Mariage pour tous : une marche arrière est-elle possible?

Les responsables de la droite rivalisent de propositions sur l’avenir de la loi sur le mariage pour tous. Si une partie d’entre eux, dont Alain Juppé, semble favorable au statu quo, le nouveau président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dit vouloir  » la réécrire de fond en comble  » afin  » d’instaurer deux mariages « , voire, a-t-il déclaré devant des militants antimariage homosexuel, l’abroger. Candidat malheureux dans la course à la présidence, Hervé Mariton veut de longue date l’abrogation.  » Les jours de la loi Taubira sont comptés  » , veut croire La Manif pour tous, qui relève également que Marion Maréchal-Le Pen,  » qui s’est toujours prononcée très clairement en faveur du mariage homme-femme  » , est arrivée en tête aux élections du comité central du Front national, dimanche 30 novembre.

D’autres, plus nuancés, ne sont pas toujours clairs. François Fillon propose de modifier la loi en  » restreignant  » les possibilités d’adopter pour les couples homosexuels, afin d’éviter le recours à la procréation médicalement assistée (PMA). Bruno Le Maire souhaite une réécriture, pour  » lever les ambiguïtés sur les questions de filiation et de PMA, et d’empêcher la gestation pour autrui (GPA)  » . Xavier Bertrand veut, lui, le maintien du mariage, mais est  » contre l’adoption, la PMA, et, bien sûr, la GPA  » .

Serait-il judicieux, pour un pouvoir fraîchement élu, de revenir sur des droits nouveaux, en remettant au coeur du débat national un sujet clivant, alors que les Français sont de plus en plus nombreux à approuver le texte ? A l’évidence non, au point que le doute est permis sur les intentions réelles des ténors de droite. Mais une autre question se pose : celle de la faisabilité juridique. Selon l’avocate Caroline Mécary, défenseuse des droits des homosexuels, l’abrogation serait inconstitutionnelle.  » A partir du moment où le mariage est ouvert aux homosexuels, on ne peut plus y toucher  » , affirme-t-elle, ajoutant que  » n’importe quel couple pourra saisir la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH –  » .

PAS D’UNANIMITÉ CHEZ LES JURISTESCette position n’est pas forcément partagée parmi les juristes.  » Penser que les réformes de société vont toujours dans le sens du progrès des libertés est une illusion, relève Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur de droit privé à l’université Lille-II. Le divorce a déjà été aboli en France – de 1816 à 1884 – . Plus récemment, l’âge requis pour qu’une jeune fille se marie est passé en 2010 de 15 à 18 ans. Toute loi nouvelle crée une inégalité entre ceux qui ont eu une possibilité avant le changement et les autres. Cela ne signifie pas que c’est souhaitable.  » Mais le consensus est général pour affirmer que les mariages et les adoptions prononcées avant une éventuelle réforme ne pourront pas être annulés.

Hugues Fulchiron, professeur de droit à l’université Lyon-III, doute que le mariage entre personnes de même sexe soit protégé par la Constitution.  » Dans sa décision sur la loi, le Conseil constitutionnel affirme qu’il revient au législateur de changer la définition du mariage et qu’il s’agit d’une question sociétale sur laquelle il ne se prononce pas, relève-t-il. La validation du texte n’a pas eu lieu au nom de la reconnaissance d’un droit ou d’une liberté fondamentale.  » La CEDH laisse  » une certaine marge d’appréciation  » aux Etats sur le sujet, observe M. Fulchiron. Elle n’a jamais contraint aucun d’entre eux à légiférer sur le mariage entre personnes de même sexe.

Mais un retour en arrière créerait une situation inédite.  » Il est probable que la Cour ne condamnerait pas le changement de loi en tant que tel, poursuit le juriste . Mais elle pourrait demander à la France de justifier les motifs d’un revirement qui porte atteinte au droit au respect à la vie privée et familiale : sont-ils légitimes et proportionnés ?  »

Le même raisonnement vaut pour l’adoption. Il est possible de créer deux régimes différents d’union qui auraient les mêmes effets sur le couple, mais pas sur la filiation… à condition qu’ils ne s’appellent pas tous les deux  » mariage « . Claire Neirinck, professeur de droit à l’université de Toulouse, suggère une autre option : la suppression de la possibilité d’adopter l’enfant mineur du conjoint.  » Pour les couples qui ne procréent pas, c’est l’unique façon d’établir la filiation avec les deux parents, argumente la juriste. Cette adoption est quasiment interdite aux couples hétérosexuels, car le parent biologique du mineur doit y consentir.  »

Mais il faudra là aussi s’expliquer devant ces familles et l’opinion, mais aussi devant la CEDH.  » Les arguments sur les conséquences potentiellement néfastes de l’homoparentalité risquent de manquer de consistance  » , affirme M. Fulchiron. Les études scientifiques sur le sujet sont souvent non conclusives.

Est-il possible, enfin, de décourager le recours à la PMA à l’étranger ? Théoriquement oui.  » Mais je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner, observe Mme Dekeuwer-Défossez. Rien ne permet de distinguer un enfant né par PMA d’un enfant conçu au cours d’une soirée agréable. Et rien n’oblige une femme à dire comment elle a conçu son enfant.  »  » Si cela se faisait, ce serait uniquement pour dire qu’on sanctionne, pas pour être efficace « , tranche Mme Neirinck.

La grossesse pour autrui est un sujet distinct de la loi Taubira. Aujourd’hui, seuls les intermédiaires sont passibles de poursuites pénales. Sanctionner les parents demeure possible et plus facilement applicable. Mais serait-ce proportionné ?  » Au nom de l’intérêt des enfants, on mettrait les parents en prison ?  » , ironise Mme Neirinck. C’est pourtant l’objectif d’une proposition de loi du député UMP Jean Leonetti. Rejetée en commission des lois le 26 novembre, elle sera débattue, jeudi 4 décembre, à l’Assemblée nationale.

par Gaëlle Dupont