Mariage homo: la voie est libre pour 2012
Mathilde Mathieu
Paris – Vendredi 28 janvier, le Conseil constitutionnel a tranché : l’interdiction du mariage faite aux homosexuels est conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui affirme… que la loi « est la même pour tous » . Ah bon? Elle ne contrevient pas non plus au « droit de mener une vie familiale normale » , ancré dans le préambule de la Constitution de 1946.
Aussitôt, les partisans de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ont dénoncé une décision « inacceptable » (PS), qui « valide une discrimination » ( Association des parents et futurs parents gays et lesbiens ), voire « homophobe » (les jeunes du PC, l’association Act Up).
Mais d’autres y ont déniché une consolation: dans cette décision à double fond, les « Sages » affirment en effet que le mariage homo, s’il était voté un jour au Parlement, serait conforme à la Loi fondamentale. En clair: ils renvoient la balle aux politiques, laissant le champ libre pour 2012. « Je trouve (ça) intéressant » , glisse du coup Noël Mamère (Verts), qui avait marié deux hommes à Bègles en 2004. « C’est un pas de plus vers une loi en faveur du mariage pour tous » , ose le sénateur socialiste Roger Madec, tandis que le Parti de gauche y décèle presque une « audace » . Explications d’une décision plus complexe qu’il n’y paraît.
Les plaignantes . Un couple de femmes, Corinne Cestino et Sophie Hasslauer, qui élèvent ensemble plusieurs enfants, ont d’abord tenté de s’unir à Reims. Veto. Elles ont alors actionné une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), nouveau droit ouvert en mars 2010 qui permet à tout justiciable de vérifier auprès du Conseil constitutionnel qu’une loi qu’on lui oppose (ici le code civil) est vraiment conforme à la Constitution. Dans le cas contraire, le texte – si vieux soit-il – est illico censuré.
Ci-dessous, la photo du couple sur le site du journal L’Union , à Reims:
[Un élément multimedia s’affiche ici, dans ce même article en ligne sur Mediapart.fr.]
Les articles contestés . Il s’agit des deux seuls, dans le code civil, qui spécifient que le mariage est prévu entre un homme et une femme.
– l’article 75 , hérité de Napoléon: « (L’officier d’état civil) recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme » ;
– l’article 144 : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » .
En 2007, c’est sur cette base juridique que la Cour de cassation avait annulé les noces gay célébrées par l’écologiste Noël Mamère en 2004 (comme maire de Bègles). « En l’état de la loi française actuelle, le mariage n’est possible qu’entre un homme et une femme » , avaient constaté les magistrats. Pour casser cet arrêt, les deux époux, têtus, ont depuis engagé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui devrait statuer en 2011.
Les plaidoiries. Deux avocats se sont partagé la tâche, lors de l’audience du 18 janvier. Au nom du couple de femmes, M e Emmanuel Ludot s’est appuyé sur le préambule de 1946 et son « droit de mener une vie familiale normale » . « On nous dit que l’Etat français garantit l’épanouissement de l’individu, ce qu’on pourrait appeler, pour employer des mots à la mode, le droit au bonheur , avait-il lancé. Aujourd’hui, deux femmes viennent vous dire: « Nous voulons cette stabilité, nous voulons faire partie de ce pilier qu’est le mariage ». »
De son côté, M e Caroline Mécary, pour l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, et SOS Homophobie, avait d’abord cité la « jurisprudence Gandhi » : « C’est à la manière dont une majorité traite ces minorités qu’on juge du degré de civilisation d’une société. » Avant d’affirmer que les articles 75 et 144 du code civil « constituent une violation de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme » , qui pose le principe d’égalité: « A situation de faits similaires, traitements juridiques similaires! » Et de citer « l’exemple » du Canada, où la Cour suprême a estimé en 2004 que l’interdiction du mariage homo « met en doute la dignité humaine des requérants » , faisant tomber cette prohibition.
La vidéo des plaidoiries est encore visible ici .
Voir aussi le blog de Caroline Mécary, là .
La réplique du Conseil . Le raisonnement des huit « Sages » présents (Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing ont séché) se veut d’une logique implacable:
1. Rien ne fait « obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage » .
2. « Le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier. »
3. « Par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale. »
Quant au principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme, il « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général » . Fermez le ban ? Pas tout à fait, donc, puisque les « Sages » lancent au passage: « Il est à tout moment loisible au législateur (…) d’adopter des dispositions nouvelles. » En clair, sur le plan juridique, la porte est désormais grande ouverte. Place aux politiques!
Les anti-mariage . Ils profitent de l’instant présent, « leur » mariage sauvé (pour l’instant). Christine Boutin, présidente du Parti chrétien démocrate, l’égérie anti-PACS qui avait brandi la Bible dans l’hémicycle en 1998, salue une « décision qui respecte notre tradition juridico-politique » , se félicitant que le droit français ne soit « pas l’objet de tel ou tel lobby » . Le député Christian Vanneste (UMP), condamné pour propos homophobes en 2007 avant d’être « blanchi » par la Cour de cassation, anticipant la bataille parlementaire à venir, enjoint les élus de « se rappeler que ces articles du code civil s’inscrivent dans une tradition millénaire de la France » . Détail: depuis un bon moment, les militants homos de l’UMP, réunis au sein de Gay Lib, réclament son exclusion du parti présidentiel… Quant au député Jacques Myard (UMP), qui vient de qualifier l’homosexualité de « perversion sexuelle » (comme la « zoophilie » ), il se dit « prêt à faire un référendum » – « Messieurs les homos des deux sexes, foutez-nous la paix! » , clamait-il récemment .
Le silence de l’UMP . Au moment de publier cet article, à 19h00, le parti de Jean-François Copé n’avait toujours pas réagi à la décision du Conseil constitutionnel. Pas plus que Matignon, ni l’Elysée. La droite, bien entendu, n’a jamais supporté le mariage homo. Mais depuis plusieurs mois, l’UMP s’est carrément enlisée, aucune des promesses de 2007 n’ayant été tenue. Le candidat Sarkozy s’était en effet engagé à créer, à défaut du mariage, un « Contrat d’union civile » ouvrant des droits identiques (à l’exception de la filiation et de l’adoption). Celui-ci n’est jamais venu. Nicolas Sarkozy avait annoncé un « statut des beaux-parents » (censé faciliter la vie des familles recomposées, notamment homoparentales), mais aucun projet de loi n’a été déposé. Les homos de l’UMP ne savent plus où se mettre; l’été dernier, ils se sont littéralement fait virer de la Gay Pride! ( lire notre enquête ). Même gêne au centre: aucun communiqué du Nouvau centre à cette heure, ni du Modem.
Les partisans du mariage . Au fond, le groupe PS à l’Assemblée nationale n’en veut pas aux « Sages » . « Sauf à inventer le gouvernement des juges, le Conseil constitutionnel ne pouvait pas prendre une autre décisi on, estime Jean-Marc Ayrault, le patron des députés socialistes. Il dit le droit, ce n’est pas lui qui fait la loi. » Mais l’élu embraye, en saisissant l’opportunité offerte par le Conseil: il annonce son intention d’inscrire à l’ordre du jour du Palais-Bourbon, « avant l’été » , une proposition de loi (déjà déposée) « reconnaissant le mariage homosexuel » . Dans son communiqué, Cécile Duflot rappelle que les Verts ont aussi déposé des textes, de leur côté. Dans la foulée, le PCF « réaffirme son soutien » , aiguillonné par son mouvement de jeunes, qui veut « botter le cul de l’homophobie d’Etat » . Idem au NPA. En clair, la gauche est unanime. Comme le souligne l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, déjà « huit pays européens – dont la Belgique, l’Espagne, la Finlande, etc. – ont ouvert le mariage » . Dans son langage radical, Act Up prévient que la France ne peut rester « la grande gueuse européenne des droits humains » . Elle le restera au moins jusqu’en 2012.
Prolonger votre lecture
– La décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier, affirmant que l’interdiction du mariage aux couples homos est conforme à la Constitution.