Les parents homosexuels sont déjà devant les juges.

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Pacs. Les parents homosexuels sont déjà devant les juges. Si le Pacs n’évoque pas la possibilité pour les couples homosexuels d’élever des enfants, la question risque d’être au centre des débats qui reprenaient ce mardi à l’Assemblée nationale. Quelles sont aujourd’hui les réponses des tribunaux ? Le débat autour du Pacs.

GOMEZ Marianne; MASSON Marie-Françoise

Les familles « homoparentales » sont d’ores et déjà parmi nous, même si elles n’ont pas encore une grande visibilité. Comment l’enfant s’accommode-t-il de vivre avec deux adultes de même sexe ? Contrairement aux Etats-Unis, la France ne dispose pas d’études sur la question. En revanche, l’examen des décisions rendues par les juges en cas de contentieux est fort éclairant. Il permet, en effet, de se faire une idée de la façon dont notre société aborde la question essentielle de « l’intérêt de l’enfant ».

Les meilleures garanties pour l’enfant

La plupart des situations de parenté homosexuelle sont issues de la séparation d’un couple hétérosexuel avec enfant, l’un des deux membres du couple ayant ensuite noué un lien homosexuel. En cas de conflit entre les ex-époux, les juges ont alors à trancher les questions habituelles : exercice de l’autorité parentale, fixation de la résidence, droit de visite et d’hébergement.

L’étude des décisions rendues depuis quinze ans par les cours d’appel – une trentaine – montre que si les juges sont en général peu enclins à accorder des droits au parent homosexuel, c’est pourtant parfois cette solution qu’ils privilégient. Ainsi, lorsque le parent concerné est une femme. Les tribunaux n’hésitent pas, dans la moitié des dossiers concernant des mères lesbiennes, à fixer la résidence des enfants chez celles-ci, alors que seulement le quart des décisions sont favorables aux pères homosexuels. Ils considèrent qu’un enfant a besoin de sa mère, alors que l’homosexualité masculine entraîne à leurs yeux un risque de perversion : ainsi le 20 mai 1996, la cour d’appel de Paris a limité le droit de visite d’un père, afin de « conjurer les risques d’exemples pernicieux pour l’enfant ».

Néanmoins, les pères réussissent parfois à faire valoir leurs droits. Le 25 avril 1991, la cour d’appel de Pau a admis « que l’autorité parentale pouvait être attribuée au père homosexuel vivant en couple stable avec un autre homme, l’enquête sociale ayant établi l’épanouissement de l’enfant auprès de son père… alors qu’il était beaucoup plus perturbé dans le foyer de sa mère vivant en concubinage avec un homme (1) ». On le voit, les juges mettent en balance l’homosexualité avec d’autres considérations, tel l’équilibre psychologique des parents. La preuve, à deux mois d’intervalle, en 1992, la cour d’appel de Nîmes a rendu deux décisions différentes concernant des mères homosexuelles, regardant dans les deux cas quelle situation offrait les meilleures garanties pour l’enfant.

La situation est de plus en plus fréquente

Que se passe-t-il maintenant lorsque le projet d’enfant a été conçu, non plus seulement au sein d’un couple, mais d’une véritable petite communauté homosexuelle ? La situation existe, elle est même de plus en plus fréquente, et pourrait donner lieu dans l’avenir à des imbroglios juridiques sans précédent, comme en témoigne l’affaire examinée par la Cour de cassation le 9 mars 1994. Roger X… et Régine Y sont, chacun, engagés dans une liaison homosexuelle. Désirant être mère, Régine entre en relation avec Roger, qui veut, de son côté, être père. Leur enfant est procréé par insémination artificielle. Une fillette, Julie, naît

le 13 juin 1988, reconnue par ses deux parents un mois avant sa naissance. Cependant, la mère entend bientôt élever seule l’enfant avec sa compagne. Et, pour échapper au père, quitte la région. Roger saisit alors la justice pour obtenir l’exercice en commun de l’autorité parentale qu’il obtient, nonobstant le fait que l’enfant a été conçue dans le cadre d’une entente illicite.

Reste l’adoption. Aujourd’hui interdite à tout couple non marié, elle est autorisée, en revanche, aux célibataires. Pourquoi ? A l’origine, en 1966, il s’agissait de reconnaître les familles monoparentales. La loi de 1996 a reconduit cette possibilité, estimant que cela permettait à certains enfants – handicapés, par exemple – de trouver plus facilement un foyer. Cela donne théoriquement le droit à un(e) homosexuel(le) d’adopter. Dans les faits, qu’en est-il ? Il est par définition impossible de savoir dans combien de cas l’administration accorde un avis favorable en toute connaissance de cause. En revanche, on sait que lorqu’un homosexuel saisit les tribunaux après un refus d’agrément, il n’a pratiquement aucune chance d’obtenir gain de cause, surtout depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 octobre 1996.

Le Conseil d’Etat

a refusé

Celui-ci concernait un certain Philippe F…, professeur agrégé de 37 ans, « pourvu de qualités éducatives et humaines certaines », qui demande à adopter un enfant, sans rien cacher de son homosexualité. Le Conseil d’Etat a refusé l’adoption, en suivant les arguments développés par le commissaire du gouvernement, Christine Maugué. Certes, disait-elle, « le droit de toute personne à mener la vie sexuelle de son choix ne saurait être contesté », et l’homosexualité « ne présume pas d’une incapacité à exercer des droits parentaux ». Mais « une chose est de maintenir un lien de parenté entre un enfant et son père et sa mère qui se séparent, une autre est de permettre l’établissement d’un lien familial ex nihilo entre un enfant et un adulte.

Or, l’enfant adopté a d’autant plus besoin de bénéficier d’un environnement familial épanouissant qu’il a été privé de sa famille d’origine et a déjà un passé douloureux : il importe donc qu’il ne trouve pas une difficulté supplémentaire dans son milieu d’adoption ». D’autant, concluait Christine Maugué, que « le corps social ne nous paraît pas prêt à admettre qu’un enfant soit confié à certaines personnes ». Cet arrêt a officiellement fermé la porte à l’adoption homosexuelle. « Il ne fait pas de doute, dit Caroline Mécary (1), qu’à de rares exceptions, l’agrément sera refusé. » D’ailleurs, peu après, le Conseil d’Etat a confirmé sa jurisprudence à l’encontre d’une femme lesbienne qui, le 12 février 1997, s’est vu refuser l’agrément selon une motivation identique.

Pourquoi, dès lors, les députés semblent-ils redouter avec le débat sur le Pacs une inévitable avancée vers l’adoption homosexuelle ? D’abord, parce que le concepteur du texte lui-même, Jean-Pierre Michel (député MDC, Haute-Saône), déclarait le 9 octobre, à l’ouverture du débat, en réponse au professeur Jean-François Mattei (DL, Bouches-du-Rhône) : « C’est vrai qu’un débat s’impose. Pour ma part, je n’ai jamais entendu un seul argument qui m’explique que l’intérêt de l’enfant est d’avoir comme modèle un homme et une femme. » Ensuite, on l’a vu, parce que la communauté homosexuelle revendique de plus en plus un droit à l’enfant. Ainsi, Philippe F…, débouté par le Conseil d’Etat, n’a pas hésité à saisir la Cour européenne des droits de l’homme, fondant sa requête sur le « droit à la vie familiale ». Si la France était condamnée, elle devrait inévitablement changer sa jurisprudence en matière d’adoption.

La question de la filiation se pose

Enfin, parce que le garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, a annoncé lors du débat du 8 novembre, à l’Assemblée nationale, que « l’adoption par les couples hétérosexuels sera examinée par le groupe de travail sur la famille » de la chancellerie. Certains craignent que si l’on ouvre l’adoption aux concubins hétérosexuels, on puisse difficilement l’interdire longtemps aux concubins homosexuels – les associations parlent d’ailleurs déjà d’attitude « discriminatoire ».

En fait, derrière la question « un homosexuel peut-il être ou non un bon parent ? », c’en est une autre, beaucoup plus redoutable, qui est posée : celle de la filiation. Car si, un jour, l’état civil d’un enfant le rattache à deux pères ou deux mères, ce sera alors, comme l’a dit Françoise Dekeuwer-Défossez, qui préside le groupe de la famille constitué à la chancellerie, « toutes les structures de la parenté qui auront été démolies ».

Marianne GOMEZ et Marie-Françoise MASSON

(1) Dans Les Droits des homosexuel(le)s, PUF, « Que sais-je ? » numéro 3367.