La filiation des enfants nés par GPA reconnue
Pour la Cour de cassation, le père ou la mère non biologique peut faire admettre sa parenté par l’adoption
Gaëlle Dupont
C’est un pas supplémentaire dans la reconnaissance par la France des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. Il n’est pas aussi important que le souhaitaient les associations de parents, mais l’est en revanche trop pour les opposants à cette pratique, qui jugent que la Cour de cassation fragilise son interdiction dans le pays.
Dans une série d’arrêts rendus mercredi 5 juillet, la plus haute juridiction française a estimé que les enfants nés par ce dispositif à l’étranger – entre 500 et 1 000 par an – peuvent avoir deux parents français légalement reconnus, et non le seul père biologique, comme c’était le cas jusqu’à présent. La GPA est proscrite en France mais légale dans de nombreux pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Israël, Grèce, Ukraine…) selon des modalités et dans des conditions très variables
Mais le parent « social » ou « d’intention », c’est-à-dire celui qui a conçu le projet parental mais n’a pas de lien biologique avec l’enfant, ne peut faire reconnaître le lien de filiation que par adoption, et non par une reconnaissance directe de la parenté d’intention comme dans certains pays.
« Dans l’air du temps »
La principale nouveauté est que les magistrats estiment que le recours à la GPA « ne fait pas en lui-même obstacle au prononcé de l’adoption, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant .
« La Cour reconnaît la possibilité d’établir un lien de droit à l’égard du parent sociologique, se réjouit Patrice Spinosi, qui défendait un couple d’hommes ayant eu un enfant par mère porteuse aux Etats-Unis et sollicitait une adoption simple pour le père social. Cette décision est dans l’air du temps. Elle n’est en aucune façon une reconnaissance de la GPA en France. »
Les magistrats ont en revanche refusé de transcrire un état civil établi à l’étranger où figuraient le père biologique et sa conjointe, la mère sociale. Sur l’acte de naissance de leurs jumelles nées en Ukraine, cette dernière est désignée comme la mère. La mère porteuse n’apparaît pas. En droit français, la mère ne peut être que celle qui accouche. Selon l’article 47 du code civil, un acte étranger ne peut être transcrit en France que s’il est « conforme à la réalité . « La réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement », argue la Cour.
La haute juridiction s’est longtemps opposée à toute reconnaissance des enfants conçus par GPA en raison de la « fraude à la loi » commise par les parents ayant recours à l’étranger à une pratique interdite sur le territoire français.
Après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2014, au nom de l’intérêt supérieur des enfants, la Cour de cassation a avalisé le lien de filiation avec le parent biologique en 2015. Elle choisit aujourd’hui une voie médiane pour appliquer la jurisprudence de la CEDH au parent social.
« Ces arrêts sont très équilibrés, estime le professeur de droit Hugues Fulchiron. La solution retenue permet de reconstruire la filiation à la française par le biais de l’adoption. Elle donne indirectement effet au contrat sans violer trop directement l’interdit de la GPA en France, dans le respect des droits de l’enfant. Transcrire automatiquement les actes étrangers serait aller très loin. On ne peut pas reconnaître n’importe quelle situation constituée dans n’importe quelles conditions. »
« Approbation larvée de la GPA »
Certains dénoncent cependant une demi-mesure. « Comment les enfants du couple que j’ai défendu vont-ils comprendre qu’ils ont un père et une mère reconnus en Ukraine mais pas en France?, interroge Françoise Thouin-Palat, qui conseillait les parents des jumelles. La mère va devoir adopter ses enfants, c’est absurde. »
« Quelle aberration alors qu’il était si simple de faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant en admettant la transcription complète de son acte de naissance, renchérit l’avocate Caroline Mécary, qui conseille également le couple. La filiation n’est pas une question de biologie. C’est une construction sociale et juridique. »
« On ne parle pas de concepts, mais d’enfants réels, tempête Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales. Dès lors qu’un état civil est établi légalement à l’étranger, la France n’a pas à s’immiscer dans le mode de procréation de l’enfant pour lui accorder plus ou moins de droits. » Le couple fera appel devant la CEDH.
Les opposants à la GPA contestent de leur côté ces arrêts, rendus quelques jours après une prise de position retentissante du Comité consultatif national d’éthique en faveur de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) avec donneur à toutes les femmes – mais très hostile à la GPA.
« Plutôt que de cautionner a posteriori les pratiques de GPA, ce qui revient à les encourager, la France devrait avoir le courage de les contester formellement », affirme Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, dans un communiqué. La Manif pour tous estime que la Cour opère un « détournement de l’adoption . La France doit « éviter tout ce qui facilite le recours à cette pratique indigne », estime l’association. Même tonalité chez l’ancienne députée socialiste de l’Hérault Anne-Yvonne Le Dain, qui dénonce une « approbation larvée de la GPA », alors que les enfants « ne sont pas en danger .
Le Collectif pour le respect de la personne (CORP), en revanche, se réjouit avant tout que la parenté d’intention ne soit pas reconnue. « La possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint relève du droit commun, affirme sa présidente Ana-Luana Deram. S’y opposer serait une discrimination. Nous nous inquiétons cependant de la banalisation de la GPA. Personne n’entend les femmes mères porteuses trompées et malmenées. »
M. Urwiczen appelle désormais au président Emmanuel Macron, qui s’est engagé pendant la campagne à ce que les enfantsnés par GPA « voient leur filiation reconnue . Mme Le Dain estime également que « la fabrique de la loi est du ressort du législateur, pas des juristes . Le gouvernement a été très discret sur ses intentions depuis la parution de l’avis du comité d’éthique le 27 juin. Même s’il a affirmé sa volonté de légiférer, il ne souhaite à l’évidence pas mettre en avant les questions sensibles de procréation et de filiation.