Mariage gay : un grand jour

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Le projet de loi sur l’union pour tous arrive en Conseil des ministres. Déballage de la corbeille des marié(e)s.

Catherine Mallaval

Bientôt le droit de divorcer comme tout le monde (ou presque) ? Ça se précise. C’est aujourd’hui qu’est présenté en Conseil des ministres le projet de loi ouvrant aux couples du même sexe le mariage – avec son corollaire le divorce – et, ce faisant, la possibilité d’adopter. Porté par la garde des Sceaux, Christiane Taubira, avec la ministre déléguée à la Famille, Dominique Bertinotti, il ne s’agit rien moins que de la première grande réforme sociétale du quinquennat. Et d’une promesse du candidat Hollande qui prend forme. Alors, champagne, flonflons et tout le tralala ? Pas vraiment. L’examen du texte par l’Assemblée ne débutera pas avant la mi-janvier. Et si la gauche dispose du nombre de voix pour l’adopter, le climat s’est considérablement alourdi. Pendant que les associations militantes homosexuelles jouent l’air d’ «encore un petit effort s’il vous plaît !» , la droite et l’Eglise poussent des cris d’orfraie. La hiérarchie catholique a ainsi lancé ce week-end, de Lourdes, une violente croisade contre «une supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société», selon le patron des évêques, André Vingt-Trois, vite débordé par une minorité ultra de ses troupes, qui appellent à une grande manifestation le 18 novembre. Les deux candidats à la présidence de l’UMP se sont engagés à abroger le mariage en cas d’alternance. Hier, Bertinotti a accusé la droite de «chercher à créer des fantasmes» au lieu de vouloir «éclairer le débat». Qu’y a-t-il précisément dans ce projet ? Décryptage des (grandes) avancées qu’il représente, mais de ses oublis aussi.

Le code civil passé au peigne

Opération désexualisation terminée. Fini le terme «mari et femme» dans le code civil : il a été remplacé par «époux », sans parler de tous ces « père » et « mère » qui se sont mués en « parents ». Pour aboutir à un projet de mariage pour tous, les juristes de la chancellerie ont passé au peigne fin les articles du code civil dédié au mariage : l’acte lui-même, ses effets, sa dissolution. Un gros chamboulement ? «Le code civil ne s’attarde pas à définir l’acte lui-même. On parle de consentement mutuel, mais on ne dit jamais à quoi l’on consent. Au final, explique-t-on dans l’entourage de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, seule une petite dizaine d’articles a été modifiée et un nouveau créé.» Il porte le numéro 143 et précise que le mariage devient un acte contracté par deux personnes différentes ou du même sexe.

Une chance pour les rédacteurs : les articles du code allant de 133 à 143 avaient été abrogés. La place était vide juste où il fallait. Sérieusement, «ouvrir ce mariage à tous est un bouleversement, mais nous avons utilisé un véhicule déjà existant. On ne modifie aucune condition de fond. On reprend les mêmes interdictions, comme l’inceste, les mêmes conditions, comme avoir 18 ans révolus, les termes fidélité, respect etc. restent».

Le mirage de l’adoption

Jusque-là, un ou une homosexuel(le) pouvait tenter en célibataire l’aventure (le chemin de croix ?) de l’adoption. Selon le projet de loi, les couples de même sexe passés devant le maire pourront adopter ensemble en France ou à l’étranger. Las, ce futur droit a d’emblée des allures de miroir aux alouettes. «Les conseils de famille qui confient les pupilles de l’Etat ne choisiront pas leurs dossiers, étant donné qu’ils ne privilégient déjà pas les personnes célibataires» , affirme Geneviève Miral, ex-présidente d’Enfance et famille d’adoption (EFA). Une sélection qui s’explique par une demande bien supérieure à l’offre : environ 700 enfants sont légalement adoptables en France, pour 25 000 candidats à l’adoption. Et à l’étranger ? «Très peu de pays d’origine autoriseront les démarches par les couples homosexuels», pronostique Geneviève Miral. Certains pays, comme la Chine, mentionnent expressément leur refus de l’adoption par des couples de même sexe. Difficulté supplémentaire, le nombre d’enfants à adopter à l’étranger baisse régulièrement : ils étaient 4 000 en 2005 contre 1 500 actuellement. «Soyons honnêtes, lance l’ex-présidente d’EFA, il faut prévenir les couples d’homosexuels qu’ils n’auront que très peu de chances de voir leur dossier aboutir.»

Des bénéfices collatéraux

Actuellement, entre 40 000 et 200 000 enfants vivent dans des familles homoparentales où seul le parent biologique a des droits. Avec la future loi, de nombreuses situations familiales inconfortables vont pouvoir se résoudre. Si l’enfant a été adopté en célibataire par l’un des membres du couple, l’autre pourra à son tour l’adopter après le mariage. Si l’enfant a été conçu après insémination avec donneur, la compagne de la mère biologique pourra adopter l’enfant après l’union du couple. Et c’est sans doute dans ces cas-là que la loi donnera toute sa mesure. Jusqu’à présent, les parents homos n’avaient pas d’autre choix que de demander à la justice un partage de l’autorité parentale pour garantir un semblant de droits au parent dit « social », c’est-à-dire à celui (ou celle) qui n’est pas le parent biologique. La loi va également changer la donne pour deux personnes ayant déjà adopté ensemble à l’étranger dans des pays l’autorisant. Leur adoption pouvant être reconnue en France.

S’il a un temps été envisagé d’ouvrir aux pacsés la possibilité d’adopter dans les mêmes conditions que les mariés, le gouvernement a refermé la porte. Pourtant actuellement, 53% des enfants qui naissent ne sont pas issus de parents mariés…

Le Thalys à défaut d’aide à la procréation

Les lesbiennes vont-elles continuer à prendre le Thalys ? Le débat (mais a-t-il vraiment eu lieu ?) est tranché : non, les lesbiennes ne pourront pas bénéficier de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et, plus précisément, d’insémination avec donneur. Elles devront donc concrétiser leur désir d’enfant en continuant à filer à l’étranger, notamment en Belgique et en Espagne. Mais pourquoi ? Oui, pourquoi, alors que dans un récent sondage (pour le Nouvel Obs ), les Français semblaient davantage favorables à l’AMP qu’à l’adoption, et qu’il s’agit là de la voie reine pour les couples de femmes voulant devenir parents ? Dans l’entourage de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, on invoque les lois de bioéthique, selon lesquelles l’AMP est réservée aux couples qui souffrent d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie grave à l’enfant : «Si on s’affranchit de cela, il faut inventer la PA, soit la procréation assistée sans visée médicale», moquent certains. Oui, mais comme le fait remarquer l’avocate Caroline Mécary, de nombreux pays européens ont fait sauter ce verrou. Le texte pourrait toutefois évoluer lors de son examen par le Parlement. Le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux, a déjà fait part de son intention de déposer un amendement. Au sein du gouvernement, la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, et la ministre de la Santé, Marisol Touraine, souhaitent très clairement que l’AMP soit accessible à toutes.

Quant aux couples d’hommes désirant un enfant, actuellement ils doivent se débrouiller en douce. Et en passer par la bonne volonté d’une copine ou une mère porteuse à l’étranger. Aucun espoir de changement. Motif invoqué : la gestation pour autrui est aussi interdite pour les hétéros. Il est là impossible pour les gays de revendiquer l’égalité sur ce sujet.

Une protection pour tous, divorce compris

«N e pas permettre aux couples de même sexe de se marier était une discrimination légale. L’autoriser est fort, symboliquement et juridiquement», commente l’avocate Caroline Mécary qui, à la pointe de ce dossier depuis des années, rappelle que la revendication ne date pas d’hier. Et de citer une tribune intitulée «Le couple maudit ou l’union des personnes du même sexe», qu’elle cosignait dès 1998 dans le magazine Têtu avec l’universitaire Daniel Borillo; et de rappeler le fameux «Manifeste pour l’égalité des droits» paru dans le Monde en 2004, peu de temps après l’agression de Sébastien Nouchet, brûlé au troisième degré pour cause d’homosexualité, etc. «Le débat a sans cesse été relancé. Alimenté notamment par le mariage de Bègles [célébré en juin 2004 et annulé en 2007 par la Cour de cassation, ndlr] et par un combat juridique au nom de la non-discrimination des homosexuels, au fil des procès intentés non par des militants mais par des couples homos confrontés à de vrais problèmes.» Des problèmes d’enfants (autorité parentale partagée, possibilité d’adopter l’enfant de l’autre etc.), d’héritage… Par rapport au pacs, et comme pour les hétérosexuels, le mariage ouvert aux homosexuels permettra la protection du conjoint survivant en cas de décès : il devient l’héritier désigné par la loi et peut bénéficier d’une pension de retraite de réversion.

Et puis qui dit mariage peut dire divorce. Le passage devant un juge, qui tranchera sur les causes de la séparation et décidera d’éventuelles compensations financières, est aussi une protection. Enfin, petit plus prévu dans le projet de loi présenté ce mercredi : les couples français qui avaient choisi de se marier dans un pays où cela est déjà autorisé pourront faire retranscrire leur union en France.