Mariage pour tous: «Cela n’avait jamais été fait et on a gagné»

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Caroline Mécary, avocate, se bat depuis quinze ans pour le mariage pour tous. Elle est à l’origine de la première famille homosexuelle légale.

Catherine Mallaval

Un mètre soixante-trois de détermination. Avec quinze ans de combat au service des droits des homosexuel(le)s. A coups de plaidoiries surtout. A l’aide de colloques et d’ouvrages aussi. Voici Caroline Mécary, 49 ans, avocate au barreau de Paris depuis 1991, qui publie à point nommé son dernier essai : l’Amour et la Loi. Homos, hétéros : mêmes droits, mêmes devoirs (1). Dans ces quelque 300 pages lancées dans le débat du mariage et de l’adoption par tous, elle narre sa bagarre pour mettre la discrimination selon l’orientation sexuelle définitivement hors-la-loi. Sa lutte, au cas par cas, pour permettre à des couples ou des familles homos, perdus dans la vacuité du droit, de bénéficier d’une protection juridique. Au fil des pages défilent la souffrance des lesbiennes et gays qui ont un jour frappé à son cabinet; la surdité, parfois, des tribunaux; la réjouissance d’arracher des jugements favorables. Autant d’affaires qui ont attesté la nécessité d’une loi mettant homos et hétéros à égalité. Elle salue celle prévue par le gouvernement, tout en la jugeant incomplète, notamment parce qu’elle n’ouvre pas l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux lesbiennes.

Comment vous êtes-vous retrouvée embarquée dans la défense des droits des homos ?

A l’automne 1996, je sortais de la défense des sans-papiers de l’église Saint-Bernard quand vient me voir un homme, Thomas, marié avec Agnès. Ils sont juifs, très croyants. Thomas sait qu’il est homo depuis très longtemps. Il sait aussi que c’est contraire à sa religion. Alors, il s’est marié en se disant que cela allait lui passer. Ensuite, il a eu quatre enfants. Cela n’a pas changé son désir pour les hommes.

A l’approche de la quarantaine, il n’a plus supporté de vivre dans le mensonge et a décidé de divorcer. Problème : sa femme lui refuse de voir ses enfants hors de la présence d’un tiers. Lui, un père tout à fait normal, veut juste obtenir un droit d’hébergement classique : un week-end sur deux et la moitié des vacances.

Quand je suis arrivée dans le bureau de la magistrate avec Thomas, j’ai tout de suite perçu qu’elle regardait mon client avec mépris et dégoût. Physiquement, elle cherchait à s’éloigner de nous. J’ai perdu cette affaire. L’attitude de cette magistrate m’a ulcérée. Elle m’a décidée à agir. J’ai proposé aux PUF un Que sais-je ? sur les droits des homosexuels et organisé un colloque à l’institut de formation continue du barreau de Paris sur ce thème.

En 1996, où en était-on du point de vue juridique ?

Nulle part. En 1989, la Cour de cassation avait dit que le concubinage homosexuel ne pouvait pas être assimilé à celui hétérosexuel. Ainsi, un homme qui venait de perdre son compagnon décédé du sida n’a pu récupérer le droit au bail de son concubin sur l’appartement qu’ils partageaient. A partir de ce moment-là sont apparues les premières propositions de contrats d’union civile pour les homos. L’association Aides en a été le fer de lance.

Vous, à cette époque, vous prôniez déjà le mariage pour tous ?

Oui, pour moi le principe d’égalité est fondateur de la République. Mais cette revendication n’a pas trouvé un large écho. Il y a le choix politique de créer le pacs, qui a éclipsé ce combat pour le mariage jusqu’en janvier 2004. C’est à cette date que Sébastien Nouchet s’est fait agresser par trois personnes : ils l’ont brûlé avec un briquet comme on brûlait les sodomites au Moyen Age. S’ensuit une grande mobilisation, puis la publication dans le Monde d’un manifeste pour l’égalité qui affirme que, pour lutter contre l’homophobie, il faut commencer par instaurer une égalité de droits.

Il est signé par Noël Mamère qui, en tant que maire, annonce que si deux Béglais veulent se marier, il célébrera cette union. En avril, deux hommes se présentent. Je me suis occupée de la logistique juridique : j’ai travaillé à anticiper les procédures, l’annulation par le parquet, les sanctions. Je pensais que le ministère de l’Intérieur n’oserait jamais suspendre Noël Mamère. Il l’a pourtant fait, pendant un mois. N’empêche, cet acte fondateur a ouvert le débat et permis aux esprits d’évoluer.

Quand se met-on à se soucier des familles homoparentales ?

Sociologiquement, ces familles commencent à apparaître en France à la fin des années 80. Il s’agit de couples dont l’un des membres a adopté en célibataire en cachant son homosexualité ou de familles ayant eu recours à l’AMP. A cette époque, cette dernière n’est pas encore réglementée en France et les lesbiennes n’ont pas besoin de partir à l’étranger.

Puis est née, en 1986, l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) qui va s’inviter dans le débat. De mon côté, j’ai cherché dans le droit de quelles règles on pouvait user pour apporter une protection à l’enfant.

Vous avez ainsi été à l’origine de la première famille homosexuelle légale. Racontez…

En 2000, Marie-Laure et Carla vivent ensemble depuis quinze ans quand elles viennent me voir. Elles ont eu trois enfants par insémination artificielle. Marie-Laure les a portés. Elles veulent les protéger et, pour ce faire, donner un statut légal à Carla. Je me suis penchée sur un mode d’adoption peu connu : l’adoption simple, qui a l’avantage d’ajouter une filiation, alors que celle plénière en supprime.

J’ai déposé ma requête. Cela n’avait jamais été fait. Nous avons gagné. C’était le premier pas vers la reconnaissance d’une famille homoparentale. Ensuite, grâce à la loi du 4 mars 2002, j’ai pu obtenir pour les parents «sociaux» sans droits une délégation partage de l’autorité parentale. Mais cela a été chaotique et ne permet pas de transmettre son nom, son patrimoine…

Quelle a été votre plus belle victoire ?

En 2002, je reçois Emmanuelle et Laurence. Elles veulent adopter. Seule l’une d’elles le peut. Emmanuelle s’en charge. Mais le département du Jura lui refuse son agrément en raison de son choix de vie. Ce couple a épuisé tous les recours administratifs en France.

Elles sortent de six ans de procédures quand je leur propose d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme et d’invoquer la violation de la Convention européenne afférente, en particulier l’article 8 [«toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale», ndlr]. J’ai plaidé devant 17 juges, et j’ai finalement gagné, en 2008.

C’était magnifique, cela a mis une belle claque à la France qui se targue tout le temps de respecter les droits de l’homme. Cela a aussi été un signal très fort contre l’homophobie, un message à toute l’administration française. Emmanuelle et Laurence, qui s’étaient lancées dans cette démarche en pleine force de l’âge, ont finalement renoncé à adopter après toutes ces années de combat. Mais des homos ont pu depuis obtenir des agréments.

Pourquoi refusez-vous le qualificatif d’avocate militante ?

Avant tout, je suis avocate. Quand on me qualifie ainsi, c’est pour décrédibiliser mon travail. Il ne vient à l’idée de personne de dire d’un ténor des assises qu’il est «militant de la cause des criminels», et pourtant nous faisons le même travail. Ou alors, je veux bien qu’on me qualifie ainsi si on dit aussi d’André Vingt-Trois qu’il est militant de l’Eglise catholique. Et puis, les gens qui viennent me voir dans mon cabinet ne sont pas des militants, mais de simples citoyens qui ont des problèmes à régler.

(1) Alma Editeur, décembre 2012, 18 euros.