Gestation pour autrui : circulez, y a (presque) rien à voir

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La circulaire de Taubira demande aux tribunaux d’accorder un certificat de nationalité française aux enfants nés à l’étranger. Sans autoriser la GPA.

Catherine Mallaval; Marie Piquemal

Est-ce une bourde ou est-ce délibéré ? Toujours est-il que l’irruption d’une circulaire de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, sur la nationalité des enfants nés à l’étranger de mères porteuses, quelques heures après l’ouverture du débat parlementaire sur le mariage pour tous, a bigrement fait gronder la droite. Hier, dès potron-minet, le président des députés UMP, Christian Jacob, écrivait à François Hollande pour demander «le retrait» de la circulaire, tandis que ses collègues Daniel Fasquelle et Guillaume Larrivé se promettaient de l’attaquer devant le Conseil d’Etat. En fond sonore, des cris d’orfraie de la droite. Sérieusement, la circulaire est-elle un premier pas vers la gestation pour autrui, interdite par le code civil et passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende ?

La circulaire Taubira est-elle une bombe ?

D’abord, l’effet de (mauvaise) surprise surjouée par l’opposition ne tient pas. Christiane Taubira avait annoncé «réfléchir» à cette circulaire il y a quinze jours en commission des lois. Ensuite, son contenu ne sent pas la poudre. Elle demande aux tribunaux d’accorder aux enfants nés à l’étranger, par GPA ou pas, un certificat de nationalité française (CNF, un document faisant office de preuve). Alors que certains procureurs refusaient jusque-là de l’accorder lorsqu’ils suspectaient le recours à une mère porteuse. Résultat : des enfants ne pouvant obtenir une carte d’identité ou un passeport. «Au fond, cette circulaire ne fait que rappeler la loi, c’est-à-dire qu’un enfant est français si au moins l’un de ses parents est français», résume l’avocate spécialiste Caroline Mécary. « C’est néanmoins une avancée , un début de reconnaissance de nos enfants, même si on s’arrête en chemin», estimait hier Sylvie Mennesson, 48 ans. A la tête de l’association Clara (1), avec son époux, elle bataille depuis des années pour que la justice reconnaisse leur filiation avec leurs jumelles nées en 2000 aux Etats-Unis d’une Californienne qui leur a fait «un don de grossesse» . Atteinte d’une malformation congénitale de l’utérus, Sylvie Mennesson n’a pas pu «porter» ses filles : «Cette circulaire est une façon de reconnaître l’existence de ces enfants jusque-là « fantômes » sur notre territoire. Depuis leur naissance, nos deux filles n’ont qu’un passeport américain. Nous allons enfin pouvoir leur obtenir des papiers français.»

Combien d’enfants sont-ils concernés ?

La GPA étant illégale, il n’existe bien évidemment aucune estimation officielle du nombre d’enfants ainsi nés. Soit de couples hétéros connaissant des difficultés à procréer (en raison d’une malformation de l’utérus, à la suite d’un cancer ou d’un accouchement à problème), soit de couples gays. «Au total, on estime qu’il y a entre 500 et 800 naissances par GPA chaque année», rappelait hier Alexandre Urwicz, coprésident de l’association des familles homoparentales (ADFH) qui accompagne des personnes concernées par la gestation pour autrui (GPA). Pour autant, ces enfants ne sont pas tous des apatrides. Certains ont obtenu sans mal leur CNF, d’autres vivent très bien avec un passeport étranger… Selon la chancellerie, seuls 44 cas d’enfants (entre 2008 et 2011) poseraient problème.

Pourquoi maintenant ?

Cette circulaire «serait tombée dans quinze jours, peut-être que ça nous aurait épargné cette espèce de psychodrame sans fondement», commentait hier Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée. «Il n’y a pas la moindre modification de la position ni du président de la République ni du gouvernement. La GPA dans notre droit est interdite, ça ne fait pas débat» , a eu beau rassurer hier la garde des Seaux, le coup était parti. «Moi, j’aurais été surpris que la France ne fasse rien, alors que le Parlement européen doit rendre un mars un rapport sur les enfants nés de GPA quand les pays ne l’autorisent pas, expliquait hier Alexandre Urwicz. Nous aurions risqué d’être les derniers de la classe, en continuant à faire de la discrimination sur l’origine procréative des enfants. En Allemagne et en Espagne, où la GPA est interdite, les enfants peuvent obtenir un passeport ou une carte d’identité sans souci.» De fait, cette affaire de «nationalité» concernant les enfants nés de GPA est une préoccupation du PS de longue date. Comme le déclarait déjà à Libération, pendant la campagne présidentielle, Marisol Touraine, aujourd’hui ministre de la Santé : « Il faudra trouver une réponse juridique sans pour autant inciter à la GPA.»

(1) Clara (Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et l’aide à la reproduction assistée)