Le droit face aux « enfants fantômes de la République »

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Les enfants nés de mères porteuses sont des héritiers comme les autres. C’est le sens de la lettre adressée le 13 avril au président du Conseil supérieur du notariat par la Direction des affaires civiles et du Sceau et que Le Figaro a pu consulter. Cette reconnaissance indirecte mais très pragmatique de leur filiation est-elle paradoxale alors que la GPA reste interdite en France et que Manuel Valls l’a qualifiée en octobre 2014 de « pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes » ? Sur le dossier politiquement très sensible de la GPA, la Chancellerie se livre à un exercice d’équilibriste. Il consiste à reconnaître des droits aux enfants issus d’une gestation pour autrui (GPA) effectuée à l’étranger mais en se gardant bien de se prononcer sur la transcription de leur acte de naissance étranger à l’état civil français.

Dans ce courrier, la Direction des affaires civiles et du Sceau tire les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en juin 2014, pour avoir refusé de reconnaître l’identité d’enfants conçus par GPA aux États-Unis. La lettre rappelle d’ailleurs que la CEDH a pointé « les conséquences successorales moins favorables auxquelles sont soumis ces enfants en l’absence de reconnaissance du lien de filiation les unissant à leurs parents d’intention » . Et de conclure que « le seul recours à une convention de gestation pour autrui ne peut d’emblée conduire le notaire à écarter ces enfants de leur qualité d’héritier de la succession de leurs parents, dès lors que le lien de filiation avec ces derniers résulte de leur acte de naissance étranger quand bien même il ne serait pas procédé à la transcription de ces actes sur les registres français de l’état civil » .

Le 25 janvier 2013, la très polémique « circulaire Taubira » , sortie en plein débat sur le mariage pour tous, demandait de faciliter l’obtention de certificats de nationalité pour les enfants de pères français nés de mères porteuses à l’étranger. Contestée par près de 60 députés UMP et plusieurs associations, le texte a finalement été validé par le Conseil d’État en décembre dernier.

Nationalité française, héritage : peu à peu, les droits de ceux que les partisans de la GPA appellent « les enfants fantômes de la République » sont donc officiellement reconnus. Mais sans pour autant qu’un livret de famille ne leur soit accordé. Une demande désormais érigée en symbole par les défenseurs de la GPA comme par ses opposants.

Près d’un an après la condamnation de la CEDH, le parquet de Nantes, chargé de la transcription à l’état civil des actes de naissance étrangers, bloque en effet toujours les demandes et se dit dans l’attente d’instructions de la Chancellerie… qui préfère rester silencieuse. « La reconnaissance de ces enfants passe par la transcription de leur acte de naissance à l’état civil mais il y a une volonté manifeste de trouver des solutions alternatives » , déplore Me Patrice Spinosi, l’avocat du couple Mennesson, emblématique de la bataille pour la reconnaissance des enfants nés de mère porteuse, qui dénonce « l’hypocrisie » de la manoeuvre.

Dans les semaines à venir, la question lancinante des enfants nés de mère porteuse à l’étranger devrait revenir une nouvelle fois sur la table. « Début mai, le TGI de Nantes doit rendre plusieurs décisions sur ces refus de transcription du parquet » , rappelle Me Caroline Mécary, avocate de trois couples. Le 19 juin prochain, ce sera à la Cour de cassation de se prononcer sur l’épineuse question de la transcription dans deux dossiers. Après la condamnation de la France par la CEDH, ses arrêts sont particulièrement attendus.

Droit à l’héritage et obtention de la nationalité française : danger ou atout dans la lutte contre la GPA ? Les avis divergent. L’association Juristes pour l’enfance, composante de la Manif pour tous, y voit un rempart contre une ample reconnaissance des effets des contrats de mères porteuses . « L’absence de transcription des actes de naissance ne porte pas préjudice aux enfants issus de GPA réalisées à l’étranger puisqu’ils ont accès à la nationalité française et peuvent hériter » , plaide-t-elle. À l’inverse, certains opposants à la légalisation de la GPA redoutent que l’obtention progressive de droits pour les « enfants fantômes de la République » constitue une pente glissante vers la tolérance des contrats de mères porteuses et mène, in fine, à leur légalisation.