PMA pour toutes : les contradictions de la société française

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Martina Meister

Si, d’après les sondages, une majorité de Français sont favorables à l’accès à la procréation médicalement assistée pour toutes les femmes, des failles culturelles parcourent toujours la société. Die Welt les évoque, alors que la loi doit être examinée à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre.

Pendant sa campagne, Emmanuel Macron avait, dans des discours enflammés, ignoré nombre d’interdits et ainsi violé certains tabous français. Il y a cependant un sujet qu’il évitait toujours quand il plaidait, dans de grandes salles, pour le renouveau de la France : la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes. Le souvenir des mois de manifestations contre le mariage pour tous était encore trop présent.

Le programme du mouvement En Marche comportait cependant une phrase qui ne laissait pas de place au doute : « Nous sommes favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes. »

C’est de cette révolution sociale qu’il s’agit maintenant. On est en train de voir se concrétiser une conception élargie de la famille qui prend en compte les réalités. Il s’agit plus précisément de familles sans père, et d’enfants sur ordonnance.

La fin d’une discrimination

Jusqu’à présent, les femmes seules et les lesbiennes ne pouvaient bénéficier d’une aide financière pour la procréation médicalement assistée. Seuls les couples stériles, mariés ou non, qui vivaient ensemble depuis deux ans avaient droit à la prise en charge de ce traitement, et ce depuis 1994.

Deux femmes (Katharina et Adeline) qui ont eu recours à la PMA au Danemark, le 19 juillet 2019 à Toulouse. PHOTO / ERIC CABANIS / AFP

Macron entend mettre fin à cette discrimination. Il a déclaré dans un entretien accordé au quotidien catholique La Croix qu’il entendait garantir à « toutes les femmes » l’accès à cette « prestation médicale ».

Les adversaires de cette ouverture craignent une marchandisation du corps. « Ça mène directement au transhumanisme », déplore Ludovine de La Rochère, porte-parole de La Manif pour tous, ces catholiques fondamentalistes qui voudraient également interdire le don de sperme aux couples stériles.

« Avec ça, on arrive à l’enfant sur commande », déplore de son côté la philosophe Sylviane Agacinski, la femme de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin. « Ce ne sont pas seulement les souhaits et les désirs des adultes qui sont en jeu. »

Au Parlement fin septembre

Conscient de cette opposition, le président a fait plancher pendant deux ans un comité d’éthique sur la question. La ministre de la Santé a fini par présenter un projet de loi sur la bioéthique en juillet. Les députés se prononceront sur le texte après les vacances d’été.

Le projet prévoit également la suppression de l’anonymat du don de sperme. C’est déjà le cas en Allemagne depuis quelques années et les caisses d’assurance-maladie prennent en charge environ la moitié des frais mais uniquement pour les couples mariés et sur prescription médicale.

Cette loi arrive un poil trop tard pour Amandine et Lauren Giraud. Peu après leur mariage en 2016, elles se sont rendues dans une clinique spécialisée en Espagne. Aujourd’hui, elles sont mères de jumeaux de 18 mois qui ont été conçus grâce à un don de sperme anonyme. Amandine a fourni les ovules et Lauren a porté les enfants.

À lire aussi: Vu de l’étranger. Macron ne pourra pas faire marche arrière sur l’ouverture de la PMAUne famille normale

« Nous sommes une famille tout à fait normale », déclare celle-ci. Les deux garçons et leurs mères habitent un petit appartement dans une cité de Vitrolles, une petite ville qui se trouve à une demi-heure de voiture de Marseille. « Nous avons même fait baptiser nos fils à l’église, par le curé », précise Amandine, pendant que le petit Léandre vide les placards de la cuisine et répand le sucre par terre.

Amandine, 33 ans, est policière à Marseille. Un travail dur. Elle est brune et a les yeux bleus, comme Léandre. Elle porte les cheveux longs sauf sur la tempe gauche. Lauren, 36 ans, les yeux bleus et le regard sympathique, est assistante dans une école maternelle. Assise sur un petit tabouret, elle tient le blond Makenzy dans ses bras et le couvre régulièrement de baisers. Makenzy sourit, ravi. Il ne pourra probablement jamais marcher ni parler.

Il souffre d’une mutation génétique rare, mais manifestement pas de manque d’amour. Sa maladie n’est pas due à la procréation médicalement assistée, c’est l’un de ces rares accidents de la nature qui peut se produire à chaque grossesse.

Une situation plus claire pour la partenaire

Amandine et Lauren ont toujours voulu des enfants, à n’importe quel prix. Les leurs leur ont coûté dans les 8?000 euros. L’essentiel est parti dans le traitement médical et la fécondation in vitro, le reste dans les déplacements en Espagne. Une somme importante pour un couple aux revenus relativement modestes.

Le traitement sera à l’avenir pris en charge par la Sécurité sociale. Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, considère que les progrès de la médecine ne sont pas réservés aux personnes ayant des revenus plus étoffés.

Cette loi ne mettra pas seulement fin au tourisme médical vers l’Espagne, où près de 2?000 Françaises se font traiter chaque année. Elle éclaircira la situation de la partenaire du couple lesbien qui n’a pas porté l’enfant.

Compte rendu du dernier Conseil des ministres avant la trêve estivale, avec Nicole Belloubet, garde des Sceaux et ministre de la Justice, et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Photo / Benoit Durand / Hans Lucas / AFPLa route a été longue

Après la naissance des deux garçons, Amandine a dû faire une demande d’adoption et prouver qu’elle « [s]’occupait bien des enfants ». La procédure a duré trois mois, mais il arrive qu’elle traîne pendant un an et demi. Un laps de temps pendant lequel une relation peut se terminer et la partenaire qui n’a pas porté l’enfant n’a aucun droit.

Avec la future loi, les couples lesbiens devront faire enregistrer leur volonté de maternité devant notaire avant la PMA?; la filiation de l’enfant sera ainsi établie avant la naissance, on ne sera plus obligé d’adopter. L’acte de naissance comportera le nom des deux parents et un renvoi à la « déclaration d’intention ».

La route vers cette loi a été longue. C’est lentement que les Françaises ont conquis le droit à disposer de leur corps et progressivement que le slogan « Notre ventre nous appartient » a fait son chemin dans la société.

La fin d’un débat social

Tout a commencé par la légalisation de l’avortement. Marie-Louise Giraud, la dernière « faiseuse d’anges », a été guillotinée en 1943. En 1971, 343 Françaises célèbres ont déclaré publiquement avoir avorté, risquant au passage des poursuites pénales.

Leur texte a longtemps été appelé le « manifeste des 343 salopes ». Alice Schwarzer les avait imitées dans [le magazine allemand] Stern quelques semaines plus tard. En 1975, Simone Veil, alors ministre de la Santé, obtenait la légalisation de l’avortement. Le Pacs suivit en 1999 et le mariage pour tous quatorze ans plus tard.

« Une législation sur ces questions reflète toujours la fin d’un débat social », déclare Caroline Mécary, une avocate qui représente des couples homosexuels devant les tribunaux depuis vingt ans.

Ses interventions ont apporté une contribution considérable à la législation. Elle ne cesse de réduire en miettes les arguments des adversaires du progrès, entre autres celui selon lequel cette future loi conduira automatiquement à la légalisation de la gestation pour autrui. « C’est absurde, déclare-t-elle. Il n’y aura pas d’effet domino. »

La Manif pour tous est-elle morte??

La réforme de Macron fera-t-elle descendre dans la rue des milliers de catholiques traditionalistes comme le mariage pour tous en 2013?? C’est exclu pour Caroline Mécary.

À ses yeux, La Manif pour tous est politiquement morte :

En étouffant les scandales de pédophilie, l’Église catholique a perdu toute crédibilité sur les questions de politique familiale. »

Les conservateurs, désorientés et sans chef depuis les élections d’il y a trois ans, sont tout aussi dépassés que l’Église sur cette question délicate et ne trouvent pas de ligne ferme. Le vote va à nouveau les diviser.

Un automne qui s’annonce très chaud

D’un autre côté, Macron doit tenir compte des anciens conservateurs qui se trouvent désormais dans ses rangs. Son premier gouvernement comptait tout de même quatre ministres qui avaient voté contre le mariage pour tous. « Macron ne va pas trop loin, mais suffisamment pour achever de diviser les conservateurs », analyse Caroline Mécary.

La société française est-elle vraiment mûre pour cette réforme, mûre pour des familles sans père financées par les fonds publics?? Selon les derniers sondages, une nette majorité des personnes interrogées est favorable à l’extension de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes.

Cependant, la moitié de ce groupe déclare également : « Un enfant a le droit d’avoir une mère et un père. » Une contradiction qui donne une idée des failles culturelles qui parcourent toujours la société. Et qui vaudront probablement à Emmanuel Macron un automne très chaud.