Les mariés de l’an II
par Renaud Machart
Au côté, notamment, des avocats Caroline Mécary et Emmanuel Pierrat (qui avaient accompagné juridiquement le premier mariage homosexuel – peu après annulé par les tribunaux – célébré à Bègles par Noël Mamère en 2004), Michel Field, pour son « 17-20 » sur LCI, mercredi 29 mai, avait eu la bonne idée d’inviter Marie-Hélène Bourcier. La sociologue et militante gay est une dure à cuire qui n’est pas en osmose béate avec le discours ambiant « gai, gai, marions-les » . (Position difficile à tenir entre la nécessaire régularisation légale en vue d’une parfaite égalité de droits et le discours homophobe rampant des dames à colliers de perles, de leurs époux modèles et de leurs enfants bien peignés qui ânonnent, à force de bourrage de crâne, devant les caméras : « Une famille, c’est un papa et une maman… » )
Marie-Hélène Bourcier est une éminente représentante de la théorie queer en France, un mode radical de pensée qui fait florès dans les universités nord-américaines, distingue genre social et sexe biologique et bat en brèche l’idée selon laquelle la sexualité serait déterminée génétiquement. Bourcier est rugueuse, un peu fumeuse parfois (Michel Field rigolait en se proposant de faire la traduction de ses propos), pas aimable (on ne l’imagine pas du tout prendre le thé avec Béatrice Bourges, porte-parole du Collectif pour l’enfant).
Cette mauvaise herbe délicieusement acide aux airs d’ado attardée est, en dépit des apparences, une parfaite représentante de la génération post-68, au discours coruscant que peu de jeunes homosexuels partagent – et comprennent – aujourd’hui : la différence doit s’affranchir des modèles sociaux dominants et, parmi ceux-ci, du mariage, symbole du monde hétérosexuellement normé. (J’espère résumer à peu près correctement ce que mes copines activistes des années 1970 finissantes m’ont appris.)
Tout ceci n’est guère dans l’air du temps et l’exprimer même, alors qu’il est fréquent d’entendre réclamer un « droit à l’indifférence », vous vaut les foudres. D’ailleurs, les épousailles télévisées de Vincent Autin et Bruno Boileau, avaient tout d’un mariage dans les règles, avec juste une armée de reporters du monde entier venus constater comment se passait la première union homosexuelle enfin autorisée par le treizième pays à la légaliser. (Je n’ose imaginer comment Léon Zitrone aurait commenté la chose.)
Ils ont l’air parfait, ces deux garçons. Ils ont eu des mots justes – comme l’étaient ceux d’Hélène Mandroux, maire de Montpellier, qui célébrait l’union. Mais je ne peux m’empêcher de citer l’inénarrable Marie-Hélène Bourcier, qui, sans vouloir malheur au nouveau couple, rejoignait l’avis « mal-pensant » exprimé par Catherine Deneuve, il y a peu au « Petit journal » de Canal+ : « Est-ce qu’on va en faire autant pour le divorce? »