Homoparentalité : ces mères qui réclament leurs droits

En cas de séparation, les « mères sociales », celles qui n’ont pas accouché, peuvent se voir empêchées d’exercer leur autorité parentale

Solène Cordier

Christel Freund tenait à déposer les statuts de son association avant Noël, « parce que c’est une période difficile pour [elles] toutes », explique pudiquement cette Perpignanaise de 44 ans. L’association Parents sans droits a donc été créée le 20 décembre 2018. Elle a pour objectif d’alerter les décideurs politiques, qui vont pro­chainement débattre de l’ex­tension à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée (PMA), du vide juridique aujourd’hui réservé à celles qu’on appelle les « mères sociales .

Manou, Mamoune, Mamata… Qu’importe le petit nom que choisissent leurs enfants, elles sont le « deuxième parent » au sein d’un couple homoparental, celles qui n’ont pas accouché. Et qui n’apparaissent donc nulle part sur l’état civil de leur progéniture.

La loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage des personnes de même sexe a ouvert une brèche. Depuis cette date, les deuxièmes mères peuvent, dans le cas de couples mariés, adopter l’enfant qu’a mis au monde leur conjointe, et établir ainsi un lien de filiation reconnu par tous. Mais elle n’a rien résolu pour les couples non mariés. Et la situation peut devenir dramatique en cas de séparation conflictuelle, comme le prouve, parmi d’autres, l’histoire de Christel Freund.

« Plus de nouvelles »

Mère sociale de jumelles bientôt âgées de 5 ans, cette dynamique autoentrepreneuse, ancienne cadre dans la grande distribution, en est privée depuis deux ans et demi. Son ex-conjointe refuse aujourd’hui toute relation, allant jusqu’à nier l’implication de Christel Freund dans le projet parental ayant abouti à leur naissance, et ce malgré les attestations de plusieurs proches affirmant le contraire. « Quand j’ai rencontré Nathalie, fonder une famille avec elle s’est vite imposé comme une évidence. Elle avait un fort désir de grossesse, ce qui n’était pas mon cas, nous avons donc décidé qu’elle porterait notre enfant », explique Christel Freund. Comme pour beaucoup de lesbiennes qui souhaitent enfanter, le parcours est semé d’embûches.

Plusieurs inséminations réalisées avec le concours d’un donneur se concluent par des échecs, quand enfin, au bout de plusieurs années, elles apprennent qu’une clinique espagnole propose des embryons à l’adoption. Le transfert fonctionne et, neuf mois plus tard, le 19 mars 2014, Christel et Nathalie deviennent les parents de jumelles.

Les deux femmes, conscientes que Christel Freund n’a officiellement aucun lien avec les enfants, envisagent de se marier, ce qui lui donnerait la possibilité d’adopter. Mais le quotidien est bien rempli avec deux nouveau-nées et le projet est remis à plus tard. « Et puis on s’était toujours dit que les filles ne pâtiraient pas d’éventuels problèmes entre nous », se souvient Christel Freund, amère. Sauf que les relations du couple se détériorent au fil des mois. Elles se séparent définitivement en février 2015, après cinq années de vie commune.

Pendant plus d’un an, Christel Freund continue de s’occuper des deux petites, mais les disputes avec son ex-conjointe, de plus en plus fréquentes et violentes, l’inquiètent. Elle passe des jours, des semaines, sans avoir le droit d’avoir ses filles, au gré des humeurs de leur mère. Pour se protéger, elle décide donc, en juin 2016, de déposer une requête devant le juge aux affaires familiales pour se voir accorder un droit de visite et d’hébergement. La sanction est immédiate. Depuis cette date, elle n’a plus jamais revu ses filles.

La création de Parents sans droits est sa bouée de sauvetage. « Au départ, j’ai créé un groupe sur Facebook pour raconter mon histoire et tirer la sonnette d’alarme, parce que j’avais le sentiment que mon rôle auprès de mes filles et ma parole étaient niés. J’ai reçu des dizaines de messages de femmes dans des situations similaires, et ça a réveillé l’envie de me battre et d’expliquer que le mariage pour tous n’a pas tout réglé et qu’il est absolument nécessaire d’engager une réforme de la filiation. »

A quelques centaines de kilomètres de là, sans qu’elles se connaissent, Severine Lopez Ruiz veut aussi se battre pour faire changer la législation. Son ­histoire illustre bien les trajectoires multiples que recouvre aujourd’hui la notion de famille. A 43 ans, Severine Lopez Ruiz a deux fils, et elle n’a accouché d’aucun. Le premier, Tom, âgé de 10 ans, est né après une PMA en Hollande. A l’époque, le mariage pour tous n’existe pas encore, et aucun lien ne peut donc être établi entre Tom et Severine, son deuxième parent. Cependant, quand les deux mères se séparent, elles restent en très bons termes et s’organisent pour mettre en place une garde alternée.

« Au début, cela reposait juste sur notre bonne entente. Mais après en avoir beaucoup discuté, on s’est dit qu’il était préférable de le formaliser », explique Severine Lopez Ruiz. C’est donc de concert que les deux femmes demandent au tribunal de grande instance d’accorder une délégation partage de l’autorité parentale, ce qu’elles obtiennent en 2010.

Cette procédure, initialement destinée aux beaux-parents, permet à un tiers d’exercer les prérogatives de l’autorité parentale jusqu’à la majorité de l’enfant, date à laquelle l’adoption devient possible, avec son accord.

Tom vit donc la moitié du temps chez sa mère biologique, et l’autre moitié chez « Manou . Laquelle, plusieurs années après, se marie avec sa nouvelle compagne, L.. Un autre fils, N., naît de cette union, en 2017. Il est convenu que Severine Lopez Ruiz l’adopte comme la loi le permet désormais, et le mois suivant la naissance du bébé, elle et son épouse se rendent chez le notaire pour effectuer les démarches nécessaires. Mais la procédure prend du retard, en raison de pièces manquantes et de circonstances diverses. Or, avant que le dossier soit examiné par le tribunal, sans en avertir Severine, L. se rétracte. Dans la foulée, le 29 juillet, elle met fin à leur relation par texto. Leur fils a alors 10 mois.

« Ma femme a quitté immédiatement notre maison, elle s’est installée chez sa mère. Au début, elle me laissait N. selon son bon vouloir, un week-end, un jour par-ci, par-là… » Au bout d’un mois, la relation se détériore quand Severine Lopez Ruiz, ne voyant pas d’autre issue, fait part de son intention d’entamer une procédure de divorce. Depuis le 25 septembre, malgré ses demandes, L. refuse qu’elle revoie son fils. « Je n’ai plus de nouvelles, pas de photos. Nos seuls contacts, par mail, concernent les traites de la maison, qui n’est pas encore vendue. Elle n’a même pas accepté que je fête avec eux son premier anniversaire », confie-t-elle, très affectée.

« Spoliation de l’enfant »

Après l’échec en première instance de sa demande d’adoption, reçue quelques jours avant Noël, Severine Lopez Ruiz mise aujourd’hui sur un droit de visite et d’hébergement qui pourrait lui être accordé dans le cadre du ­divorce. Dans l’attente d’une audience, elle constitue son dossier. « Je dois prouver que je suis un parent. Et pourtant je l’ai vu naître mon fils, j’étais là, je l’ai pris dans mes bras tout de suite! Ce que je vis, je ne le souhaite à personne », dit-elle, oscillant entre la colère et les larmes.

Ces situations de grande détresse, l’avocate Caroline Mécary, spécialisée en droit de la famille et dans la défense des familles homoparentales, les connaît bien. « En cas de conflit avec la mère légale, le défaut de statut de la mère sociale est un facteur de précarité totale pour la mère et pour l’enfant », observe-t-elle. « Ce sont souvent des dossiers très durs, avec des mères qui sont dans la toute-puissance, et l’on assiste parfois à une vraie spoliation de l’enfant. » La seule possibilité de recours est aujourd’hui pour les deuxièmes mères d’engager une procédure de maintien du lien au titre de l’article 371-4 alinéa 2 du code civil, qui fixe « les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non .

Aucun caractère d’urgence

Selon les tribunaux, les juges sont plus ou moins enclins à octroyer des droits dans ce cadre. Pour Christel Freund,l’audience est fixée le 27 juin, le tribunal ne voyant dans son affaire aucun caractère d’urgence. Or, « plus le temps passe, plus [son] lien avec [ses] filles peut être minoré . « Quand on veut devenir parents et qu’on est homosexuelles, on nous rebat les oreilles avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Où est-il, aujourd’hui, l’intérêt supérieur de mes filles privées d’une branche de leur famille? », interroge-t-elle. Quand le juge examinera sa demande, cela fera trois ans qu’elle n’aura pas revu ses enfants.