Les « PMA clandestines », une réalité en France
Des lesbiennes privilégient l’insémination artisanale, afin de pouvoir recourir à un donneur de sperme connu
Julia Pascual
On n’est pas des parias, on veut avoir des enfants en France. » Virginie et sa compagne – qui ont requis l’anonymat – réfléchissent à leur projet de famille depuis plus d’un an. Les deux femmes se sont mariées il y a quelques mois mais n’ont pas le droit de recourir à une insémination artificielle avec don de sperme anonyme en France.
Cette technique de procréation médicalement assistée (PMA) leur est en revanche ouverte en Belgique ou en Espagne, mais Virginie « ne se voit pas dire à [son] enfant qu’il n’a pas de papa. On veut qu’il puisse connaître son identité et le rencontrer s’il le souhaite » . Alors, avec sa compagne, elles ont entrepris de trouver un donneur pour réaliser une insémination artisanale.
On est incapable de dire combien de personnes elle concerne, mais l’insémination artisanale est une réalité en France. Dans une enquête sur les familles homoparentales publiée en 2014 dans la revue Socio-logos , 14 % (55 sur 405) des mères ont déclaré qu’elles y avaient eu recours. « Concevoir un enfant avec l’aide d’un donneur connu devient le deuxième choix derrière la PMA » , relevait l’étude.
« Je laissais un gobelet »
C’est ainsi qu’il y a presque un an, Marie et sa compagne ont eu un garçon. Le couple a fait appel à un « ami proche » qu’elles continuent de voir « très régulièrement » . Marie justifie : « On souhaitait que l’enfant ait un père. Mais pas un père qui reconnaisse sa paternité. Ce n’est pas une famille à trois. » A son fils, Marie parle déjà de son « super-papa donneur » . « On lui dit aussi que le jour où il souhaitera passer du temps avec son papa, il pourra. C’est important qu’il sache qu’il a le choix. »
De son côté, Virginie n’en est qu’ « au tout début » de sa recherche de donneur. Elle a contacté l’association homoparentale Les enfants d’arc-en-ciel et se renseigne sur des sites en ligne : « On est tombé sur des rigolos : un homme qui voulait coucher avec un couple de lesbiennes par exemple. A chaque prise de contact, c’est beaucoup de discussions pour mettre les choses très au clair. » Virginie croit avoir le début d’un « contact sérieux » avec un homme en couple, déjà père de famille, qui agit en « soutien à la cause » . « Il va falloir se protéger mutuellement autant que possible, s’assurer qu’il renonce à ses droits en tant que père et lui assurer qu’on ne lui demandera pas de pension alimentaire ou que l’enfant ne prétendra pas à un héritage. Juridiquement, il n’y a pas de cadre. De toute façon, il n’y a rien de légal. »
« Tout se passe sous le manteau » , confirme l’avocate Caroline Mécary, spécialiste des droits des personnes homosexuelles. Ainsi, Stéphanie, qui vit en banlieue toulousaine, raconte avoir réservé une chambre d’hôtel dans laquelle elle et le donneur se croisaient. « Je laissais un gobelet dans la chambre et je m’inséminais toute seule avec une pipette de Doliprane , se souvient cette presque trentenaire. Pour ma première fille, j’y suis allée quatre ou cinq fois. Pour la deuxième, ça a marché du premier coup. » Stéphanie explique qu’elle et le donneur ont « signé un contrat, qui n’a qu’une valeur morale. Il a écrit un petit mot aux enfants, en leur expliquant pourquoi il avait fait ce choix . Chaque année, au moment des fêtes, elle lui envoie un mail avec « des nouvelles des enfants » . Lui se « dévoile peu. J’aurais voulu qu’il me donne une photo mais il n’a pas voulu .
Derrière le refus du don de sperme anonyme, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, auteure de Famille à tout prix (Seuil, 2008), décèle un « souci de transparence, d’historicité » . « Je sens cela comme une demande sociétale, ou en tout cas éthique, qui va de pair avec le refus de l’accouchement sous X et le fait que les enfants adoptés en sachent de plus en plus à propos de leurs origines. »
Cécilia et Marie, mères d’un garçon de 6 ans et de jumelles de 4 ans, ne parlent pas du donneur comme d’un « père » et ne souhaitent pas que leurs enfants puissent le contacter dans le futur. Lorsqu’il a été demandeur de photos, à Noël dernier, les deux femmes ont refusé : « On lui avait envoyé des photos des enfants bébés mais là, on n’a pas souhaité. » Si elles n’ont pas eu recours à un don de sperme anonyme à l’étranger, c’est par conviction : « Pourquoi faudrait-il suivre un parcours médicalisé, se cacher, aller à l’étranger, payer pour quelque chose de naturel et normal? Ça nous paraissait plus sain ainsi. »
« Beaucoup de couples espéraient pouvoir avoir recours à la PMA en France, observe Geneviève Delaisi de Parseval. Et parmi les déçus, il y a ceux qui se sont mariés pour pouvoir avoir un enfant dans la légalité. » Aujourd’hui, le recours à l’insémination artisanale place les parents dans une insécurité juridique. « Un peu à l’image des couples divorcés, un paquet d’histoires finissent devant les tribunaux », observe Gwendoline Desarménien, de l’Association des familles homoparentales.
Long parcours judiciaire
L’avocate Caroline Mécary a défendu plusieurs clients devant le juge aux affaires familiales. A l’image d’Erwan, un Parisien de 53 ans qui a dit « oui » à une amie et sa compagne en 2007. « Mon projet, c’était d’être le père de l’enfant, relate-t-il aujourd’hui. On a entendu ce qu’on voulait entendre chez l’autre. Moi, je l’ai fait à la confiance. » Erwan reconnaît l’enfant avant la naissance mais sa présence en tant que père a d’emblée relevé plus du « symbolique » qu’autre chose. « Jusqu’aux 5 ans de ma fille, je la voyais de temps en temps, dans un parc, de telle heure à telle heure. » En 2012, il part s’installer en province : « Je n’ai plus donné de nouvelles pendant quelques mois et, début 2013, j’ai refait signe de vie. » Le contact se fait mal, il demande à voir sa fille mais essuie plusieurs refus… jusqu’au « coup de flip » : « Je me suis dit que je ne la reverrais plus. »
S’ensuit un long parcours judiciaire, jusqu’à l’obtention, en mai, « d’un droit de visite, d’hébergement et de l’autorité parentale conjointe » . Les rapports sont demeurés conflictuels avec les deux mères : « On passe par un espace de rencontre, ça donne lieu à des discussions avec des psychologues. Avec ma fille, ça se passe bien. Je la vois tous les quinze jours. Elle m’appelle par mon prénom. Sa mère ne m’a pas du tout identifié comme le père. »
Erwan referait les choses différemment, tout comme Thomas et David. Ce couple d’hommes a eu un enfant il y a sept ans, Ruben, avec une amie célibataire « qui arrivait sur ses 40 ans » . « Il y a des tas de choses qu’on n’avait pas anticipées » , reconnaît David. Des degrés d’implication différents, des envies différentes… et ce jour où « elle n’a pas ramené l’enfant » . Après deux ans de bataille juridique, David et Thomas ont obtenu la résidence alternée. Ils ont lancé un projet de deuxième enfant. Mais cette fois, aux Etats-Unis, avec une mère porteuse et une donneuse d’ovules. Ils ne veulent pas reprendre de risque.