Enterrée par la gauche, la PMA est de retour

Le Défenseur des droits et le Haut Conseil à l’égalité approuvent la procréation assistée pour toutes les femmes

Julia Pascual

C’est une patate chaude dont le gouvernement aurait, à l’évidence, préféré se passer. Alors que des milliers de personnes doivent défiler à Paris pour la Gay Pride, samedi 27 juin, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) et le Défenseur des droits, deux instances indépendantes qui jouissent d’une influence certaine, s’apprêtent à rendre publics des avis favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes.

Le sujet avait pourtant été enterré par le chef de l’Etat. Lorsqu’il n’était encore que candidat, François Hollande défendait le programme du Parti socialiste, limpide sur la question : « L’accès à la PMA doit être ouvert aux femmes sans condition de situation de couple ou d’infertilité. » C’était avant que la loi Taubira ne soulève les cortèges de La Manif pour tous et rappelle au président fraîchement élu que le temps des lois n’est pas celui des rendez-vous électoraux.

Début 2013, soucieux de calmer les tensions de la rue, le groupe PS à l’Assemblée nationale avait dû renoncer à présenter un amendement à la loi sur le mariage pour tous ouvrant la PMA aux couples de femmes. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault promettait, à l’époque, que le sujet serait examiné dans le cadre d’un texte spécifique, une grande loi sur la famille. Mais, à la veille des élections municipales de mars 2014, le gouvernement a tout fait pour éviter le sujet, et le rapport « Filiation, origines, parentalité », commandé par le ministère de la famille en octobre 2013, a été passé sous silence : sa remise officielle n’a jamais été organisée. En effet, le groupe de travail, présidé par la sociologue Irène Théry, préconisait de « franchir le pas et d’autoriser l’accès à la PMA pour les couples de femmes .

Au lendemain d’une manifestation de La Manif pour tous, au début de l’année 2014, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait finalement annoncé le report sine die du projet de loi famille. Aujourd’hui, seul un texte sur l’autorité parentale, expurgé des sujets fâcheux, a survécu. Il est au demeurant bloqué dans un Sénat qui a depuis basculé à droite. Là où La Manif pour tous et la droite voient une de leurs plus belles victoires, les milieux féministes et LGBT (lesbiennes, gays, bis et trans) dénoncent un recul inacceptable. Et, bien que les slogans de la Marche des fiertés du 27 juin continueront de réclamer l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, chacun semble en avoir fait le deuil.

C’était compter sans le Haut Conseil à l’égalité qui s’est saisi du dossier et a voté fin mai à une large majorité un texte préconisant l’ouverture de la PMA « à toutes les femmes, sans discrimination » . L’avis, que Le Monde a pu consulter, devrait être rendu public dans les prochains jours et va rouvrir le débat. C’est en tout cas une offensive venue de l’intérieur – le HCEfh a été créé en 2013 et ses 73 membres sont nommés par arrêté du premier ministre – que va devoir gérer le gouvernement. A son tour, Jacques Toubon, le défenseur des droits, devait exprimer un avis favorable mercredi 1er juillet lors de son audition au Sénat par une commission d’information sur la PMA.

L’engagement de ces deux instances est d’autant plus significatif que François Hollande avait souhaité, début 2013, recueillir l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avant d’avancer sur la PMA. Certains y avaient vu une manoeuvre dilatoire; le CCNE n’ayant pas été saisi formellement d’un projet de loi, il n’est en effet tenu par aucun calendrier et, de fait, n’entend pas se prononcer sur la PMA avant « fin 2015 » . Les partisans de l’ouverture de la PMA craignent que le comité, réputé plutôt conservateur, rende un avis négatif qui viendrait conforter l’inaction gouvernementale.

Inégalité anachronique

Chaque année, des centaines de femmes se rendent en Espagne ou en Belgique pour recourir à une insémination artificielle ou à une fécondation in vitro avec don de gamètes. Un voyage auquel les couples hétérosexuels infertiles ne sont pas contraints puisque, encadrée par les lois bioéthiques de 1994 et 2011, la PMA leur est ouverte. Elle a permis près de 24 000 naissances en 2012. Le HCEfh y voit une inégalité d’autant plus anachronique que, l’adoption ayant été ouverte aux célibataires en 1996 et aux couples de même sexe en 2013, la possibilité pour ces personnes d’accéder à une parentalité a déjà été reconnue.

« Aucun des pays européens ayant légalisé le mariage entre couples de même sexe n’interdit la PMA aux couples de femmes , insiste le rapport, qui cite le Royaume-Uni, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suède. La France fait figure de cas particulier. » Le HCEfh rappelle, en outre, que l’adoption et la PMA pour les couples hétérosexuels (à travers le don de sperme, d’embryons ou d’ovocytes) consacrent déjà une approche de la parenté indépendante de la procréation. Elargir la PMA aux femmes ne viendrait qu’ « achever de reconnaître cette approche » et mettrait fin à une « discrimination en raison de la sexualité et de la conjugalité » .

Les travaux du HCEfh mettent enfin en évidence un ensemble de « problèmes juridiques, sanitaires et sociaux », allant du risque pénal encouru par les médecins français qui aident leurs patientes, jusqu’au suivi gynécologique insuffisant, aux risques d’inflammations ovariennes ou de contraction d’infections sexuellement transmissibles lors de PMA « artisanales . Le HCEfh rappelle aussi les « incertitudes relatives à la reconnaissance de la filiation . En septembre 2014, la Cour de cassation a rendu deux avis favorables à la possibilité pour la mère qui n’accouche pas d’adopter l’enfant de sa conjointe. Mais une décision du 12 juin du tribunal de grande instance de Cahors refusant l’adoption – au motif que la PMA est une « fraude à la loi » française – montre que des juridictions peuvent encore avoir des interprétations contraires.

Sur la base de son rapport, le HCEfh formule trois recommandations. En plus d’ « ouvrir à toutes les femmes la PMA » , d’assurer sa prise en charge financière, ses membres appellent à « instaurer la possibilité d’une déclaration commune anticipée de filiation » . Le gouvernement se saisira-t-il de ces travaux? En attendant, un couple de femmes s’étant vu refuser une PMA en France a décidé de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, arguant de la discrimination qu’elles subissent sur la base de leur orientation sexuelle. « Une première », d’après leur avocate, Me Caroline Mécary.