La tension monte à J – 3

MARIAGE HOMOSEXUEL. Jean-Pierre Raffarin menace Noël Mamère de suspension

Le Premier ministre en appelle à la justice. Le maire de Bègles aussi. Répondant à une question d’un élu de la majorité à l’Assemblée nationale, Jean-Pierre Raffarin a soutenu que Noël Mamère encourrait des sanctions s’il persistait à procéder, samedi prochain, au mariage de deux homosexuels, arguant que « le Code civil ne permet, ni n’autorise le mariage de deux personnes d’un même sexe ». Ce à quoi Me Caroline Mecary, une des avocates du manifeste pour l’égalité des droits, répond que le Code civil ne donne aucune définition exhaustive du mariage.

« Tout élu qui ne respecterait pas la loi dans ce contexte, qui ne respecterait pas le Code civil, encourrait les sanctions prévues par la loi », martèle Jean-Pierre Raffarin. Un argument qui n’entame pas l’impavidité de l’avocate : « Il n’existe aucun texte pénal dans ce domaine. La seule personne qui puisse encourir quelque chose, c’est le religieux qui célébrerait le mariage dans un lieu de culte avant que l’union ait été prononcée civilement. »

Interdiction du procureur. La semaine dernière, le procureur de la République de Bordeaux avait fait savoir au maire « qu’il formait opposition à ce mariage » et lui « faisait interdiction en tant qu’officier d’état civil de le célébrer ». Une menace qui n’a eu aucun effet sur la décision de l’élu. Au contraire, celui-ci déclarait alors à « Sud Ouest » (notre édition du 28 mai) : « Ce mariage sera inscrit sur le registre d’état civil, malgré l’opposition du procureur. » Une inscription qui peut coûter 1 500 euros d’amende au maire pour retranscription d’un acte illégal.

Le lendemain de l’interdiction, le parquet faisait monter la tension d’un cran en envoyant aux élus de la majorité béglaise trois huissiers chargés de leur remettre une copie de la décision du procureur, le document spécifiant que « la différence de sexe entre époux est une condition de fond essentielle à l’existence et à la validité du mariage ». La venue des huissiers a d’ailleurs permis aux différentes sensibilités de s’exprimer. Le premier adjoint Michel Mercier (PS) y a vu conforter son opinion que Noël Mamère aurait dû consulter son Conseil municipal avant de décider de célébrer ce mariage. Le deuxième, Frank Joandet (société civile), se rangeant derrière le premier magistrat en affirmant que s’il était empêché de célébrer ce mariage, d’autres dans son équipe s’en chargeraient.

Mais, devant les députés, Jean-Pierre Raffarin est allé plus loin. Il a évoqué une possible suspension du maire de ses fonctions d’officier d’état civil, voire un décret de révocation pris en Conseil des ministres.

La justice européenne. A tout cela, l’élu incriminé et son conseil, Me Mecary, opposent une ligne de défense : « La loi et rien que la loi. » Noël Mamère estime que les mises en garde du Premier ministre « n’ont aucune valeur juridique », ajoutant qu’il n’avait « pas de leçon à recevoir sur l’Etat de droit de la part d’un Premier ministre qui s’était permis, après l’annonce du jugement dans le procès d’Alain Juppé, de ne pas respecter la séparation des pouvoirs ». Jean-Pierre Raffarin avait en effet commenté le jugement du tribunal de Nanterre, qualifié par lui de « provisoire ».

Noël Mamère et Me Mecary, qui savent fort bien que le mariage aussitôt célébré sera attaqué en nullité, font confiance à la justice européenne. Me Caroline Mecary rappelle que le droit français, « c’est aussi la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier à travers l’article 8 sur le droit à la vie privée et familiale, l’article 12 sur le droit au mariage et l’article 14 sur l’interdiction de toute discrimination, notamment en raison de ses préférences sexuelles ».

Il est peu probable que le préfet se croie obligé d’envoyer samedi matin une compagnie de gardes républicains pour autre chose que le maintien de l’ordre, dans une manifestation qui va attirer du monde et peut-être des incidents. Il est peu probable aussi que les gesticulations politiques survivent à la période préélectorale des européennes.