Le harcèlement sexuel perd sa loi

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Le Conseil constitutionnel a abrogé l’article sanctionnant ce délit, au grand dam des victimes.

Catherine Mallaval

Un harceleur qui a eu la peau de l’article phare du code pénal sur le harcèlement sexuel, ça ressemble à un comble. C’est pourtant ce qui vient de se passer. Gérard Ducray, 70 ans, ancien député du Rhône (Républicains indépendants) et maire adjoint de Villefranche-sur-Saône, condamné en appel en 2011 pour harcèlement sexuel à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende, avait saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l’article 222-33 définissant le délit de harcèlement. Vendredi, il a obtenu gain de cause. Cet article disposant que «le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende» n’est plus. Les Sages l’ont abrogé.

«Tout le monde en convenait, la formulation de cet article était trop floue, se contentant de dire que le harceleur est celui qui harcèle», nous justifiait vendredi le Conseil constitutionnel. La décision sera publiée ce week-end au Journal officiel. Et l’article rayé illico du code pénal. Charge à l’Assemblée nationale qui sortira des urnes en juin d’en rédiger une nouvelle version. Mais que se passera-t-il dans l’intervalle ?

VIDE. Libre aux harceleurs de harceler en toute impunité ? Las, il y a de cela. «Toutes les poursuites pénales engagées sur la base de cet article tombent quand l’affaire n’a pas été définitivement jugée. Que ce soit à la suite d’un premier jugement ou pas, ou en cas d’appel en cours. Cette décision crée un vide juridique, analyse le juriste Michel Miné, du Conservatoire national des arts et métiers. Pas total, puisque les poursuites concernant des affaires de harcèlement dans les entreprises privées intentées sur la base des dispositions civiles du code du travail ne sont pas impactées. Mais, pour toutes les autres qui se sont déroulées dans la fonction publique, à l’université, etc., c’est brutal, radical de supprimer ainsi immédiatement une disposition essentielle du code pénal.»

Pour l’avocate Caroline Mécary, «sur le plan des principes, cette décision est respectueuse du principe de légalité des délits et des peines, qui prévoit que le législateur définisse les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis. Mais c’en est fini de toutes les procédures en cours, alors qu’il faut beaucoup de courage pour engager ce genre de poursuite. D’un point de vue humain, c’est catastrophique».

«C’est un message d’impunité d’une extrême gravité à l’égard des harceleurs. C’est absolument catastrophique pour les victimes qui ont des procédures en cours, c’est terminé pour elles, les personnes qu’elles ont accusées peuvent sabrer le champagne», déplore Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (1).

L’association s’était pourtant jointe à la QPC, soucieuse de ne pas laisser la parole au seul Gérard Ducray : «Depuis vingt ans, nous disons que cet article n’est pas bien rédigé et devrait être modifié en s’inspirant de la directive européenne de 2002, beaucoup plus précise, explique Marilyn Baldeck. Dans le fameux article 222-33, il est incroyable notamment que le législateur ait utilisé le mot « faveur », terme qui appelle le consensuel, le consenti, la séduction. Il est aussi impensable que ce délit soit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, à savoir trois fois moins que pour un vol de portable ! Il y avait un vrai souci de définition qui a permis de classer sans suite nombre d’affaires, voire de déqualifier des actes d’agressions sexuelles en harcèlement.»

Distinction. L’association souhaitait une abrogation différée, afin d’éviter tout vide juridique. «C’est ce que les Sages ont fait quand, en 2010, ils ont accordé près d’un an au législateur pour revoir la loi sur la garde à vue», souligne Michel Miné. «Cela est possible quand il s’agit de lois de procédure, pas pour les lois d’incrimination [qui définissent des comportements punissables, ndlr] », explique Caroline Mécary, qui déplore : «Il va falloir des mois avant qu’un nouveau texte soit adopté.» Et ce même si, vendredi, François Hollande s’est engagé, s’il est élu, à inscrire cette nouvelle loi «le plus rapidement possible à l’agenda parlementaire».

En attendant, la décision du Conseil constitutionnel «a été soumise à l’analyse des services de la chancellerie», a indiqué un porte-parole. Le ministère de la Justice «adressera rapidement aux parquets une circulaire précisant les conséquences de cette décision sur les procédures en cours». Une distinction pourrait s’opérer entre les procédures au stade de l’enquête et celles dont les tribunaux sont déjà saisis. Quant à Gérard Ducray, pourtant sanctionné pour avoir poussé trop loin la drague envers trois femmes fonctionnaires territoriales, il a déclaré, vendredi : «Je suis très heureux» de cette décision. Un comble.

(1) L’association appelle à manifester à 11 heures ce samedi, près du Conseil constitutionnel, métro Palais-Royal.