Adoption pour tous : les juges récalcitrants prennent une claque

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En appel, 6 enfants nés par PMA et 12 mères, passés entre les mailles de la loi Taubira, voient leur situation familiale sécurisée, après un long feuilleton juridique.

Catherine Mallaval

Dragées pour tous ? Six enfants laissés pour compte de la loi autorisant le mariage et l’adoption pour tous, vont pouvoir être élevés sereinement, en toute protection juridique, par leurs deux parents respectifs : des femmes. Mardi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence et, jeudi, celle de Versailles ont «fait droit aux demandes d’adoption» de six couples. Et ainsi fait des épouses des mères biologiques, des mères à part entière aux yeux de la loi. Un happy end à un mauvais feuilleton judiciaire qui durait depuis plus d’un an.

«C’est simplement le droit qui s’applique, comme il aurait dû l’être depuis le vote de la loi Taubira», commente Me Caroline Mécary qui défendait l’un des couples de femmes devant la cour d’appel du tribunal de grande instance de Versailles. C’est l’histoire, classique, d’un couple qui, après quinze ans de vie commune, fait «un projet parental», comme on dit dans les tribunaux. L’une des femmes a recours à l’étranger à une PMA (procréation médicale assistée), en l’occurrence un don de sperme. Naissance d’une petite fille en 2005. Depuis, la mère biologique et sa compagne, élèvent ensemble leur enfant. Mariées dans la foulée de la loi «mariage et adoption pour tous», votée en mai 2013, elles lancent une demande d’adoption pour que la mère non biologique, et donc «sans droit», puisse avoir une existence légale, et ainsi mieux protéger leur fille (dans la vie de tous les jours, mais aussi en cas de décès de la mère biologique).

Le 29 avril 2014, patatras : le tribunal de grande instance (TGI)de Versailles refuse l’adoption. Mais de quel droit ? Dans les deux affaires d’Aix et les quatre cas de Versailles, le motif est le suivant : le mode de conception de l’enfant. Soit un recours à une PMA à l’étranger, droit dont les lesbiennes sont toujours privées en France.

«Intérêt supérieur». Questions : un juge a-t-il le droit d’aller demander ce qui se passe dans le lit des gens, d’entrer dans leur intimité, de les questionner sur la façon dont ils font les bébés ? N’est-ce pas simplement l’ «intérêt supérieur de l’enfant» qui seul doit primer ? Le débat est lancé. Et l’interrogation soumise par les TGI d’Avignon et de Poitiers à la plus haute juridiction de notre pays : la Cour de cassation. En septembre 2014, l’avis (seulement un avis, mais quand même) très attendu de la cour tombe. Au nom justement de l’intérêt supérieur de l’enfant, le recours à une PMA à l’étranger ne saurait être un obstacle à l’adoption. Et vlan dans les jugements de ceux qui traînaient les pieds (heureusement pas la majorité des tribunaux) sur ces affaires d’adoption pour tous. Les cours d’appel de Versailles et d’Aix ont manifestement tenu compte de cet avis.

«Harcèlement». Les parquets, comme ils en ont le droit, peuvent-ils à leur tour faire appel ? A l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), on espère que le débat est clos. «Nous espérons bien que le ministère public ne va pas former de pourvoi en cassation. Les tribunaux d’Aix et de Versailles ont fait de la résistance jusqu’au bout contre l’adoption pour tous. Il est grand temps que ce harcèlement judiciaire cesse. Ces familles, comme les autres, ont besoin de tranquillité», explique Dominique Boren, coprésident de l’APGL. Avant de pointer, le gros problème qui fâche, toujours là en suspens.

Si la loi Taubira a ouvert le mariage et l’adoption à tous, elle a soigneusement contourné – belle hypocrisie – la question de la conception de ces enfants, à une époque où les possibilités d’adopter à l’étranger se réduisent comme une peau de chagrin. Sans même évoquer le sujet de la gestation pour autrui interdite en France et de plus en plus taboue au sein du gouvernement, pourquoi ne pas avoir ouvert la PMA à toutes (y compris les célibataires) ? C’est bien la question que posent l’avocate Caroline Mécary, l’APGL et tant d’autres, comme toutes ces femmes qui ont signé le manifeste des «343 fraudeuses» (fraudeuses car ayant eu recours à une PMA en Belgique, Espagne etc.) publié par Libération le 6 juin 2014.

Pour tous ceux-là, la loi a un goût d’inachevé. Et d’amertume aussi, quand on sait que, mardi, la cour d’appel d’Aix invoque au sujet de la PMA le principe de libre circulation des personnes dans l’accès aux soins en Europe, alors que la France refuse de l’autoriser chez elle. Non sans un certain agacement, l’APGL a rappelé jeudi qu’elle attend toujours «d’être auditionnée sur ce sujet par le Comité consultatif national d’éthique» . Comité auquel le président Hollande a refilé le bébé depuis le printemps 2013. Et dont on attend un avis,sans cesse reporté. PMA, comme promesse magistralement abandonnée ?