Adoption: l’espoir déçu de l’institutrice lesbienne.

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En première instance, elle avait obtenu le feu vert.A Nancy, la cour d’appel lui refuse l’autorisation.

MILLOT Ondine
Elle a la voix fatiguée, le timbre amer, mais dit qu’elle «ne baisse pas les bras». L’institutrice de 39 ans s’est vu refuser hier l’agrément d’adoption par la cour administrative d’appel de Nancy parce qu’elle vivait une relation homosexuelle stable avec une autre femme. En février 2000, le tribunal administratif de Besançon l’avait pourtant autorisée à adopter un enfant. Mais le conseil général du Jura a fait appel de cette décision et les juges de la cour d’appel se sont finalement rangés à la jurisprudence du Conseil d’Etat (lire ci-dessous). «C’est une immense déception, on y croyait», dit l’institutrice jurassienne. «Aujourd’hui on n’a plus le choix, il faut continuer, faire un pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat.»

«Côté militant». La requérante et son amie veulent garder l’anonymat, «parce que c’est quand même une affaire privée, très douloureuse». Elles se rendent pourtant compte qu’aujourd’hui, leur lutte a «forcément un côté militant». «Si ce combat peut aider les autres, tant mieux. Nous on a fait ça pour élever un enfant, le rendre heureux.»

Tout a commencé il y a dix ans, quand le désir d’enfant est devenu «vraiment pressant». «On a envisagé le problème sous toutes ses formes, puis on a pensé que l’adoption était la meilleure solution pour nous et pour l’enfant à venir.» Le couple a des amies lesbiennes qui ont obtenu l’agrément en cachant leur homosexualité. «Elles ont clairement menti, elles ont dit qu’elles avaient des relations avec des hommes, et elles ont eu le droit d’adopter, raconte l’institutrice. Mais nous on pensait que se cacher, ça n’était pas une solution. Comment élever un enfant si son adoption s’est faite grâce à un mensonge, dans le tabou?»

Aujourd’hui, les deux femmes se disent qu’el les auraient «mieux fait de mentir». «J’ai 39 ans, explique l’institutrice. On ne va pas adopter un enfant à 50 ans. Si on avait menti, on aurait l’agrément depuis longtemps.»

«Capacités requises». Le déroulement de l’audience devant la cour d’appel administrative de Nancy le 5 décembre dernier leur avait donné de l’espoir. La commissaire du gouvernement Pascale Rousselle avait en effet plaidé pour le droit à l’adoption en soulignant les «qualités d’écoute, d’ouverture d’esprit et de disponibilité» de la requérante. «Elle dispose des capacités requises pour se voir délivrer l’agrément, sachant que si elle avait été vraiment célibataire, celui-ci n’aurait pas posé de difficultés», avait déclaré Pascale Rousselle. Sa plaidoirie demandait la confirmation du jugement de première instance. Un jugement qui soulignait «des garanties suffisantes sur le plan familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté» et qui rejetait les arguments du con seil général du Jura fondés sur «l’absence d’image ou de référent paternels».

La décision d’hier mar que un retour en arrière et renforce dans leurs convictions les op posants au droit à l’adoption par les couples homosexuels . «Je ne veux pas fanfaronner, je ne nie pas la capacité des homosexuels à donner de l’amour, mais je pense que ce jugement va dans le bon sens», explique le député des Bouches-du-Rhône Renaud Muselier (RPR). Depuis la décision du tribunal administratif de Besançon, le député a fait circuler une pétition contre le droit à l’adoption pour les homosexuels et a, selon lui, recueilli les signatures de 273 parlementaires, 5 000 élus locaux et 70 000 particuliers. Renaud Muselier entend poursuivre son action et déposer une proposition de loi.

Evolution à venir. De l’autre côté, l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) pense que «la France ne pourra pas camper longtemps sur ces positions». «Avec ce qui se passe aux Pays-Bas, et ce qui se prépare partout en Europe, notre pays va forcément évoluer», estime Martine Gross, présidente de l’APGL. «Il ne faut pas penser que la situation est figée», renchérit Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris et auteur de Droit et homosexualité. «Dans les prochains procès, les avocats se souviendront de la décision du tribunal administratif de Besançon et de la plaidoirie favorable de la commissaire du gouvernement».

L’institutrice jurassienne et son amie, elles, s’avouent un peu «dépassées» par la polémique. «Ce qu’on sait, c’est qu’un enfant a surtout besoin d’être aimé, sécurisé. Il existe de nombreux enfants parfaitement épanouis élevés par des couples de lesbiennes. Mais il y a des convictions très difficiles à faire évoluer.» En décidant de se pourvoir en cassation, l’institutrice montre qu’il lui reste «un petit espoir». Et surtout, une grande certitude: «On est capables de rendre un enfant heureux.»