Travail. SOS Homophobie lance une campagne d’information auprès des syndicats.

Homophobie dans l’entreprise la fin du silence?

Ménine, Karelle
« Pierre T., vingt-cinq ans, travaille dans une entreprise agroalimentaire. Il a été insulté par un collègue puis convoqué par le directeur qui lui a demandé de démissionner. Motif invoqué: son homosexualité. » En théorie, le Code pénal interdit à un employeur de refuser d’embaucher une personne ou de la licencier parce qu’elle est homosexuelle, mais la réalité est parfois autre. En lançant une campagne d’information auprès des syndicats, SOS Homophobie rappelle combien le monde de l’entreprise est, encore de nos jours, marqué d’une lourde homophobie.

« Au travers de notre ligne d’écoute anonyme (1) nous avons constaté, explique Christine Le Doaré, présidente de l’association, qu’il subsistait beaucoup d’homophobie dans le milieu professionnel. Or les personnes qui en sont victimes ne se tournent pas vers les délégués syndicaux pour obtenir une aide. Souvent, parce que les syndicats eux-mêmes manquent de repères sur cette question et sont donc peu enclins à épauler efficacement leurs collègues discriminés. Par cette campagne, nous souhaitons leur donner les moyens d’intervenir et d’agir. »

« F. travaille depuis deux mois dans une maison de retraite en région parisienne et est harcelé par la directrice du personnel. Celle-ci raconte à qui veut l’entendre que F. est homosexuel et le menace verbalement de renvoi. « C’est vous qui partirez, je ne veux pas de pédés ici ». » L’histoire ressemble à celle de T. Elles sont issues du rapport 1999 publié par SOS Homophobie, envoyé aux syndicats. Parmi les autres documents fournis, figurent quelques définitions de l’homophobie, comme celle du Petit Larousse: « Rejet de l’homosexualité, hostilité systématique à l’égard des homosexuels. » Flora Leroy-Forgeot est juriste et philosophe (2): « Définir l’homophobie, en parler, est quelque chose de nouveau. Au sein d’une entreprise, les liens sont particulièrement sexués. Les traditionnels clivages hommes – femmes aboutissent à des discriminations sexistes tout autant qu’à des discriminations homophobes. Cela peut être entre employé et employeur, comme entre employés entre eux. Mais les témoignages sont souvent difficiles à recueillir parce que venir en aide à un homosexuel fait encore craindre, en retour, une assimilation à l’homosexualité. Cela casse quelque chose de la fraternité masculine. »

Interpeller les syndicats sur cette question, accélérer leur prise de conscience, leur proposer des modules de formation, être à leurs côtés, sont autant de points évoqués par l’association pour la mise en place de cette campagne. « En matière d’homophobie, explique Caroline Mécary, avocate (3), il existe deux types de traitement juridiques différents. L’homophobie exprimée par le discours, qui concerne les injures publiques, la diffamation; et les actes matériels (licenciement, etc.) susceptibles d’être liés à de l’homophobie. Dans les deux cas, la difficulté essentielle est la constitution d’une preuve. Les délégués syndicaux peuvent sans aucun doute aider à l’établir. »

Le sujet est sensible, d’actualité et la CGT a d’ores et déjà crée un groupe de lutte contre l’homophobie. « Les syndicats évoluent, poursuit Caroline Mécary. La plupart sont prêts à plus de vigilance. Il faut juste un peu de temps. »

Reste à convaincre ceux qui tiennent des propos homophobes sans en avoir l’air, au hasard des couloirs, d’un verre au bar, ou dans une salle de réunion, qu’ils sont, eux aussi, hors la loi. Flora Leroy-Forgeot: « Le vocabulaire du type: « celui-là, sur ce coup, on va l’enculer », même s’il n’est pas, dans la bouche de celui qui l’utilise, synonyme d’homophobie, blessera l’homosexuel qui l’entend. »

Dans le film le Goût des autres Jean-Pierre Bacri se fait ainsi merveilleusement reprendre après qu’il ait utilisé le terme (si classique) de pédé. « Ce pédé? Vous voulez dire, les gens qui s’enculent, comme mon ami et moi-même? »…

Lutter contre l’homophobie passe aussi par là. Et Flora Leroy-Forgeot de conclure: « En France, on revendique une idée d’égalité. C’est une erreur. Il s’agit de prendre en compte les différences, dans ce qu’elles ont de riches, comme dans ce qu’elles ont de difficile. »

(1) 01 48 06 42 41. (2) Auteur d’un ouvrage intitulé Histoire juridique de l’homosexualité en Europe (Éd. PUF). (3) Auteur de Droit et homosexualité (Éd. Dalloz).