Le Conseil d’Etat fait barrage à la famille homo.

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Armés d’un arrêt de 1996, les services sociaux refusent les agréments.

GROSJEAN Blandine
Ne pas masquer son homosexualité voue les procédures d’adoption à l’échec. Pour l’instant. Le Conseil d’Etat, équivalent administratif de la Cour de cassation, veille au grain et a posé en octobre 1996 un arrêt de principe, un arrêt «politique», selon Me Caroline Mécary (1), qui a peu de chances d’être remis en cause. L’arrêt de Nancy se range d’ailleurs à ses vues. Et puisque le droit n’interdit pas expressément à un célibataire homosexuel d’adopter, l’interprétation du Conseil d’Etat a force de loi.

«Altruiste». L’arrêt de 1996 concernait un professeur agrégé, un homme «pourvu de qualités intellectuelles et humaines indéniables, cultivé, travailleur, réfléchi, sensible, attentif à autrui, fidèle en amitié, altruiste, scrupuleux», selon l’enquête des services sociaux. Le père idéal en quelque sorte, s’il n’avait fait état de son homosexualité. Aux yeux des magistrats, «si les choix de vie de l’intéressé devaient être respectés, les conditions d’accueil qu’il serait susceptible d’apporter à l’enfant pouvaient présenter des risques importants pour l’épanouissement de cet enfant.» Ils en concluaient: «Monsieur F., malgré des qualités humaines et éducatives indéniables, ne présente pas de garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique.»

Quelques mois plus tard (février 1997), le Conseil d’Etat opposait le même refus à une lesbienne. Armés de cette jurisprudence constante, les services sociaux qui instruisent les demandes d’adoption se sentent donc fondés à refuser les agréments «en raison des choix de vie» des candidats.

«Mise au ban». «L’arrêt du Conseil d’Etat est contestable dans son principe», estime pourtant Claire Neirinck, professeur de droit à Toulouse, «car une catégorie entière de personnes est mise au ban de l’adoption. De plus, il incite les intéressés à dissimuler leur véritable situation et les services sociaux à user de moyens d’investigation douteux pour la connaître.» Cette position est minoritaire parmi les juristes. Parmi ceux-là, un des plus modérés, Pierre Murat penche pour le principe de précaution: «Toute adoption comporte un risque lié aux différences d’histoire personnelle, d’apparence physique et parfois de culture», écrit-il, tout en précisant qu’«à ce risque il n’est pas raisonnable de rajouter celui d’une éducation n’offrant pas la référence à un couple différencié» (2). Et il prévient le juge administratif: «Même si le lien juridique n’est constitué qu’à l’égard d’un des deux membres du couple homosexuel, la réalité quotidienne l’emportera vite sur la vérité juridique, et un premier pas aura été fait en direction de la reconnaissance de la véritable famille homosexuelle.»

Aujourd’hui, une majorité d’homosexuels expriment le désir d’avoir des enfants (56,8 % selon un sondage du magazine Têtu), en utilisant la voie de l’adoption ou celle de la procréation médicalement assistée. Le gouvernement actuel s’est contenté de répéter son opposition de principe lors du débat sur le Pacs, et n’envisage pas d’aborder cette question dans sa réforme du droit de la famille.

Adoptions internationales. Le juge administratif se retrouve donc en première ligne pour définir ce que sera la famille du XXIe siècle. Il dicte ses valeurs, et même si celles-ci évoluaient jusqu’à accorder l’agrément à un célibataire homosexuel, celui-ci aurait peu de chances de se voir confier un pupille de l’Etat par les services sociaux: «Le nombre d’enfants à adopter est largement inférieur au nombre de demandes, de sorte qu’il y a une grande probabilité pour que les parents choisis soient hétérosexuels», estime Me Mécary. Mais l’agrément vaut aussi pour les adoptions internationales, et les célibataires homosexuels pourraient, comme les hétérosexuels, se tourner vers l’étranger.

(1) Caroline Mécary, Droit et homosexualité, Dalloz.

(2) Professeur à la faculté de droit de Grenoble. Droit de la famille, Editions du Juris-classeur. Avril 2000.