GPA: des centaines d’enfants attendent leur livret de famille
En dépit d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, l’administration bloque toujours la délivrance d’actes de naissance français. Des documents auxquels «Libération» a eu accès en attestent.
Catherine Mallaval
C’est un «courrier formel», un «rappel concernant les dossiers de GPA», adressé à une vingtaine de consulats français à l’étranger (Los Angeles, Vancouver…). Un texte officiel qui invite à refuser aux parents soupçonnés d’avoir recouru à une gestation pour autrui dans des pays qui l’autorisent de transcrire les actes de naissance étrangers de leurs enfants dans les registres français de l’état civil. Et donc de figurer sur un livret de famille, comme tous les enfants de France. Ce «courrier» nous a été fourni alors que la France, condamnée en juin par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur trois cas d’enfants nés de GPA privés d’actes de naissance français, doit ce vendredi montrer qu’elle a tenu compte du soufflet européen. Et adresser un bilan de son action.
Dans ce document daté du 19 janvier, parti de la sous-direction de l’état civil et de la nationalité, rattachée au ministère des Affaires étrangères, il est clairement expliqué à l’officier d’état civil des consulats qu’il doit «en cas de suspicion de recours à une gestation pour autrui saisir le parquet de Nantes» et se référer à la «fiche réflexe» sur la GPA. Une fiche réflexe ? Oui, un texte, que l’on nous a également fourni, censé donner à l’officier d’état civil de bons… réflexes. En clair, se méfier des parents ayant une «volonté de retour précipité en France» ou un certain comportement «à l’égard du poste (refus de coopération, menaces)» . Et d’inviter à «procéder à des auditions, si possible séparées» du (ou des) parents et de la mère supposée porteuse. Cette fiche interdit aussi la délivrance de documents de voyage aux enfants alors que le Quai d’Orsay a été condamné sur ce point par le Conseil d’Etat en 2011. Tant de zèle est-il de circonstance ? Au-delà des débats idéologiques sur la GPA, explications.
La France est-elle dans les clous?
Certes, le recours à une GPA sur le sol français est interdit par la loi. Et ce, que les parents soient confrontés à un problème de stérilité (femme privée d’utérus…) ou encore homosexuels. Mais la France peut-elle pour autant faire des enfants ainsi nés (ils sont environ 2 000 selon les associations) des «fantômes de la République», pour reprendre une expression désormais consacrée ? La condamnation par la CEDH était justement censée rebattre les cartes. Si dans ses deux arrêts (portant sur les jumelles de la famille Menneson et la fille de la famille Labassée), la Cour ne se prononçait aucunement sur l’opportunité d’interdire ou pas la GPA, elle estimait, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’un Etat européen ne peut refuser d’accorder sa nationalité et ses liens juridiques de filiation à un enfant né d’une GPA. Or, comment établir ce lien de filiation ? Normalement, en transcrivant l’état civil étranger légalement établi. La France qui avait trois mois pour faire appel de la condamnation de la CEDH ne l’a pas fait. Qui ne dit mot consent, et les décisions de la Cour invitant à donner des identités complètes aux enfants devaient alors entrer en vigueur dès septembre 2014. Et?
Y a-t-il eu des avancées?
Seule concession aux enfants nés de GPA, la circulaire dite Taubira, demandant aux procureurs des tribunaux d’instance et aux greffiers de leur délivrer des certificats de nationalité française, commence à être appliquée. La ministre de la Justice l’avait signée le 25 janvier 2013. Contestée par des députés UMP et cinq associations, le Conseil d’Etat l’a clairement validée en décembre dernier. Depuis, après des mois d’attente, le fameux certificat, sésame pour obtenir une carte d’identité notamment, commence à être délivré. «Il y a encore des blocages de-ci de-là, mais c’est en voie d’uniformisation», selon Patrice Spinosi, l’avocat de Sylvie et Dominique Mennesson. Bravo la France?
Qu’est-ce qui bloque?
Le chemin est à moitié parcouru. Car sur la question de la reconnaissance de la filiation des enfants, rien n’a bougé. Les transcriptions d’états civils sont intentionnellement bloquées par les consulats comme l’attestent les documents que nous publions sur notre site. Et une fois les demandes transmises au procureur-adjoint du tribunal de grande instance de Nantes, le cauchemar continue. Au choix : un refus ou une décision de «surseoir». «Il y a une volonté de traîner les pieds au maximum. On est bloqué. Et des tas d’enfants sont comme un oiseau sur la branche», se désole Me Spinosi, qui évoque des problèmes d’héritages en cas de décès de l’un ou des parents et «une vie de tracasseries administratives à prouver son ascendance» .
L’avocate Caroline Mécary, sur la même ligne, poursuit actuellement la France devant la CEDH dans trois nouveaux dossiers d’enfants qui n’ont pas obtenu de transcription. Y aura-t-il un jour un heureux épilogue ? Nombreux espèrent que, loin des «blocages» d’un Manuel Valls subitement devenu hostile à la GPA en octobre (à la veille d’un défilé de la Manif pour tous) et à une transcription automatique des actes de naissance des enfants ainsi nés, la Cour de cassation aura une ligne claire. Elle doit statuer en juin sur deux dossiers relatifs à un refus de transcription. Encore des enfants qui attendent de figurer sur le livret de famille de leurs parents.
publié par Liberation.fr