Docteur K., gynéco et dealeuse de sperme pour femmes lesbiennes

Greusard, Renée
Cette médecin prend le risque d’aider les femmes homosexuelles souhaitant devenir mères.

Cela se passe dans une grande ville de France. Il se murmure ici, parmi les femmes lesbiennes, qu' »une gynécologue peut t’aider à tomber enceinte ». Qu’elle accompagne les grossesses conçues à l’étranger (en Belgique, en Espagne ou au Danemark) mais va plus loin encore.

La médecin met à disposition de ses patientes du sperme d’homme. Sperme qu’elle promet fourni par « des étalons », beaux et bien sous tous rapports. Elle dit :

« Mes donneurs sont des étalons. Ils sont tous super bien. »

Chloé, 35 ans, une patiente passée par son cabinet (mère aujourd’hui) parle même d’elle comme d' »une banque de sperme privée », « gay friendly ».

Dans le débat actuel sur la PMA (procréation médicalement assistée), il nous a semblé que le moment était venu de raconter cette histoire. Qu’il était temps de montrer que les femmes se débrouillent déjà depuis des dizaines d’années pour faire des enfants. Seules ou aidées. Et que cela pose tout un tas de problèmes qu’une loi pourrait résoudre ou annuler.

La docteur K. a accepté de nous recevoir dans son cabinet. Nous l’avons vue deux fois. Une première pour la convaincre de témoigner (elle a accepté à condition d’un anonymat total).

La seconde pour recueillir son témoignage. Nous voulions tout savoir.

La patiente zéro

Tout commence il y a 30 ans. Avec celle qu’on appellera sa patiente zéro. Une femme audacieuse demande à la gynécologue de l’aider à faire l’enfant qu’elle ne peut concevoir dans son couple, et pour cause, elle est homosexuelle.

Prise au dépourvu, la docteur K. accepte de réfléchir. Cela pourrait se finir comme ça, sur un « oui, oui, on verra », mais la patiente zéro a de la suite dans les idées et ne la lâche pas.

« Elle me harcelait. Elle m’appelait. Elle me laissait des messages au secrétariat. Elle m’envoyait de temps en temps un bouquet de roses avec un petit mot : ‘Pensez à moi.' »

Un an passe, entre bouquets de fleurs et casse-tête insoluble. Et puis un jour, à une soirée, la docteur K. rencontre un drôle de mec, « qui a besoin de fric », parce qu’il aime ça (le fric). Ce genre de garçon qui s’organise pour avoir une vie douce. La découvrant gynécologue, le jeune homme demande en toute simplicité :

« Vous savez pas comment je peux faire pour monnayer mon sperme ? »

Elle rit. Ensuite, la soirée se termine. Et tout le monde rentre chez soi. Mais voilà, la docteur K. recroise le jeune homme dans la rue, et cette fois-ci, une petite sonnerie résonne dans son cerveau. Elle pense à la patiente zéro.

« Vous savez, j’ai peut-être une solution pour vous. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce que vous m’avez dit à la soirée. Vous aviez peut-être un peu bu… »

Le jeune homme qui veut vendre son sperme n’a pas oublié. Il n’était pas ivre. Elle lui demande un spermogramme, une batterie d’examens sérologiques et l’interroge sur ses antécédents génétiques. C’est tout bon.

Livraison dans un flacon

Se joue alors pour la première fois une scène qui dans les années suivantes va se reproduire des centaines de fois, pour devenir une sorte de rituel.

Le jeune homme donneur est appelé au téléphone. Comme un livreur, il ramène le plus vite possible un flacon avec sa semence fraîche à l’intérieur.

La docteur K. récupère le flacon et va ensuite inséminer la femme qui attend dans le cabinet. Bien sûr, la patiente pourrait presque tenter de faire cela seule ou avec sa compagne. Mais, assure la docteur, pour que ça marche, il faut être outillée, avoir préparé le terrain et stimulé l’ovulation.

La patiente et le donneur ne se croiseront pas. La docteur K. est la seule à voir et connaître tous les personnages de cette petite pièce de théâtre.

Un choix qu’elle a bien réfléchi.

« Jamais les femmes n’ont rencontré les donneurs. Je leur disais simplement la couleur de leurs cheveux et de leurs yeux. Je ne suis pas une banque de sperme. Je leur disais donc : ‘C’est à prendre ou à laisser.' »

Au bout de quatre ou cinq tentatives, la patiente zéro tombe enceinte, d’un petit garçon. Un trentenaire qui aujourd’hui va très bien. « Il s’est marié l’été dernier », raconte la docteur K. (elle a vu les photos).

Après ce premier épisode, la gynécologue panique un peu. Elle se voit grimée en apprentie sorcière, se demande ce qu’elle a fait, réfléchit à sa responsabilité, se dit que ce n’est pas rien de faire venir au monde un être humain, qu' »un bébé, ce n’est pas comme une baguette de pain ».

« Après ce premier bébé, je me suis rendu compte que je m’étais mise dans un merdier. Je me suis dit : ‘Désormais, toutes les homosexuelles vont venir me voir.' »

De fait, ça ne rate pas, mais la docteur K. se laisse alors un an de répit. Elle veut voir comment grandit cet enfant dont elle a provoqué la naissance.

« En fait, je me suis aperçue que les homosexuelles élevaient à merveille leurs enfants. Et elles étaient très pointilleuses sur leur éducation, leur bien-être. »

Au bout d’une année, elle se relance et élargit son cercle de donneurs. Ce sont « des étudiants qui ont besoin de mettre du beurre dans les épinards ». Aujourd’hui encore, elle est fière de son cheptel.

« Je n’ai pris que des étudiants de grandes écoles, très sympas, hypercartésiens. Il faut des gens fiables, quand vous dites : ‘Je veux le sperme à 11 heures’, il faut que le mec soit là à 11 heures. »

Plus de 500 enfants

Des centaines de femmes passeront par son cabinet. Sans vouloir donner de chiffres précis, la docteur K. parle de 15 à 20 enfants par an depuis 30 ans. On peut donc estimer qu’elle a fait naître plus de 500 enfants.

Le chiffre donne le vertige d’autant que toutes les femmes n’ont pas été acceptées par la docteur K. Quand elle ne les « sentait pas », la gynécologue disait qu’elle ne « le faisait plus » ou encore :

« Je ne sais pas d’où vous tenez cette information mais c’est faux. Je ne fais pas ça, moi… »

Quels critères faut-il remplir pour être validée par la docteur K. ?

Ceux d’une femme qui ne cache pas son admiration pour le général de Gaulle ou pour Pompidou. Et qui dit :

« Une femme, pour vouloir un enfant, il faut quand même qu’elle ait une situation. »

« C’est une responsabilité, un enfant. Je n’ai accepté de n’aider que les femmes qui me semblaient matures, stables dans leur vie, celles dont je sentais qu’elles vivaient une belle histoire. »

Vous ne vous attendiez pas à cela, n’est-ce pas ? Soyons honnêtes, nous non plus. Une gynécologue qui aide les femmes lesbiennes à concevoir des enfants, on imaginait une militante LGBT, de gauche, elle-même homosexuelle. Panoplie gauchiste queer avec des cheveux roses ou violets.

La vie est une farceuse. La docteur K. est une bourgeoise. Quand on sort de son cabinet chic, situé dans un très beau quartier, on peut par exemple croiser un couple style Richard Gere et Julia Roberts dans « Pretty Woman » (scène de l’opéra), en tenue de cocktail, probablement en route pour un gala.

La docteur K n’a « jamais, jamais jugé l’homosexualité », ce « phénomène naturel qu’il vaut mieux assumer », mais pour autant…

La docteur K. n’est pas favorable au mariage homosexuel.

« Le mariage pour tous, c’est totalement absurde. Quel est l’intérêt ? Pour moi, un mariage, c’est un homme et une femme. »

La docteur K n’est pas favorable à la GPA (gestation pour autrui), dont elle dit qu’elle est « pire que la prostitution ».

« Ah moi, je trouve que la grossesse pour autrui, c’est atroce, atroce de demander à une femme de porter un enfant pendant neuf mois et que cette femme donne finalement l’enfant. Je trouve que c’est un traumatisme de vivre une grossesse pendant neuf mois, de sentir le bébé bouger, puis de le perdre. »

La docteur K est favorable à l’avortement, « comme tout le monde », comprendre parmi les gynécos de sa génération, elle en a même « fait » clandestinement avant que l’opération ne soit légale. En revanche, elle souhaiterait que la Sécu cesse de rembourser les femmes.

« Il faut que les femmes se prennent en charge. On a tout ce qu’il faut pour ne pas tomber enceinte. C’est à se flinguer. »

Logiquement, dans son entourage, personne n’est au courant. Pas même ses associés. Seul son compagnon a fini par le savoir, au bout de quatre ans, par hasard.

« Je suis dingue, hein ? »

Il n’a pas aimé, a eu peur pour elle.

« J’ai un mari formidable mais très légaliste. Moi, je fais des trucs illégaux. Je me gare là où il ne faut pas… Je ne le fais pas exprès hein, mais je le fais. Lui, ça le rend dingue. »

De fait, la docteur K. prend des risques. Elle pourrait se faire radier de l’ordre des médecins bien sûr, mais aussi écoper de « deux ans de prison et 30.000 euros d’amende », nous précise au téléphone Caroline Mécary, avocate spécialiste de la PMA et des droits des couples homosexuels, se référant à l’article 511 – 12 du Code pénal.

Le risque est relatif bien sûr, précise l’avocate, puisqu' »il faudrait qu’elle soit dénoncée, que quelqu’un se plaigne », mais il existe. Et, ajoute l’avocate :

« Cela souligne qu’il y a des solutions alternatives bien sûr, mais qu’elles ne sont pas satisfaisantes parce que cette femme, elle se met en danger. Exactement comme les médecins qui pratiquaient l’IVG avant sa légalisation. »

La docteur K. rit souvent. Et beaucoup. Dans un grand éclat de rire, elle lâche régulièrement :

« Je suis dingue, hein ? Pour faire ce que j’ai fait… Mais bon, je suis contente d’aider. »

Et comme si cela méritait d’être précisé, la docteur K. ajoute qu’aucun des enfants qu’elle a aidés à naître n’est devenu lui-même homosexuel.

Où est donc la cohérence de cette femme ? Dans son histoire personnelle. Avant d’inséminer sa patiente zéro, la docteur K. a elle-même galéré pour avoir ses deux enfants. Elle assure qu’elle ne les aurait pas eus si elle n’avait pas été gynécologue.

« Un grand professeur m’a dit que je n’aurais jamais d’enfants et donc je me suis battue et je me suis traitée toute seule. »

Elle se lance dans les FIV (fécondations in vitro), passe par huit grossesses extra-utérines, et se remet en selle après chaque échec.

« J’ai connu le seul professeur qui savait à l’époque réparer les trompes. Il le faisait à chaque grossesse extra-utérine. »

Elle se pique seule pour stimuler ses ovaires. Tant et si bien qu’à l’école, son premier fils, qui voit les seringues remplir le frigo familial, demandera à sa maîtresse :

« Les enfants, ça se fait que par piqûre ? »

« Une femme sans enfants est une femme incomplète »

Une fois que l’on sait tout cela, on n’est presque pas surpris d’entendre la médecin parler de la maternité comme d’une complétude ultime pour toute femme.

« Je comprends le parcours du combattant des femmes. Pour moi, une femme sans enfants alors qu’elle en a le désir se sent incomplète. Et une femme sans enfants est une femme incomplète parce que je crois que c’est un aboutissement. »

Les femmes qui ne veulent pas d’enfants existent, bien sûr…

« Mais bon ces femmes, je pense qu’elles ont un parcours familial un peu particulier, une enfance un peu malheureuse. »

La vie aurait pu amener la docteur K. ailleurs. Elle vient d’une famille « archi-classique, mère, père, soeur et frère ». Elle a vécu les deux premières années de sa vie en Algérie avant d’être envoyée en France chez sa grand-mère, une fantaisiste qui « faisait plein de gâteaux ». La guerre d’Algérie venait de commencer. Elle garde le souvenir d’une enfance joyeuse.

« Quand elle s’ennuyait, elle ne le disait pas à ma mère, mais elle me faisait rater l’école et on allait au cinéma ! »

Adolescente, la future docteur K. sèche elle-même les cours pour aller se faire des expos. Cela ne l’empêche pas d’avoir son bac très jeune, à 16 ans, et de tomber amoureuse d’un médecin qui concrétisera l’envie qu’elle a depuis ses 12 ans, « être médecin des femmes ».

Elle est malicieuse, libre, grande gueule, aime cette sensation de faire un petit peu de résistance, déteste ceux qui dénoncent.

« Si je vois quelqu’un voler un truc dans un magasin, jamais je ne dirai au vigile : ‘Attention, cette personne a volé un truc chez vous.’ Jamais. Parce que c’est pas mon rôle. »

Le débat actuel sur la PMA la fatigue. Elle voit dans la situation actuelle une grande « hypocrisie », s’agace du fait qu’on interdise aux femmes lesbiennes de concevoir leurs enfants en France mais qu’une fois revenues, on prend leurs grossesses en charge comme si de rien n’était.

Elle qui râle contre les Français (et surtout les jeunes), qui ne bossent pas assez, ne comprend pas qu’on se prive dans l’hexagone de ce business possible.

Elle assure pour autant ne pas faire cela pour l’argent et dit que cela ne lui rapporte rien du tout.

« La patiente me donne une somme que je transmets au donneur. »

Elle ne veut pas dire le montant qu’elle demande à ses patientes mais à l’époque, quand elle l’a vue, Chloé se souvient que cela se comptait en centaines d’euros. Ce qui, dit la jeune femme, est certes cher, mais bien moins qu’un parcours en Belgique, en Espagne, où s’accumulent les voyages en TGV, les frais payés aux banques de sperme et aux cliniques.

Que raconte l’histoire de la docteur K. ? Qu’en l’absence de cadre intelligent, il s’en crée naturellement d’autres. « Il y a un trop grand écart entre la règle et la réalité sociale. Elles ne sont pas raccord », résume Caroline Mécary. Voilà comment, dans ce contexte, chacun peut bricoler. Et la docteur K., inventer un système de deal de sperme. Au grand dam de son « mari légaliste ».

Mais rassurez-vous, cet homme s’illumine depuis quelques temps. En imaginant la future loi légalisant la PMA pour les couples lesbiens, il s’exclame, joyeux :

« Ma femme va enfin devenir légale ! »