Gleeden peut-il nous soumettre à la tentation?

Les AFC assignent le « site de rencontres extraconjugales » Gleeden au tribunal. Le combat judiciaire s’annonce long. Et le débat sociétal, assuré.

Agnès Chareton

La guerre est déclarée. Mercredi 18 février, les Associations familiales catholiques (AFC) ont fait savoir qu’elles assignaient devant le tribunal de grande instance de Paris la société Black Divine, éditrice du site Gleeden. Dans le collimateur des AFC : les campagnes publicitaires du « premier site de rencontres pour personnes mariées » , qui revendique 2,3 millions de membres, dont plus d’un million en France. Depuis sa création il y a cinq ans, Gleeden – contraction de glee ( « jubilation » ) et eden – a multiplié les campagnes d’affichage provocatrices dans les couloirs du métro ou sur les bus, vantant l’adultère avec des slogans impertinents : « Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari? » ; « Être fidèle à deux hommes, c’est être deux fois plus fidèle. »

« Est-il légal de faire ainsi publiquement la promotion de l’infidélité dans le cadre du mariage? » , interrogent les AFC dans un communiqué. C’est désormais à la justice de trancher. « Une assignation est en cours de délivrance à Gleeden aux États-Unis » , a affirmé à La Vie Erwan Le Morhedec, avocat des AFC, aussi connu pour son blog Koztoujours. « Il ne s’agit pas d’un procès contre l’adultère, mais contre le business et la promotion de l’adultère » , argue-t-il. Les AFC ont décidé d’attaquer en faisant valoir que la fidélité est une obligation que se doivent les époux dans le mariage, en vertu de l’article 212 du Code civil. Celui-ci dispose que les époux « se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » . Si l’adultère a été dépénalisé en 1975, il reste un motif permettant de prononcer un divorce pour faute. « Nous affirmons que le contrat passé entre le site Gleeden et ses clients est nul, comme étant fondé sur une cause illicite , explique Erwan Le Morhedec. Le contrat est fondé sur une violation de l’obligation de fidélité, qui est une obligation légale des époux. »

Pour accréditer l’argument, l’avocat cite un arrêt de la Cour de cassation du 30 avril 2014 dans une affaire de divorce où la femme avait fréquenté un site de rencontres. « Il a été jugé que le seul fait de s’inscrire sur un site de rencontres quand on est marié est une faute » , insiste l’avocat. Concrètement, il demande à la justice d’annuler les contrats passés entre Gleeden et ses utilisateurs, en les remboursant et en effaçant leurs comptes. Il réclame aussi « qu’il soit fait interdiction à Gleeden de faire valoir l’argument de la relation extraconjugale, que ce soit sur des affiches diffusées dans le métro, les bus, dans la presse, jusqu’à leur site Internet » .

« nos publicités sont validées par la ratp »

Sur le fond, les AFC mettent en cause les conséquences sociales de l’infidélité. « De façon politique et quasi philosophique, la question qui est posée est de savoir si on accepte que dans l’espace public on fasse la promotion de comportements déstructurants et désagrégateurs de la société » , pointe Erwan Le Morhedec. Interrogée par La Vie , Solène Paillet, porte-parole de Gleeden, crie à la « censure » . C’est la première fois, selon elle, que Gleeden est assigné en justice. « Nos publicités sont validées par la RATP et le service juridique de Média Transports, la société à qui nous achetons les espaces publicitaires » , se défend-elle.

Caroline Mecary, avocate choisie par Gleeden pour assurer sa défense, a très vite contre-attaqué. « Les bigots et les censeurs font-ils le droit? » , ironise l’avocate, connue pour ses prises de position médiatiques en faveur du mariage homosexuel, de la PMA ou de la GPA. « Ce qui est en jeu dans cette procédure, ce sont les libertés d’expression, de choix de vie et d’opinion » , soutient Caroline Mecary dans un billet publié sur le Huffington Post, dans lequel elle compare l’affaire au Tartuffe de Molière.

Cette vague d’indignations a trouvé un écho

Depuis plusieurs mois, une fronde anti-Gleeden s’est levée chez certains catholiques, souvent proches de la Manif pour tous. Au début du mois de février, la campagne d’affichage de Gleeden sur des bus a été interrompue dans sept villes d’Île-de-France (Poissy, Rambouillet, Saint-Germain-en-Laye, Chatou, Versailles, Sèvres) suite à des plaintes d’usagers. À Versailles, la société de transport Keolis a reçu 500 réclamations en une semaine contre 900 par an habituellement. « Ces groupes-là ont trouvé un nouveau cheval de bataille. Hier, c’était le mariage pour tous, aujourd’hui, c’est Gleeden , s’offusque Solène Paillet. En 2013, nous avions dû passer devant le jury de déontologie publicitaire, suite à des plaintes d’usagers. Elles avaient été jugées infondées. » En septembre, des opérations d’arrachage des affiches de Gleeden dans le métro parisien ont été relayées sur les réseaux sociaux, et une pétition lancée par le collectif de catholiques les Précurseurs a recueilli plus de 23 000 signatures, afin d’interdire la campagne publicitaire incriminée.

Cette vague d’indignations a trouvé un écho auprès de nombreux élus locaux. Dans une tribune publiée par Le Figaro au lendemain de l’annonce de l’assignation en justice de Gleeden, 170 élus d’Île-de-France, dont plusieurs maires, font part de leur colère… à la RATP. « Choqués » par la campagne publicitaire de Gleeden, une « atteinte à la fidélité, socle de la confiance dans le mariage républicain » , ils reprochent aussi à la RATP de diffuser une publicité qui « porte atteinte à [leur] parole d’élu et donc à [leur] mission de service public. » La justice, elle, ne se penchera pas sur l’affaire avant plusieurs mois.