Agression d’un couple homosexuel: la «mémoire sélective» des prévenus

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Trois jeunes ont comparu mardi pour cette agression d’avril 2013, qui avait provoqué beaucoup d’émotion en plein débat sur le mariage pour tous.

Ils se vantaient d’avoir «tapé des homos qui le méritaient». Dans leur quartier, la cité de l’Ourcq dans le XIXe arrondissement de Paris, les quatre auteurs présumés de l’agression homophobe de Wilfred de Bruijn et Olivier Couderc étaient plutôt loquaces, selon un témoin clef de l’instruction. Mais dans le box, ce mardi, les prévenus font profil bas. Polo Adidas et sweet du Milan AC, Taieb K., 19 ans, et Abdelmalik M., 20 ans, ont le regard vide et la tête baissée. Ils sont jugés pour «violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours» avec deux circonstances aggravantes «violence en réunion» et «en raison de l’orientation sexuelle de la victime». A côté d’eux, leur pote Kidé T. comparaît libre pour non-assistance à personne en danger. Le quatrième suspect, mineur, comparaîtra devant le tribunal pour enfants.

«Le visage de l’homophobie»

Il est près de 3h30, dans la nuit du 6 au 7 avril 2013, quand Olivier et Wilfred rentrent d’une soirée chez des amis dans le XIXe arrondissement de Paris. «On était joyeux, c’était une très belle soirée» répètent les victimes à la barre. «Bras-dessus, bras-dessous», les amoureux ne se cachent pas quand ils s’engagent avenue Jean-Jaurès. Soudain, une phrase : «Ah des homosexuels !» entend Olivier qui – réflexe – lâche immédiatement le bras de son compagnon. Il reçoit un premier coup à l’oeil droit, puis cinq ou six autres qui lui vaudront un jour d’ITT. «On bascule dans l’horreur», déclare-t-il. Wilfred, lui, est à terre, roué de coups de pied. «Blackout» total, il n’a aucun souvenir de l’agression. «J’ai cru qu’il était mort car il ne bougeait plus» rapporte Olivier. Son compagnon s’en tire avec 28 jours d’ITT, sept fractures du visage et la perte d’une dent. Le lendemain, il poste la photo de son visage tuméfié sur son profil Facebook, «le visage de l’homophobie», qui fait le tour des réseaux sociaux et alerte les médias, en plein débat sur le mariage gay.

«Oui, je suis formel», répond Olivier à Marie-Françoise Guidolin, la présidente de la XVe chambre du tribunal correctionnel de Paris, lorsqu’elle lui demande s’il a bien entendu l’interjection «Ah des homosexuels !» avant que les coups pleuvent. Un enregistrement téléphonique rend compte d’une conversation d’Abdelmalik peu après les faits : «C’est chaud, cette histoire de deps (ndlr, « pédé » en verlan)». Le jeune homme, c’est le seul, avoue du bout des lèvres : «J’ai entendu la phrase, mais je ne peux pas vous dire qui l’a dite.» Les deux autres nient. «C’est des gens normaux, ils sont homos comme moi je suis black», défend Kidé T. Il affirme de toute façon qu’il n’était pas sur les lieux : «J’ai déjà assez de problèmes avec la justice, je ne vais pas frapper des gays.» Taïeb, qui comparait sans avocat, ne cesse de répéter : «J’étais bourré. Franchement c’est l’alcool. Je ne me souviens pas, je ne sais pas.» Seul, Abdelmalik, qui reconnaît les faits, précise : «Taieb prenait la tête du mec et lui mettait des coups de pied. Moi j’ai juste mis un coup.» Juste un coup de poing, pas de coups de pieds. Non, vraiment, aucun ne s’en souvient.

«Des hommes courageux»

«Dix whisky-coca, quinze vodka-oasis et du cannabis», ça, Adbelmalik s’en rappelle. «Vous vous souvenez avoir bu mais vous ne vous souvenez pas avec qui vous étiez ?» interroge l’assesseure dont les questions restent en suspens. Les trois jeunes s’excusent beaucoup. Kidé T. présente d’ailleurs ses excuses après avoir soutenu qu’il n’était pas sur les lieux. Ils ont la «mémoire sélective» pointe l’avocate des parties civiles, Caroline Mécary qui dénonce des «regrets de circonstance». L’avocate, militante LGBT, insiste sur «l’honneur de défendre deux hommes courageux face à la lâcheté».

Les deux prévenus, Taieb. K et Abdelmalik M., en détention provisoire à Fleury-Mérogis depuis six mois, ont déjà jugés pour des vols et des faits de violence devant le tribunal pour enfants. Kidé T. a déjà reçu, lui, deux admonestations. La procureure, Solène Gouverneyre, a requis de 18 à 24 mois de prison ferme et a estimé que les suspects «minimisaient leur participation de façon assez désolante». Le délibéré est prévu mardi 3 juin. A la sortie de l’audience, Wilfred et Olivier ont déclaré avoir «toute confiance dans le tribunal». «Comme toute victime qui va se retrouver en présence de ses agresseurs présumés, il y a un peu de stress et d’angoisse chez mes clients», avait confié la veille du procès Caroline Mécary à Libération. Depuis l’agression, les deux hommes sont marqués et ne se tiennent plus la main dans la rue ou le métro.