A La Haye, le discret travail juridique sur les règles de GPA
Depuis près de dix ans, des juristes du monde entier se réunissent régulièrement à La Haye (Pays-Bas) pour travailler à la mise en place de règles internationales sur la filiation et la GPA.
BESMOND DE SENNEVILLE Loup
C’est un processus discret qui a lieu depuis près de dix ans. Plusieurs experts venus d’une vingtaine de pays se réunissent une ou deux fois par an aux Pays-Bas pour travailler à l’harmonisation des règles juridiques internationales entourant la gestation pour autrui (GPA). Ils doivent de nouveau s’y retrouver du 29 janvier au 1er février. Une réflexion menée sous la houlette d’une institution très connue des spécialistes de droit international: la Conférence de La Haye (1). C’est elle qui a, par exemple, abouti en 1993 à l’adoption de la convention sur l’adoption internationale signée par plusieurs dizaines de pays.
Cette convention, justement, a poussé un certain nombre d’États à demander à ces experts, en 2010, des travaux semblables sur la filiation et la GPA. D’où la création d’un groupe intitulé « Filiation/maternité de substitution », dont font partie experts et représentants d’institutions internationales comme le Conseil de l’Europe et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Une démarche qui inquiète, notamment chez les adversaires de la légalisation de la GPA. « Le grand risque dans ce travail est de ne vouloir prendre en considération qu’une seule option: celle de la réglementation et de l’encadrement de la GPA, sous prétexte qu’elle se fait déjà dans certains pays » , craint Ana-Luana Stoicea-Deram, qui pilote le « Corp », un collectif d’associations féministes qui demande l’abolition internationale de cette pratique. « Cette instance est-elle prête à envisager l’autre solution, c’est-à-dire l’interdiction totale de la GPA? , poursuit-elle, en dénonçant un travail biaisé dès le départ. » Elle déplore notamment la méthode de ces experts, qui travaillent à partir de questionnaires envoyés à des associations de médecins et d’avocats. « Tous ceux qui ont été interrogés tirent profit de la GPA. Aucune association représentant les droits des femmes ou les droits humains n’a été consultée » , déplore-t-elle.
Spécialiste en droit international privé, Samuel Fulli-Lemaire n’en finit pas de s’étonner des remous suscités par ce processus. « Je suis assez surpris de la manière dont cette institution est parfois perçue, comme si elle était engagée. Il s’agit d’un organe essentiellement technique. La Conférence de La Haye élabore des textes puis propose aux États de les signer et de les ratifier. Certains sont largement adoptés, d’autres très peu. Dans ce dernier cas, l’impact n’est pas considérable » , détaille-t-il. Quoi qu’il en soit, « les travaux devraient encore être très longs, poursuit le juriste. Au mieux, ils sont à mi-course. »
À ces réunions participent les membres permanents de la Conférence de La Haye ainsi que des experts envoyés par plusieurs pays, dont la France. Paris y envoie une magistrate membre de la direction des affaires civiles et du sceau, l’un des services du ministère de la justice. Jusqu’à maintenant, « la France n’a jamais communiqué sur le contenu de ces travaux et les positions défendues » , explique-t-on à la chancellerie. Mais elle a décidé en 2018 de « soutenir la poursuite des travaux du groupe d’experts » sur la maternité de substitution. Pas à n’importe quelle condition toutefois, précise-t-on à la chancellerie: « la prohibition de la GPA » et la « reconnaissance partielle de la filiation de l’enfant à l’égard de son père biologique et la possibilité d’établir la filiation à l’égard du second parent d’intention par la voie de l’adoption » constituent toujours « la position française actuelle » .
C’est pourquoi Paris plaide pour que la Conférence de La Haye adopte, d’une part, un texte principal concernant « la filiation de manière générale, hors situations de GPA » et, d’autre part, un « protocole additionnel et optionnel portant sur les situations de gestation pour autrui » . Ce qui permettrait à la France de signer le premier texte mais de s’abstenir sur le second. Le ministère de la justice tient à préciser: « Ce projet ne porte ni sur l’autorisation de la GPA ni sur sa prohibition. »
Aux côtés des États figurent aussi plusieurs associations comme l’Académie internationale des juristes en droit de la famille, ainsi qu’une fondation suisse, le Service social international (SSI). Sollicités par La Croix , les responsables de cette organisation n’ont pas souhaité s’exprimer sur le fond des discussions en cours.
« Cette question doit encore mûrir et trouver un terrain d’entente centré sur les droits de l’enfant né de la maternité de substitution » , affirme-t-on au SSI. Le bureau permanent de la Conférence de La Haye n’a quant à lui pas donné suite à nos demandes.
« C’est un travail mal parti et très inquiétant » , estime pour sa part Ludovine de La Rochère, la présidente de La manif pour tous. Son organisation a été auditionnée en avril dernier par le bureau permanent du groupe sur la maternité de substitution. « Sous prétexte d’harmoniser des législations différentes, il n’y a aucune approche anthropologique et éthique de la GPA. Une convention sur la GPA représenterait un basculement international. Il s’agit d’un risque majeur. »
Les travaux menés à La Haye suscitent en effet des attentes dans le camp des pro-GPA. C’est ce qu’explique Dominique Mennesson. Sa femme et lui ont engagé il y a dix-huit ans, après la naissance de leurs filles par GPA aux États-Unis, une bataille judiciaire pour faire reconnaître leur filiation en droit français : « J’espère que ces travaux déboucheront sur un instrument qui permettra d’assainir les pratiques (de la GPA, NDLR) et de les régulariser, afin de les faciliter. » Il réclame notamment « l’instauration de règles communes afin d’assurer la reconnaissance internationale de la filiation d’enfants nés par GPA ».
Dès 2011, les Mennesson ont eu des échanges avec le groupe de travail de la Conférence. « Ce sont des échanges factuels, avec des questions précises sur la situation des gens », explique-t-il. Parmi les Français qui ont été consultés figure également la juriste Laurence Brunet, qui avait écrit en 2014, notamment avec la sociologue Irène Théry, un rapport sur la famille, la filiation et la parentalité.
« Ce que je peux souhaiter, c’est que cette Conférence opte pour la solution la plus efficace pour les enfants nés de GPA: la reconnaissance pleine et entière de leur filiation, quel que soit le pays. Il doit y avoir une continuité de l’état civil où que l’on soit dans le monde », plaide pour sa part l’avocate Caroline Mécary, qui défend de nombreux Français ayant recouru à une GPA à l’étranger.