« Pourquoi nous créons l’association Isota »

Isota (abréviation du concept d’égalité des droits, en grec ancien) intervient à un moment charnière de l’histoire française : celui où sont questionnées les valeurs de la République. Isota est une association dont la vocation est de faire appliquer le principe d’égalité protégé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous, citoyennes et citoyens de tous horizons politiques et d’orientations sexuelles diverses, proclamons que l’interdiction de se marier et d’adopter des enfants constitue une discrimination inacceptable et réclamons sans appel le droit à l’égalité gravé au frontispice des mairies depuis plus d’un siècle et dans l’article premier de la Constitution.

Dans un pays qui se targue de savoir articuler universalité des droits et singularité des identités, pays fier de brandir l’héritage intellectuel du XVIIIe siècle comme garant de son rôle d’avant-garde, force est de constater que la contradiction ne dérange pas. En refusant aux minorités le droit de se marier et d’avoir des enfants légalement, la France assume le fait d’héberger un ensemble de sous-citoyennes et de sous-citoyens. Isota ne se contente plus des avancées significatives depuis la création du pacte civil de solidarité (pacs) ; son caractère incomplet par rapport au mariage constitue de fait une discrimination. La liberté prônée depuis la IIIe République peine à être incarnée concrètement dans les lois : liberté de se marier ou pas, de fonder une famille ou pas, autant de choix dont une minorité est éminemment privée.

Dans une société qui repose encore sur le contrat entre deux êtres comme cadre stable de l’épanouissement personnel, le pacs et les droits restreints qu’il propose ne sauraient dissimuler la précarité de la situation, au quotidien, après la dissolution du contrat ou après la mort d’un des partenaires. Dans une société qui produit encore des raisonnements homophobes impunis au nom de la liberté d’expression, donnant à des milliers de personnes un sentiment d’insécurité, cette aporie dans les choix de vie résonne comme leur légitimation.

Tant que les gays – good as you – devront se contenter d’un horizon restreint, une phobie latente persistera à se répandre à leur endroit. Par exemple, une société qui interdit à certains des siens de vivre comme tout le monde a-t-elle le droit de véhiculer des idées reçues en brandissant des statistiques sur une prétendue faible durée de vie du couple homosexuel ? Dans le même ordre d’idée, il n’est plus possible d’entendre des opinions sur le caractère « rebelle » de l’homosexualité, qui l’opposerait au modèle « bourgeois dominant » ; c’est faire d’un ensemble de citoyens une communauté uniforme, aspirant aux mêmes schémas de vie.

En Europe, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et l’Islande ont compris la nécessité de donner à leurs citoyens le droit d’envisager une vie à deux dans le cadre du mariage, indépendamment de leur orientation sexuelle. En Grande-Bretagne, le civil partnership permet aux couples homosexuels d’adopter librement.

Ce mouvement de compréhension, lucide en regard de l’évolution des mentalités, se propage depuis une dizaine d’années et renouvelle constamment la preuve que des pays voisins, faisant partie pour la plupart de l’Union européenne, peuvent choisir de proposer une société égalitaire sans se soucier d’enjeux prétendument éthiques qui masquent, en réalité, une pensée éminemment rétrograde.

La France se retrouve donc à l’arrière-garde, au niveau de la Pologne ou de l’Italie. Aux Etats-Unis, Barack Obama s’est prononcé fin février contre tout projet de loi qui viserait à interdire le mariage à deux personnes du même sexe, formulant ainsi un avis tranché qui s’inscrit dans une prise de conscience publique des discriminations dont nous pâtissons.

Pendant ce temps, en France, le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’interdiction sur le territoire du mariage entre personnes de même sexe, mais il a cru devoir renvoyer cette question au législateur. Une institution à même d’envoyer des signes encourageants à un ensemble de personnes dans l’attente n’ose pas se prononcer. Elle reconnaît toutefois, heureusement, qu’il n’est nullement anticonstitutionnel que deux personnes de même sexe se marient.

Début 2009, le projet de loi sur le statut du beau-parent, engagement électoral de 2007 qui aurait permis à des familles homoparentales d’acquérir une existence légale est reporté, manifestement en raison d’une division entre gouvernement et majorité, puis purement abandonné. Le droit à l’adoption par des couples de même sexe ou la reconnaissance juridique de ces familles précaires rencontrent encore aujourd’hui une forte hostilité qui prend pourtant appui sur un raisonnement hautement stigmatisant à propos d’un prétendu mode de vie gay qui ne serait pas en accord avec les intérêts de l’enfant. Cet argument n’est-il pas avancé pour masquer d’odieux préjugés dissimulés derrière de bonnes intentions ?

Interdit-on à des personnes célibataires, handicapées ou pauvres d’avoir des enfants sous prétexte que leurs intérêts seront moindres comparés à ceux des personnes mariées, riches et en bonne santé ? Les difficultés subséquentes à chaque situation sont évidemment à étudier, mais la restitution de nos droits fondamentaux ne saurait être différée de nouveau à l’aide de discours d’ordre éthique profondément condamnables. Chacun sait qu’il n’est pas question d’intérêts matériels mais qu’un enfant a avant tout besoin d’amour et d’attention pour s’épanouir.

La réalité sociale, fort heureusement, a toujours devancé le droit positif, et la France met des oeillères pour ne pas voir cette réalité, laissant des milliers d’enfants hors du cadre légal : des couples de femmes ont des enfants, des couples d’hommes ont des enfants, des personnes transgenres ont des enfants. Nous ne voulons plus entendre débattre d’homosexualité.

Des siècles douloureux portés par des générations d’ignorants se sont déjà chargés de pérorer sur notre légitimité à exister. A l’heure où la France choisit de pointer du doigt les pays non-occidentaux afin de redire qu’elle respecte « ses femmes et ses homosexuel(le)s », il serait temps qu’elle regarde son retard dans les yeux et qu’elle rougisse des contradictions dans lesquelles elle s’embourbe.

Caroline Mecary est avocate et Pascal Houzelot est chef d’entreprise.

Les amis d’Isota soutiennent le droit à l’égalité (liste non-exhaustive) : Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre ; Valérie Bernis, dirigeante d’entreprise ; Philippe Besson, écrivain ; Daniel Borrillo, universitaire ; Véronique Cayla, présidente d’une société de télévision ; Guillaume Cerutti, président de société ; Claire Chazal, journaliste ; Grégoire Chertok, associé gérant d’une banque d’affaires ; Jean-Paul Cluzel, président d’un établissement public culturel ; Damien Cuier, dirigeant d’entreprise ; Dominique de Souza, conseillère en communication ; Vikash Dhorasoo, ancien international de football ; Caroline Fourest, écrivain et journaliste ; Mathieu Gallet, président d’une société audiovisuelle ; Laurent Glepin, directeur de la communication d’une entreprise culturelle ; Serge Hefez, psychanalyste ; Jean Hornain, dirigeant d’entreprise ; David Kessler, directeur général d’une entreprise culturelle ; Pierre Leroy, dirigeant d’entreprise ; Joseph Macé-Scaron, ecrivain et journaliste ; Betty Mialet, éditrice ; Frédéric Mion, secrétaire général d’une entreprise audiovisuelle ; François-Henri Pinault, président de société ; Alain Seban, président d’un établissement public culturel ; Serge Simon, médecin et ancien international de rugby ; Elisabeth Tanner, agent artistique ; Marc Tessier, dirigeant d’entreprise ; Lilian Thuram, président de la fondation Education contre le racisme et ancien international de football ; Louis-Georges Tin, universitaire ; Catherine Tripon, porte-parole d’une association LGBT ; Véronique Morali, dirigeants d’entreprise.

LEMONDE.FR Pascal Houzelot et Caroline Mecary, fondateurs d’Isota