L’Europe fera la loi
MARIAGE HOMOSEXUEL. Malgré l’opposition signifiée par le procureur de la République, Noël Mamère persiste. Les deux jeunes gens signeront sans doute. La justice a du pain sur la planche
Maître Caroline Mecary, avocate de Stéphane et Bertrand, les deux homosexuels que Noël Mamère doit marier le 5 juin prochain à Bègles, n’est nullement étonnée de la réaction du procureur de la République de Bordeaux. Bertrand de Loze a, en effet, fait savoir mercredi au maire de Bègles qu’il « formait opposition à ce mariage » et lui « faisait interdiction, en tant qu’officier d’état civil, de le célébrer ».
« A partir du moment où Noël Mamère avait annoncé son intention, le garde des Sceaux ne pouvait pas faire autre chose », constate Me Mecary. Laquelle assure aussi qu’aucun texte pénal ne peut entraîner la mise en examen de Noël Mamère. L’avocate continue de fignoler son argumentation qui fait appel à la dimension européenne du droit. « Le droit français, précise-t-elle, c’est aussi la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier à travers trois articles : l’article 8 sur le droit à la vie privée et familiale, le 12 sur le droit au mariage et le 14 sur l’interdiction de toute discrimination, notamment en raison de ses préférences sexuelles. »
Tribunal de grande instance. « Le droit de vivre sa sexualité sans craindre le regard des autres » est d’ailleurs invoqué par Stéphane et Bertrand dans une interview publiée hier par notre confrère « la Provence », les deux jeunes gens étant allés se réfugier à Marseille, chez un ami, pour fuir, disent-ils, « la pression des médias ». Comme ils l’avaient déjà déclaré à « Sud Ouest » (voir notre édition du 25 mai), ils réaffirment leur détermination à persévérer dans leur démarche.
De son côté, Noël Mamère a déclaré hier qu’il irait jusqu’au bout (lire ci-dessous). Selon Me Mecary, le parquet va donc assigner, après le 5 juin, les époux devant le tribunal de grande instance. L’avocate signataire du manifeste pour l’égalité des droits imagine difficilement que le juge ne déclare pas ce mariage illégal. « De toute façon, assure-t-elle, un juge peut toujours trouver la manière de botter en touche. » Reste qu’il faudra sans doute aller jusque devant la Cour européenne. Une instance devant laquelle Me Mecary défendra ses clients en essayant de prouver que l’Etat ne peut pas s’ingérer dans ce mariage sauf trois conditions : « S’il arrive à prouver que l’ingérence de l’Etat est prévue par la loi, si l’atteinte poursuit un but légitime, si cette ingérence s’avère nécessaire dans une société démocratique. »
Traitement égalitaire. L’avocate balaie la première condition par le fait qu’il n’y a aucune définition du mariage comme étant forcément l’union de deux personnes de sexe opposé. Pour la seconde condition, il faudrait en appeler à l’obligation de protéger soit la santé, soit la morale, soit la liberté d’autrui. « Quelle morale la justice française pourrait-elle évoquer alors que l’Etat a abrogé en 1982 les dernières dipositions pénales contre les homosexuels et qu’en 1999 elle a légalisé le pacs ? », s’interroge-t-elle. Enfin, la dernière condition lui semble largement battue en brèche par la tendance européenne à rechercher un traitement égalitaire pour tous.
Pour l’anecdote, Caroline Mecary cite la liste des Etats qui ont refusé la proposition de lutte contre la discrimination présentée par le Brésil : « Le Vatican et tous les pays islamistes… »
Cette bataille juridique, qui risque de durer quelques années, est, semble-t-il, en décalage avec une partie de l’opinion publique. Les partisans des mariages homos ne se privent pas de citer les 64 % d’opinions favorables recueillies par un récent sondage Ifop. Et en cela, sans doute, les politiques et l’institution judiciaire sont-ils un peu déconnectés.
Reste la véritable question de fond : l’homoparentalité. Et là le même sondage établit, pour l’instant, une égalité des opinions à 49 % pour et 49 % contre.