. Comment réagit-elle à la lettre signée par 170 enseignants demandant le retrait du texte ? Interview.

Le Point.fr : 170 enseignants en droit se sont mobilisés pour faire barrage au projet ouvrant le mariage et l’adoption à des couples d’homosexuels. Ils prétendent notamment que l’enfant n’a pas choisi d’être élevé par deux pères ou deux mères et qu’il n’est donc pas dans une situation d’égalité par rapport aux autres enfants. Et ils disent que la loi offre déjà aux couples d’homosexuels des outils pour assurer la protection de ces enfants. Qu’en pensez-vous ?

Caroline Mécary : Cette mobilisation massive de juristes ne me surprend pas : les facultés de droit sont des lieux de conservatisme puissants. L’histoire se gaussera de ces juristes. Quoi qu’il en soit, il est juridiquement faux de dire que le texte engendre de l’insécurité juridique ou qu’il conduit à des inégalités de traitement entre les enfants. C’est exactement le contraire. Prenons l’exemple d’un couple de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger. Sur le plan juridique, quelle est aujourd’hui la situation de l’enfant né de cette manière dans le cadre de ce projet parental ? Il n’a légalement qu’un seul parent : la femme qui a accouché et qui lui transmet son nom, son patrimoine et exerce seule l’autorité parentale. Il est donc dans une situation discriminatoire par rapport aux enfants nés d’un projet parental hétérosexuel. Par conséquent, donner à l’enfant un second parent légal – ce que permet le projet de loi avec l’adoption de l’enfant du conjoint -, c’est lui offrir la même protection juridique qu’aux enfants nés dans un couple hétérosexuel. À ce titre, il hérite du nom et du patrimoine de ses deux parents qui, par ailleurs, exercent conjointement leur autorité parentale. À ceux qui prétendent que l’égalité avec les autres enfants pourrait être rétablie au moyen d’un testament, je réponds que cela est faux, car l’enfant qui hérite de la sorte de la compagne de la mère devra payer 60 % de droits d’enregistrement ! Ce que ne fait pas un enfant dans une famille hétérosexuelle.

Certains juristes redoutent le cas suivant : si l’enfant né d’une PMA à l’étranger et dont le donneur est connu engage une act ion en recherche de paternité, sa filiation à l’égard du géniteur pourrait s’ajouter aux deux filiations maternelles déjà établies…

Le raisonnement est totalement biaisé, car, dans la PMA légalisée, le donneur anonyme ne peut revendiquer aucune paternité. Quant au donneur non anonyme il ne sait pas, dans les faits, qui a bénéficié de son don. Il faut rappeler ici que ce n’est pas la biologie qui fait la filiation. Les parents légaux ne sont pas automatiquement ceux dont l’enfant est né, comme le montre très bien l’institution de l’adoption. Un enfant adopté a deux parents légaux qui n’ont aucun lien biologique avec l’enfant. Notre droit va même jusqu’à permettre qu’une femme qui a accouché d’un enfant (sous X) ne soit jamais légalement la mère. Les règles relatives à la filiation sont des constructions sociales. Par ailleurs, ces juristes qui attisent les peurs feignent d’oublier ce que l’on apprend en première année de droit : l’obligation de distinguer le fait du droit. Avoir deux parents de sexe différent ou de même sexe n’est pas une question de droit, c’est un fait. Il n’y a aucune règle de droit qui oblige les enfants à avoir deux parents et qui dit que ces deux parents doivent être de sexe différent. Et mon expérience professionnelle me conduit à dire que, lorsqu’un couple hétéro ou homo veut un enfant, il est prêt à combattre toutes les difficultés. Hors du droit, le concept d’égalité n’existe pas. Il suffit de voir comment toute société est traversée par de multiples différences comme le sexe, la couleur de peau, l’âge, l’orientation sexuelle et tant d’autres : l’existence de ces différences n’empêche pas que les citoyens aient les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ce n’est qu' »en droits » que les êtres humains sont libres et égaux, dit très justement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Comment devrait donc se traduire selon vous l’égalité de traitement juridique entre tous les enfants ?

Il s’agit de permettre à tous les enfants d’avoir les mêmes droits et la même protection, indépendamment du sexe ou de l’orientation sexuelle de leurs parents. Ils doivent pouvoir avoir deux parents légaux, fussent-ils de même sexe. Et c’est précisément ce point qui est au coeur du projet de loi. Partons de l’exemple d’un couple d’hétérosexuels qui ont recours à l’AMP avec tiers donneur. Ce tiers en France est anonyme, et ce n’est jamais avec lui que le lien de filiation avec l’enfant sera établi. Le lien de filiation est établi avec le couple hétérosexuel. Il n’y a donc aucune possibilité pour le donneur/géniteur d’intenter une action en recherche de paternité. C’est exactement la même chose pour un couple de lesbiennes qui a recours à la PMA à l’étranger : aucun lien de filiation ne sera jamais établi avec ce tiers donneur, qu’il soit connu, comme cela est le cas dans certains pays (Pays-Bas, Danemark), ou inconnu. Si la PMA devait être ouverte en France aux couples de lesbiennes, pourquoi voulez-vous que le législateur permette une action en recherche de paternité du donneur/géniteur anonyme alors qu’il ne le fait pas pour un couple hétérosexuel ?

Allons plus loin et prenons l’hypothèse d’un couple de lesbiennes qui recourt à une procréation dite « artisanale » sur le sol français. Dès lors que le donneur a reconnu l’enfant, il est impossible pour la compagne de la mère d’être légalement considérée comme parent. La compagne de la mère n’a, qui plus est, pas le droit de reconnaître l’enfant : c’est légalement impossible. D’autant que, dans l’actuel projet de loi, la présomption de paternité (qui permet à l’époux de celle qui accouche d’être considéré comme le père de l’enfant) n’existe que pour les couples hétérosexuels. Enfin, l’enfant né dans le cadre d’une PMA utilisée par un couple hétérosexuel ne dispose d’aucune action en contestation ou recherche de paternité. Le Code civil l’interdit. Pourquoi en irait-il autrement si la PMA était ouverte aux couples de lesbiennes ?

Vous ne craignez donc pas que la loi (sous réserve qu’elle soit votée) n’ouvre la porte à la multiparenté ?

Je ne comprends pas cette crainte. Et puis, si l’on écoute des anthropologues comme Maurice Godelier ou Françoise Héritier qui montrent que les sociétés humaines offrent une très grande variété de réponses à des configurations familiales similaires, on comprend qu’il n’y a pas qu’une seule et unique manière d’envisager la famille. C’est ce qui fait la richesse d’une société. Si la question se pose un jour à la société française, nous verrons comment y répondre.