«Il prenait la tête du mec et lui mettait des coups de pied»

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Trois jeunes gens ont été jugés, mardi, pour l’agression très violente d’un couple homosexuel.

Chloé Pilorget-Rezzouk

Ils se vantaient d’avoir «tapé des homos qui le méritaient» . Dans leur quartier, la cité de l’Ourcq, dans le XIXe arrondissement de Paris, les quatre auteurs présumés de l’agression homophobe de Wilfred de Bruijn et Olivier Couderc étaient plutôt loquaces, selon un témoin. Mais dans le box, ce mardi, les prévenus font profil bas. Polo aux couleurs du Milan AC, Taieb K., 19 ans, et Abdelmalik M., 20 ans, ont le regard vide et la tête baissée. Ils sont jugés pour «violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail [ITT] supérieure à huit jours» avec deux circonstances aggravantes : «violence en réunion» et «en raison de l’orientation sexuelle de la victime». A côté d’eux, leur ami Kidé T., presque 21 ans, comparaît libre pour «non-assistance à personne en danger». Le quatrième suspect, mineur, comparaîtra devant le tribunal pour enfants.

À terre. Il est près de 3 h 30, dans la nuit du 6 au 7 avril 2013, quand Olivier et Wilfred rentrent d’une soirée d’anniversaire chez des amis. «On était joyeux, c’était une très belle soirée», répètent les victimes à la barre. «Bras dessus, bras dessous», les amoureux ne se cachent pas quand ils s’engagent avenue Jean-Jaurès, près de la station de métro Ourcq. Soudain, une phrase : «Ah, des homosexuels !» entend Olivier qui – réflexe – lâche immédiatement le bras de son compagnon. Il reçoit un premier coup à l’oeil droit, puis cinq ou six autres qui lui vaudront un jour d’ITT. «On bascule dans l’horreur», déclare-t-il. Wilfred, lui, est à terre, roué de coups de pied. «Black-out» total, il n’a aucun souvenir de l’agression. «J’ai cru qu’il était mort car il ne bougeait plus», rapporte Olivier, ému. Son ami s’en tire avec vingt-huit jours d’ITT, sept fractures du visage et la perte d’une dent. Le lendemain, il poste la photo de son visage tuméfié sur son profil Facebook, «le visage de l’homophobie», qui fait le tour des réseaux sociaux, et alerte les médias, en plein débat sur le mariage pour tous.

«Oui, je suis formel», répond Olivier à la présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Marie-Françoise Guidolin, lorsqu’elle lui demande s’il a bien entendu «Ah, des homosexuels !» avant que les coups pleuvent. Un enregistrement rend compte d’une conversation téléphonique d’Abdelmalik M. peu après les faits : «C’est chaud, cette histoire de dep » («pédé» en verlan). Le jeune homme avoue, c’est le seul, du bout des lèvres : «J’ai entendu la phrase, mais je ne peux pas vous dire qui l’a dite.» Les deux autres nient. «C’est des gens normaux, ils sont homos comme moi je suis black», se défend Kidé T. Il affirme de toute façon qu’il n’était pas sur les lieux : «J’ai déjà assez de problèmes avec la justice, je ne vais pas frapper des gays.» Seul Abdelmalik M., qui reconnaît les faits, croit se souvenir que «Taïeb prenait la tête du mec et lui mettait des coups de pied». «Moi, j’ai juste mis un coup.» Taïeb K., qui comparaît sans avocat, refuse de confirmer cette version : «J’étais bourré. Franchement, c’est l’alcool. Je ne me souviens pas, je ne sais pas.»

L’alcool, ça, Abdelmalik M. s’en souvient mieux :«Dix whisky-Coca, quinze vodka-Oasis et du cannabis.» «Vous vous souvenez avoir bu, mais vous ne vous souvenez pas avec qui vous étiez ?» insiste l’assesseure, dont les questions restent en suspens. Les trois jeunes s’excusent beaucoup. Kidé T. demande pardon après avoir soutenu qu’il n’était pas sur les lieux. Ils ont la «mémoire sélective», pointe l’avocate des parties civiles, Caroline Mécary, qui dénonce des «regrets de circonstance». Militante pour les droits des homosexuels, elle insiste sur «l’honneur de défendre deux hommes courageux face à la lâcheté».

«Confiance». Les deux prévenus, Taieb K. et Abdelmalik M., en détention provisoire à Fleury-Mérogis depuis six mois, ont déjà été jugés pour des vols et des faits de violence devant le tribunal pour enfants. Kidé T. a déjà reçu deux admonestations. La procureure, Solène Gouverneyre, a requis de dix-huit à vingt-quatre mois de prison ferme et a estimé que les suspects «minimisaient leur participation de façon assez désolante».

A la sortie de l’audience, Wilfred et Olivier ont déclaré avoir «toute confiance dans le tribunal», alors que la veille du procès, Me Mécary avait confié à Libération : «Comme toute victime qui va se retrouver en présence de ses agresseurs présumés, il y a un peu de stress et d’angoisse chez mes clients.» Depuis l’agression, les deux hommes, marqués, ne se tiennent plus la main dans la rue ou le métro. Le délibéré est prévu mardi 3 juin.

Photo Marc Chaumeil. Divergence