«Les enfants vont t’oublier très vite»

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Magali a vu sa compagne partir avec leurs deux fils. Faute de loi sur le mariage homo, cette mère n’a aucun droit sur eux.

Marie-Joëlle Gros; Catherine Mallaval

Elle arrive au rendez-vous avec sa mère et un volumineux dossier. A l’intérieur, un résumé de la vie de Magali, 41 ans, depuis que sa compagne Sylvie (1), 28 ans, l’a quittée en embarquant les deux enfants dont elle est la mère biologique. C’était le 25 août. Depuis, Magali ne les a pas revus. Sylvie a changé de région, ne répond plus ni aux appels ni aux SMS. Pas moyen de joindre les enfants. Mathieu, 4 ans et demi, le plus grand, a fait sa rentrée sans elle. Les vêtements neufs achetés par la grand-mère sont restés dans le placard. Cheveux noirs gominés, chemise blanche ouverte sur un tatouage, Magali contient son émotion en se tordant les mains. Elle est venue de Clamecy (Nièvre) pour rencontrer à Paris l’avocate Caroline Mécary. Assise en face d’elle, la militante du mariage entre personnes du même sexe et des droits qui en découlent, comme l’adoption, commence à prendre des notes. Pour elle, c’est un cas classique. Encore une histoire de parent homo privé de la possibilité de voir ses enfants. Magali s’étrangle : «La dernière fois que je les ai vus, Sylvie m’a dit : « Profites-en bien, parce que tu ne les reverras plus. De toute façon, ils vont t’oublier très vite. »»

«Cadeau». L’histoire de Magali et Sylvie commence en 2004. «Elle travaillait dans une grande surface, au rayon charcuterie. C’est elle qui m’a tourné autour. Je la trouvais un peu jeune : on a treize ans d’écart. Je lui disais : « T’as pas fait ta jeunesse. » Mais elle a un joli minois. C’est une petite brune espiègle. Très charmeuse.» Magali craque. «On rigolait beaucoup ensemble. Alors, très vite, un an plus tard, on s’est pacsées. Par amour et pour se protéger l’une l’autre, puisqu’on ne pouvait pas se marier.» Elles achètent une maison. Le désir de bébé se fait jour. «On voulait fonder une famille. Mais il était hors de question que je porte un enfant : j’ai une maladie génétique transmissible dans un cas sur deux. Trop risqué.» Le couple songe d’abord à faire appel à un donneur de sperme, anonyme. Magali, qui sait qu’elle n’aurait alors aucun droit sur l’enfant à venir, préfère confier le rôle du géniteur à un ami de confiance : François. «On lui a expliqué notre projet. Et il nous a fait un cadeau, comme on se disait.»

Mathieu naît en décembre 2008. «Il faisait 2,5 kilos. Il était trop beau avec ses grandes mains !» s’émerveille encore Magali. Au début, le partage des rôles entre les deux femmes est simple. Sylvie reste à la maison pour s’occuper du bébé; Magali fait bouillir la marmite : elle est maîtresse de cérémonie dans une entreprise de pompes funèbres. Le petit est baptisé en 2009. Magali s’attribue le rôle de marraine civile. Toutefois, dans les mois qui suivent, le couple tangue : à plusieurs reprises, Sylvie fait ses valises, puis revient. En novembre 2010, elles reprennent leur vie commune.

Mais, lors de ses escapades, Sylvie est tombée enceinte. Eric naît le 4 mai 2011. Magali raconte : «Je m’en suis occupée tout pareil. De toute façon, on voulait deux enfants. Et je considère qu’on ne doit pas leur faire payer les bêtises des adultes.» Mais le couple flanche à nouveau. Sylvie a d’autres amours. Magali tente de la raisonner : «Si on ne s’entend plus en tant qu’amantes, essayons de nous entendre en tant que parents pour que les enfants grandissent ensemble.» Elle propose d’attendre que la France autorise le mariage entre homos, ce qui lui permettra d’adopter les garçons portés par Sylvie. Libre à elles, ensuite, de divorcer «gentiment, proprement», en se partageant l’éducation de leurs fils. Fin de non-recevoir. Sylvie la quitte pour un gendarme. Mais il est muté à plus de 700 kilomètres. Durant l’été, elle laisse Mathieu quelques semaines à Magali. Et Eric occasionnellement. Puis disparaît avec les deux enfants.

«J’ai peur pour les petits, confie Magali. Je n’ai aucune nouvelle d’eux. Le gendarme avec qui Sylvie est partie était connu ici pour être instable. Elle aussi, elle l’est. Les dernières fois que j’ai vu Mathieu, il était perturbé, il faisait pipi au lit.» Elle montre des courriers de soutien rédigés par des voisins de Clamecy. Du prêtre. De l’institutrice. «Ici, aux yeux de tous, je suis la mère des petits. Tout le monde sait que c’est moi qui emmenais Mathieu tous les jours à l’école et le récupérais le soir.» Et puis il y a François, l’ami, le père biologique du premier garçon : «Il est très mécontent. Son cadeau, c’était pour notre couple. Pas pour que Sylvie se barre. Je veux récupérer mes enfants.»

«Structurante». L’avocate secoue la tête. Et résume la cruauté de la situation de Magali : «D’un point de vue légal, Sylvie, seule, est la mère. Vous, vous êtes parent de fait, mais vous n’avez aucun droit. Au maximum, ce que je peux obtenir, c’est un droit de visite et d’hébergement.» Magali l’interrompt : «Avec une garde moitié-moitié ?» L’avocate est formelle : «Non, aucune chance, ça ne marche déjà pas pour des couples hétéros qui n’habitent pas à côté.» Silence. «Concernant Eric, reprend Caroline Mécary, je doute d’obtenir quoi que ce soit. Pour Mathieu, c’est plus simple : je peux plaider que vous avez été une personne structurante de son enfance.» «Et ça va marcher ?» demande Magali. Réponse de l’avocate : «Ce n’est pas garanti. Même si les homos devraient avoir le droit de se marier dans les prochains mois, rien ne sera rétroactif. Au mieux, ce qu’on peut espérer, c’est davantage de bienveillance des tribunaux face aux situations comme la vôtre.»

(1) N’ayant pu entrer en contact avec Sylvie et les enfants, tous les prénoms ont été modifiés, sauf celui de Magali.