Les « gays » sur tous les fronts

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HOMOSEXUALITÉ. La Gay Pride annuelle a lieu aujourd’hui à Paris alors que Martine Aubry propose de réprimer l’homophobie par la loi

Les « gays » sur tous les fronts

Anne-Charlotte de LANGHE

De la place Denfert-Rochereau jusqu’à la Bastille, la Gay Pride 2000 se déroulera cet après-midi à Paris, autour d’une soixantaine de chars décorés aux couleurs de l’arc-en-ciel, emblème de la communauté homosexuelle. L’an passé, entre 75 000 et 100 000 personnes avaient défilé contre l’homophobie. Un véritable « fléau social », dénoncent aujourd’hui les associations de défense de l’homosexualité. Celles-ci réclament la mise en place de campagnes de sensibilisation du public, mais surtout une modification de la loi sur l’injure et la diffamation. Jeudi, Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, annonçait à neuf de ces organisations qu’un amendement ajoutant « l’orientation sexuelle » aux autres motifs de la discrimination compléterait son projet de loi de modernisation sociale. L’inscription de cette nouvelle notion au Code du travail, qui ne proscrivait plus généralement que les discriminations fondées sur les « moeurs », a rencontré hier l’approbation du conseil de la Lesbian and Gay Pride (LGP), qui réunit une trentaine d’associations.

De l’indifférence face aux pratiques homosexuelles sous l’Antiquité, au Pacte civil de solidarité (Pacs) voté en novembre 1999, il y a plus qu’un pas. Année après année, et jusqu’à se constituer en groupe de pression, les homosexuels hommes et femmes ont cherché à s’imposer sur toutes les scènes de la vie, aussi bien sociale que juridique, puis politique. Pour défendre sa propre cause, le « lobby gay » fait ainsi bien plus que protéger ses récents acquis : dans la rue, et maintenant d’hémicycle en tribune, c’est une reconnaissance totale de leurs droits que les homosexuels attendent.

Alors qu’aux Pays-Bas les parlementaires discutent actuellement un projet de loi sur l’ouverture du mariage civil aux homosexuels, la législation française a connu, ces vingt dernières années, une forte accélération en la matière. « Il n’y a pas de recette miracle pour obtenir des droits, souligne Caroline Mécary, avocate à Paris et auteur de Droit et homosexualité (1). Il y a juste, à un moment donné, la constatation qu’il existe un traitement juridique différent entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel. C’est là que le combat commence, puisqu’il y a une prise de conscience qu’une telle discrimination n’est pas tolérable. »

D’après cette juriste, les tribulations successives des textes relatifs à l’homosexualité, officiellement perçue jusqu’à la Révolution comme un blasphème, puis définitivement dépénalisée en 1982, ont elles aussi modifié la donne. « Le fait que la Cour de cassation ait, en 1989, posé un dogme disant que le concubinage homosexuel n’existait pas, a également été un facteur de réveil chez la communauté gay, explique Me Mécary. Ce déni d’une réalité, ce refus de reconnaître positivement un droit, a exacerbé la principale revendication des homosexuel (le) s : le droit d’être ce qu’ils sont. »

En racontant l’Histoire de l’homosexualité en Europe (2), Florence Tamagne note d’ailleurs comment l’homosexualité s’est manifestée au grand jour. « Après une tentative d’émancipation dans les années 20, et une période d’occultation extrêmement longue jusque dans les années 70, les homosexuels ont finalement pu militer à l’instar des autres mouvements d’expression issus de toutes les minorités », remarque cette jeune chercheuse.

Enfin, si, en 1991, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) cesse d’inclure l’homosexualité dans la liste des maladies mentales, la pandémie de sida, dès le début des années 80, a déjà modifié les mentalités. Et pousse aussi les homosexuels à exiger une protection spécifique en tant que concubins. « Bien qu’il ait pu faire craindre qu’on stigmatise encore plus les homos, le sida a surtout montré qu’on était des gens tout ce qu’il y a de plus banals », estime pour sa part Jacques Fortin, qui vient de publier Homosexualités : adieu aux normes (3).

Existe-t-il alors une authentique stratégie du lobby gay afin d’obtenir des droits, comme celui à l’adoption ? « Il y en a en réalité plusieurs, analyse Jacques Fortin. Celle qui consiste à développer l’autonomie associative dans le milieu gay, afin de se montrer et d’être vus. Celle liée au commerce. Et, enfin, celle qui consiste à demander des lois supplémentaires pour être respectés. Avant, la logique voulait qu’on s’autojustifie en se disant anormal. Aujourd’hui, nous en sommes au stade de l’affirmation. »

(1) Collection « Etats de droits », Dalloz.

(2) Editions du Seuil

(3) Collection « La Discorde », aux éditions Textuel.

Illustration(s) :

En 1999, près de 100 000 personnes avaient participé à la Gay Pride. Dans la rue, l’hémicycle ou en tribune, les homosexuels attendent une reconnaissance totale de leurs droits.