PMA : elles ont ouvert la voie

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Marie-Laure ont eu trois filles qui ont entre 20 et 25 ans. A l’heure où la loi a été votée, ces pionnières racontent

C’était un jour d’été, un jour de fête, le premier du reste de leur vie de famille. Le 27 juin 2001, la justice permet à Carla d’adopter les trois filles qu’elle élève avec sa compagne, Marie-Laure, mère biologique des petites. Une première, obtenue devant le tribunal de grande instance de Paris par leur avocate, Caroline Mécary, qui donne aux deux femmes les mêmes droits et devoirs que des parents hétérosexuels et fait d’elles des pionnières. Sur leur livret de famille, la mention des deux mères, alors unique en France, est ajoutée à la main. « D’un coup, on a pu exister. Tout simplement. Etre reconnues, comme une famille normale, comme les autres », dit Carla.

Les enfants ont deux mères, « maman » et « mamina »

Elles nous reçoivent chez elles, à Paris, dans une petite maison de Belleville aux grands canapés confortables. C’est là qu’ont grandi Giulietta, Luana et Zelina, des prénoms italiens, échos symboliques aux origines toscanes de Carla. Elles ont aujourd’hui 25, 22 et 20 ans et ont pris leur envol, jeunes adultes indépendantes, à l’orée de leur vie professionnelle. Sorties de l’enfance, tout juste de l’adolescence, elles racontent leur histoire avec enthousiasme et préviennent : « Ce n’est pas parce qu’on est différent qu’on est moins heureux. » Toutes les trois sont issues de procréations médicalement assistées, effectuées par insémination avec des dons de sperme anonymes, en France pour Giulietta, en 1994, quand un vide juridique a permis aux couples de lesbiennes d’accéder, pendant quelques années, à la PMA ; en Belgique pour les deux cadettes, en 1997 et 1998. A la crèche, dans le primaire, puis dans le secondaire, Carla et Marie-Laure préviennent institutrices et professeurs, en début d’année, que leurs enfants ont deux mères, « maman » et « mamina ». « Nous étions les seules. Tous nos amis, encore maintenant d’ailleurs, ont un père et une mère, dit Zelina. Mais ça n’a jamais été un problème. »

Aujourd’hui, l’Insee estime que 31 000 enfants vivent en France dans une famille homoparentale. Au début des années 2000, les trois soeurs sont des exceptions. A la Fête des pères, elles fabriquent des cadeaux, comme les autres élèves et les offrent à une de leurs mères. Les camarades de classe posent des questions, elles y répondent. Zelina se souvient : « On m’a dit plusieurs fois : « On dirait pas que t’as deux mères. » Comme si ça pouvait se voir sur ma tête ! » Depuis leur naissance, les filles savent qu’« un monsieur a donné une graine » pour chacune d’elles. Leurs mères expliquent, avec des mots simples d’abord, sans jamais rien omettre. Toutes se rendent parfois aux goûters organisés par l’Association des parents gays et lesbiens et à la Gay Pride, mais Carla et Marie-Laure ne sont pas des militantes de la communauté LGBT. Dans leur entourage, autant d’hommes que de femmes, des copains de tous bords, des familles aux parcours divers, parmi lesquels elles choisissent deux parrains pour chacune de leur fille. « Des référents masculins, au cas où nous aurions besoin de nous tourner vers eux. Mais ça n’est jamais arrivé pour l’instant », précise Luana. Grands-parents, oncle et tante sont également présents.

Dans leur quartier de Belleville, les voisins s’arrêtent souvent prendre l’apéritif et restent dîner. A la maison, il y a toujours du passage, des fêtes le samedi soir, beaucoup de livres d’art, un environnement privilégié, ouvert sur le monde et la culture. Carla est photographe, Marie-Laure graphiste et conteuse ; elles emmènent leurs filles en voyage, leur parlent de politique et exigent une chose : qu’elles votent aux élections. « Nous avons la chance d’avoir reçu une éducation qui nous aide beaucoup, qui ne tient pas à la sexualité de nos parents mais à leur personnalité », affirme Giulietta.

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Nous avons nos deux parents, nous n’avons pas subi d’abandon

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Pour parler de leurs donneurs, elles disent « pères », sans que ce mot n’ait pour elle de signification concrète. Elles n’ont, pour l’instant, jamais ressenti le besoin d’obtenir des informations à leur sujet. Gamines, elles en font une plaisanterie quand, devant la télévision, elles imaginent qu’un acteur, un homme politique ou un présentateur serait leur géniteur. En septembre, l’Académie nationale de médecine a émis des réserves sur l’extension de la PMA à toutes les femmes, estimant que « la conception délibérée d’un enfant privé de père » n’est « pas sans risques » pour son « développement psychologique ». Une opinion jugée « datée » par la ministre de la Santé. « Nous n’avons jamais ressenti de manque, dit Giulietta. Nous avons nos deux parents, nous n’avons pas subi d’abandon. » Zelina ajoute : « Ça n’aurait pas de sens dans ma vie de connaître mon père. Je me sentirais obligée de lui faire une place, je n’en ressens pas le besoin. Et lui non plus, sans doute. »

En 2019, 65 % des Français sont favorables à l’extension de la PMA à toutes les femme

En 2012, quand le gouvernement propose d’ouvrir le mariage et l’adoption à tous les couples, de nombreux opposants se font entendre et, pour la première fois, les filles de Carla et Marie-Laure sont prises à partie. Au lycée, les langues se délient, elles doivent faire face à des attaques verbales. Luana raconte : « Un garçon m’a expliqué : « Tous les enfants d’homos deviennent fous. » » Zelina argumente : « Un copain me disait que les homosexuels feraient mieux d’adopter des orphelins. Je lui ai répondu que les hétéros, eux, peuvent choisir entre l’adoption et la PMA. Alors pourquoi les homos ne pourraient pas avoir ce choix ? » La loi Taubira est finalement votée et si quelques-uns militent pour son retrait, la majorité de l’opinion publique la soutient. En septembre 2016, 62 % des Français se disent défavorables à son abrogation, selon un sondage de l’Ifop. En 2019, 65 % sont favorables à l’extension de la PMA à toutes les femmes. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est également prononcé pour, tout comme le Défenseur des droits, le Conseil d’Etat et le Comité consultatif national d’éthique.

Les mentalités évoluent et, autour des trois soeurs, la jeunesse s’interroge plus que jamais sur la sexualité ; les questions sur le genre, la bi et la transsexualité se posent davantage qu’auparavant. « J’ai pas mal d’amis qui se prennent la tête et se tournent vers moi comme si j’étais une spécialiste parce que j’ai deux mères, s’amuse Zelina. Je ne crois pas être la mieux placée pour répondre, mais mes potes pensent que si ! » Elle et ses soeurs se disent hétérosexuelles. « Ce n’est pas parce qu’on a des parents homos qu’on devient forcément homo », rappelle Giulietta. Depuis qu’elles sont petites, leurs mères leur ont laissé le choix, petit copain ou petite copine, tout est envisageable. Elles-mêmes aimeraient devenir mères dans quelques années, concentrées pour l’instant sur leurs carrières balbutiantes. Giulietta est coiffeuse-maquilleuse pour le cinéma, Luana est comédienne à Londres et Zelina, monteuse.

Alors que leurs parents ont dû attendre des années avant de pouvoir être considérés par le droit français, les futures mères lesbiennes ou célibataires qui auront recours à un don de sperme verront désormais la filiation de leur bébé immédiatement reconnue. Etablie chez le notaire avant la grossesse, la condition requise pour avoir accès au don, la reconnaissance anticipée sera mentionnée, en une ligne, sur l’acte de naissance intégral. « Cela permet de sécuriser la filiation, de garantir à l’enfant l’accès à un bout de son histoire, de ses origines, explique Me Mécary. Mais il y a une discrimination pour les enfants de couples hétérosexuels qui, eux, n’auront pas cette mention sur leurs actes de naissance. Leurs parents ne seront pas dans l’obligation de leur dire qu’ils sont issus d’un don… C’est un choix politique de ne pas toucher à la filiation des hétéros. »

14 pays de l’Union autorisent déjà la PMA aux couples de femmes et 26 aux célibataires

Les hommes qui le souhaitent pourront faire un don de sperme, sans être rémunérés, en indiquant leur identité et quelques informations : la motivation de leur don rédigée par leurs soins, leur pays de naissance, leur âge, leurs caractéristiques physiques, leur situation familiale et professionnelle, des renseignements accessibles à l’enfant, s’il le désire, à sa majorité. Ces modalités, prévues par l’article 1 de la loi sur la bioéthique, ont été adoptées par l’Assemblée nationale le 27 septembre. « Il était temps ! lancent en choeur Giulietta, Luana et Zelina. La France est censée être un pays progressiste, mais nous sommes très en retard. » En Europe, 14 pays de l’Union autorisent déjà la PMA aux couples de femmes et 26 aux célibataires. « La loi permet de réduire les risques sanitaires des PMA pratiquées à la maison avec des donneurs trouvés par petites annonces », explique Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales. « Certaines femmes font l’impasse sur les règles élémentaires de sécurité, sollicitent des hommes en leur promettant une paternité alors qu’elles ne recherchent qu’un géniteur. La loi permettra de l’encadrer. »

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Assises dans le salon de leurs mères, les soeurs feuillettent des albums de photos. Les souvenirs d’enfance ressurgissent, elles sourient. Carla et Marie-Laure, en couple depuis quarante ans, observent, émues, leurs petites devenues jeunes femmes, cette fratrie particulière et pourtant ordinaire, parfait exemple d’une PMA réussie. « Les lesbiennes ou les mères célibataires ne sont ni pires ni meilleurs parents », rappelle leur avocate. Giulietta, l’aînée, reprend soudain la parole : « Ce qu’il est important de comprendre, c’est que nous avons été des enfants extrêmement désirés. C’est notre chance. »