Mariage gay : Hollande ronge ses noces

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Le Président a effaré jusque dans ses rangs en évoquant la possibilité pour les maires rétifs de faire jouer leur «liberté de conscience».

Grégoire Biseau; Catherine Mallaval; Laure Bretton; Par Grégoire Biseau, Laure Bretton et Catherine Mallaval

Après le report du droit de vote des étrangers, c’est au tour de la promesse du mariage pour tous de se voir écornée par François Hollande. Hier, devant le congrès de l’Association des maires de France (AMF), le chef de l’Etat a fait une concession à la droite en reconnaissant une «liberté de conscience» aux élus qui refuseraient de marier deux personnes de même sexe : «Les maires sont des représentants de l’Etat et ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais des possibilités de délégation [d’un maire à ses adjoints ndlr] existent, elles peuvent être élargies.» Répondant à Jacques Pélissard, le président (UMP) de l’AMF, qui l’avait interpellé quelques minutes auparavant en évoquant «le respect des consciences des maires», Hollande est sorti de son discours pour faire cette étrange improvisation : «La loi s’applique pour tous dans le respect néanmoins de la liberté de conscience.» Une sortie qui a pris ses plus proches collaborateurs par surprise.

Après cette intervention, son entourage a tenté d’en atténuer les contours, sans pour autant contredire les propos présidentiels. « Ce n’est pas du tout un recul, défend un conseiller. C’est normal que l’Etat écoute. Une réforme, ce n’est pas fait pour cliver. Avant l’examen de la loi devant le Parlement [le 29 janvier, ndlr], on a le temps de la concertation et de l’amélioration» . L’objectif serait-il de créer un droit d’exercer sa liberté de conscience relatif au mariage homo ? «Non , assure un autre conseiller élyséen. Il n’est pas du tout question de cela. Il s’agit juste d’assouplir les possibilités de délégation des maires qui souhaiteraient ne pas marier deux personnes de même sexe. Mais il n’y aura pas de référence à la liberté de conscience dans la loi. Et le mariage pour tous sera bien appliqué dans toutes les communes de France.» Et quid d’un conseil municipal d’une petite commune qui ferait jouer collectivement ce droit de retrait ? «Alors il faudra trouver la possibilité de déléguer à une personne extérieure légitime», s’aventure-t-on à l’Elysée.

«Caricature». Beaucoup de ministres ont sursauté à l’annonce présidentielle, mais consigne a été rapidement passée de ne pas commenter les propos de Hollande, contraignant Matignon à sortir les rames : «En tout état de cause, l’Etat est garant de la célébration des mariages dans toutes les communes.»

«Tout le monde espère que [Hollande] va trouver une sortie par le haut et rappeler que la loi républicaine est la même pour tous», se désole un conseiller ministériel. Un autre : «Hollande se caricature lui-même, il dit : « Oui, mais non, enfin peut-être. »» Un député PS bredouille : «Si ça, c’est pas un couac…» Sentant la fronde monter, le patron des députés PS, Bruno Le Roux, a lancé l’opération déminage sur Twitter. «Toutes les mairies devront célébrer tous les mariages, mais un élu qui ne le veut pas pourra déléguer à un autre officier d’état civil. C’est déjà le cas aujourd’hui, où certains élus ne célèbrent pas de mariages pour diverses raisons. C’est clair, la loi s’appliquera partout», explique le député de Seine-Saint-Denis. Pour Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS, le Président «ne recule pas, il veut fédérer le plus rondement possible, c’est du Hollande pur jus. Il articule la liberté de conscience et le respect de la loi». Mais, pour un grand élu du PS, l’annonce présidentielle «ne peut pas tenir juridiquement» : «Le maire ne marie pas intuiti personae mais ès qualité. La clause de conscience, ça marche avec un médecin parce qu’il a acquis un savoir. Le maire, il a un pouvoir et le pouvoir est transmissible.»

Hier, l’avocate Caroline Mécary, défenseure de la première heure du droit des homosexuels, en est d’abord restée stupéfaite («Il aurait mieux fait de s’abstenir»), avant de dénoncer le caractère discriminatoire de ladite «liberté de conscience» : «Si un maire peut déléguer et ne pas marier deux homos, on peut aussi imaginer qu’il refuse de marier un couple de Juifs ou de Noirs. On peut même envisager qu’un maire homosexuel refuse d’unir deux hétéros. Cette « ouverture » laissée aux maires peut servir à entériner des pratiques discriminatoires. Et je trouve ça choquant.» Choquant aussi selon l’avocate, le recours au terme même de «liberté de conscience». Antilaïc, même. «On n’a pas à faire prévaloir sa conscience quand on met son écharpe de maire. Et je rappelle que le rôle d’un président, c’est de faire respecter la loi républicaine.»

«Signal». Comme une traînée de poudre, l’annonce présidentielle a également gagné les associations d’homosexuel(les), déjà échaudées par la reculade gouvernementale sur l’accès pour les lesbiennes à l’assistance médicale à la procréation (AMP), et plus précisément à l’insémination artificielle. Pourtant une promesse du candidat Hollande. Hier, le porte-parole de l’Inter-LBGT, Nicolas Gougain, se contenait avant de s’élancer : «Je demande au Président de clarifier ses propos, partant du fait qu’une loi doit s’appliquer à tous. Je rappelle que cette loi sur le mariage pour tous est censée consacrer l’égalité entre homos et hétéros. Je rappelle aussi que Hollande a fait l’essentiel de sa campagne sur l’égalité.»

Après la déferlante des anti qui ont mouliné du «un papa-une maman-un enfant» tout ce week-end, les militants ont prévu une contre-manifestation le 16 décembre, qui devrait dépasser le milieu homosexuel en regroupant des associations humanistes et des organisations syndicales : «Il ne s’agit pas uniquement de faire un concours de chiffres avec les opposants, poursuit Gougain. Mais aussi, et surtout, de rappeler l’engagement 31 du candidat Hollande sur le mariage et l’adoption pour tous. Il y a déjà eu des aménagements. L’accès à l’AMP n’est pas dans le projet de loi. Nous voulons envoyer un signal fort.»