La gestation pour autrui en huit questions
Une circulaire du ministère de la justice provoque la polémique
Nicolas Chapuis et Gaëlle Dupont
Elle n’était pas prévue au programme, et le gouvernement comptait bien éviter d’en parler au cours de l’examen du projet de loi sur le « mariage pour tous ». La gestation pour autrui (GPA) a fait irruption, mercredi 30 janvier, dans le débat. En cause : une circulaire de la Chancellerie facilitant l’accès à la nationalité française des enfants conçus à l’étranger de cette façon.
Qu’est-ce que la GPA ? Cette technique de procréation médicalement assistée est utilisée par les couples hétérosexuels dont la femme ne peut pas porter d’enfant, du fait de l’absence d’utérus, et les couples d’hommes. La mère porteuse se voit implanter, après fécondation in vitro, l’ovule d’une donneuse fécondé par le sperme du futur père. Elle peut également être la donneuse d’ovocyte.
Quelle est la réglementation ? La GPA est totalement interdite. L’article 16-7 du code civil dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » . L’article 227-12 du code pénal sanctionne d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre » . La GPA a été très médiatisée depuis 2000 par le combat des époux Mennesson. Ces parents de deux jumelles, nés d’une mère porteuse en Californie, se battent pour faire inscrire leurs filles à l’état civil français.
Dans les autres pays ? Plusieurs pays autorisent la GPA pour les couples hétérosexuels tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, Israël, l’Afrique du Sud. Peu d’entre eux ouvrent la gestation pour autrui aux couples homosexuels et aux ressortissants des autres pays. Les couples, homosexuels ou hétérosexuels, se dirigent principalement vers le Canada et les Etats-Unis.
L’Inde et l’Ukraine l’autorisent également, mais le cadre légal est beaucoup moins défini et les soupçons de marchandisation des mères porteuses sont beaucoup plus importants, selon l’association des familles homoparentales (ADFH), qui plaide pour une GPA « éthique » . Ces deux pays seraient en passe de fermer leurs cliniques aux ressortissants étrangers et aux homosexuels.
Aux Etats-Unis, tous les Etats n’autorisent pas la GPA, et encore moins pour les homosexuels. Le Wisconsin, la Californie et quelques Etats du Midwest comme l’Illinois ouvrent leurs portes à ces couples.
Combien d’enfants ? La pratique étant illégale, les chiffres sont à manier avec précaution. Le ministère de la justice évoque une quarantaine d’enfants nés de GPA qui se sont vu refuser la nationalité. Les associations de parents ayant eu recours aux mères porteuses parlent de plusieurs centaines d’enfants par an. « Depuis dix à quinze ans, il y a eu entre 200 et 600 naissances par an, affirme Alexandre Urwicz, président de l’ADFH. Mais les parents ne vont pas voir l’administration pour faire reconnaître leur enfant parce qu’ils savent que cela leur sera refusé. »
Quels sont les coûts ? Entre 60 000 et 90 000 euros selon les Etats pour avoir recours à la GPA, d’après l’ADFH. Environ un cinquième de la somme reviendrait en général à la mère porteuse. Le reste est dépensé en frais médicaux, d’avocats, d’agence de mise en relation, de voyage… « Ce qu’on donne à la mère porteuse ce n’est pas une rémunération, c’est plutôt une compensation, estime M. Urwicz. Mais la relation ne s’arrête pas là. Le lien avec la mère porteuse dure toute la vie, c’est une histoire qui commence un jour et qui ne s’arrête plus jamais. » Tout dépend, cependant, du souhait et de la pratique de chaque couple.
Quel est le statut de ces enfants ? Les situations sont variables. Les enfants bénéficient en général du passeport du pays dans lequel ils sont nés. Certains d’entre eux voient leur acte de naissance à l’étranger retranscrit à l’état civil sans difficulté, dès lors que la GPA n’est pas soupçonnée. En revanche, quand ce soupçon existe, les couples peuvent se retrouver bloqués avec leurs enfants dans le pays de naissance. S’ils arrivent à rentrer en France en obtenant un laisser-passer, les enfants vivent sur le territoire avec leur passeport étranger. Ils n’ont ni passeport français, ni carte d’identité, ni livret de famille, mais sont inscrits à l’école, ont accès aux droits sociaux, etc.
Que change la circulaire ?
Les tribunaux devront délivrer des certificats de nationalité française (CNF) « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil probant » . Un soupçon de GPA « ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF » , précise le texte.
La pratique était jusqu’à présent variable. « La circulaire ne fait que rappeler le droit, c’est-à-dire qu’est Français un enfant dont l’un des parents est Français » , explique Caroline Mécary, avocate spécialiste de la défense des familles homoparentales. « Si elle consiste à dire qu’un enfant né de père français est de nationalité française, elle est difficilement contestable » , observe Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur de droit de la famille.
Concrètement, avec un CNF, les enfants nés par GPA pourront obtenir une carte d’identité et un passeport français, mais pas de livret de famille. « L’Etat français ne reconnaît toujours pas la filiation et refuse de transcrire l’acte de naissance établi à l’étranger dans l’état civil », estime Sylvie Mennesson, fondatrice de l’association Clara, pro-GPA.
Une reconnaissance de la GPA en France ?
Le gouvernement s’en défend. La GPA ne sera pas autorisée, martèle-t-il. Les défenseurs de la régularisation, qui ne sont pas forcément favorables à la GPA, disent agir au nom de l’intérêt des enfants, qui n’ont pas à subir les conséquences de leur mode de conception. La droite y voit une reconnaissance, et un possible encouragement des familles qui veulent avoir recours à ces pratiques. Néanmoins, le coût et la complexité de la démarche restent inchangés pour les candidats, souligne Caroline Mécary.