Après la victoire de Caroline Mecary devant la Cour de cassation : un tournant dans la jurisprudence « GPA »
La Cour de cassation a reconnu mercredi à un couple d’hommes le droit d’être tous deux inscrits à l’état civil français comme parents d’un enfant né à l’étranger d’une mère porteuse. Une décision de justice qui fait débat.
Leclair, Agnès
ÉTHIQUE C’est un jugement important qui risque de rebattre les cartes du débat explosif sur la GPA (gestation pour autrui). Les deux membres d’un couple d’hommes, et non plus le seul père biologique, peuvent être intégralement reconnus à l’état civil français comme parents d’un enfant né à l’étranger d’une mère porteuse, a statué mercredi la Cour de cassation dans deux arrêts.
Bien que la GPA soit une pratique prohibée en France, « une GPA légalement faite à l’étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la transcription de l’acte de naissance des enfants désignant le père biologique et le père d’intention » , selon la haute juridiction.
Jusqu’à cet automne, la Cour de cassation avait toujours privilégié la solution de l’adoption par le « second parent » , sans lien biologique avec l’enfant, afin de ne pas effacer la mère porteuse, celle qui donne naissance à l’enfant. Mais la décision rendue par les hauts magistrats le 4 octobre dernier, dans le cadre de l’emblématique affaire Mennesson, a visiblement changé la donne. La Cour de cassation avait alors jugé que la « mère d’intention » des jumelles Mennesson devait être reconnue comme la mère à l’état civil, au regard de la durée exceptionnelle de cette affaire. Elle avait cependant pris le soin de préciser qu’il s’agissait d’un « cas particulier » et que, par ailleurs, l’adoption répondait mieux aux exigences du droit français. Cette décision présentée comme « exceptionnelle » est finalement en train de faire jurisprudence.
Dans ce nouveau contexte, que va devenir la circulaire prévue par la Chancellerie pour mettre de l’ordre dans l’épineux sujet de la filiation des enfants nés de GPA ? En plein débat sur la loi de bioéthique à l’Assemblée nationale, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait martelé que cette circulaire allait privilégier le mécanisme de l’adoption par le parent d’intention. Une manière de rassurer sur les intentions du gouvernement de ne pas avancer en catimini vers une reconnaissance de la GPA. Jeudi, au ministère de la Justice, le ton était devenu moins affirmatif sur le contenu de ce document. Les derniers arrêts de la Cour de cassation « auront une incidence sur la circulaire » , y indique-t-on sans plus de précisions.
« La circulaire de la garde des Sceaux devrait a priori reprendre ces arrêts de la Cour de cassation. Je ne vois pas comment il serait possible de faire autrement » , décrypte Me Caroline Mécary (*). Première avocate en France à avoir défendu les familles homoparentales, elle a également estimé que ces arrêts constituaient « une victoire » et allait permettre « une nouvelle jurisprudence plus simple, plus claire et plus protectrice de l’intérêt de l’enfant » .
« La boîte de Pandore »
À l’inverse, la Manif pour tous dénonce une nouvelle étape vers un « marché des bébés » . Ces arrêts sont un « déni de la réalité de la filiation humaine » , dénonce Ludovine de La Rochère, à la tête du mouvement. « Une certaine élite bobo veut intégrer la France au marché international de la procréation, un marché individualiste et déshumanisant » , s’alarme-t-elle. Une inquiétude partagée par les féministes du CoRP (Collectif pour le Respect de la Personne), proche de la gauche et qui compte la philosophe Sylviane Agacinski parmi ses membres. « C’est scandaleux ! La justice piétine des principes éthiques qu’elle avait défendus dans sa jurisprudence antérieure. Elle abandonne toute protection des femmes confrontées à des systèmes qui reposent sur l’exploitation des plus pauvres à une échelle mondiale. C’est un pas très dangereux vers la reconnaissance de l’établissement d’un lien de filiation par voie de transaction commerciale, sans aucun contrôle » , tonne un juriste du collectif. « Ce que l’on s’habitue à accepter pour les pays étrangers, on finit par l’accepter chez soi » , redoute-t-il.
Cette nouvelle jurisprudence pourrait-elle pousser le gouvernement à aller encore plus loin et reconnaître la filiation des enfants nés de GPA dans le cadre de la loi de bioéthique, dont l’examen doit reprendre en janvier au Sénat ? « Tous les gouvernements ont laissé les juridictions se débrouiller sans jamais vouloir trancher , rappelle Caroline Mécary. In fine, les arrêts de la Cour de cassation correspondent à la prise de position d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle : maintien de l’interdiction de la GPA et reconnaissance de la filiation pour les enfants qui en sont issus. Je ne vois pas pourquoi il ouvrirait la boîte de Pandore. » Le Sénat, en majorité à droite et partagé sur la PMA pour toutes, pourrait au contraire profiter de cet examen pour redessiner cette question de la filiation dans le code civil. « Désormais, les effets de la GPA à l’étranger sont intégralement reconnus en France. La Cour de cassation est allée bien au-delà des exigences de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Il appartient désormais au législateur de siffler la fin de la partie en réarmant le dispositif prohibitif en matière de GPA , analyse Jean-René Binet, professeur de droit et spécialiste des questions éthiques. Il serait tout à fait possible de prévoir de nouvelles dispositions pénales en cas de recours à la GPA à l’étranger par des couples français. La reconnaissance de la filiation des GPA effectuées à l’étranger pourrait également être limitée dans le code civil. »
PMA pour toutes ou GPA : la reconnaissance de la volonté dans la filiation sera au coeur des débats des sénateurs. Jeudi, un troisième arrêt de la Cour de cassation concernait d’ailleurs un couple de femmes ayant eu recours à une procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger. Bien que cette technique de procréation ne soulève pas les mêmes questions éthiques, les magistrats ont utilisé le même mécanisme que celui à l’oeuvre pour les couples d’hommes en validant la transcription de l’acte de naissance pour la compagne de la mère.
* La GPA, données et plaidoyers (éditions Dalloz).