L’inquiétude des associations LGBT face à François Fillon

Par Clément Pétreault
Le candidat a promis de réserver l’adoption plénière aux couples hétéros et a la Cour européenne des droits de l’homme dans le collimateur. Explications.

Ce n’est pas un vent de panique, mais le signe d’une inquiétude palpable. Depuis que François Fillon fait la course en tête de la primaire de droite, Caroline Mecary a reçu dix dossiers de mise en place d’adoption plénière émanant de parents homosexuels. L’avocate et militante des droits des homosexuels se montre plus exaspérée qu’inquiète par les déclarations de l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy. Deux jours avant le premier tour, le favori de la primaire confirmait ses intentions sur Twitter : « Nous réécrirons le droit de la filiation pour protéger les droits de l’enfant mis à mal par le mariage pour tous. #LoiTaubira ». « Cette promesse, c’est de la flûte à bec », balaye Caroline Mecary, qui poursuit : « François Fillon donne des gages à la Manif pour tous et Sens commun, mais il ne pourra pas les honorer », prédit-elle. Si le candidat de la droite venait à remporter la présidentielle, il lui faudrait entrer dans une bataille juridique à l’issue incertaine pour modifier les dispositions votées sous la précédente législature.

Réserver l’adoption plénière aux couples hétérosexuels

François Fillon ne prévoit pas de toucher au mariage gay en lui-même, mais aux droits afférents. « Adoption plénière réservée aux couples hétérosexuels, limiter la PMA aux couples hétérosexuels infertiles et interdire la GPA » constitue l’une des 15 mesures-phares du député de Paris. L’adoption plénière est à distinguer de l’adoption simple. La première est utilisée par des couples adoptant un enfant ou des couples (homosexuels comme hétérosexuels), dont l’un des deux parents est le géniteur de l’enfant. « Cette adoption crée une filiation irrévocable qui permet à l’enfant d’un couple homo de bénéficier des mêmes droits qu’un enfant de couple hétéro », explique Caroline Mecary. L’adoption simple, très utilisée dans les familles recomposées, est révocable et « l’enfant reste considéré comme un étranger du point de vue fiscal », détaille l’avocate.

Pour les défenseurs des droits des homosexuels, réserver l’adoption plénière aux enfants de couples hétérosexuels s’annonce compliqué, discriminatoire et inconstitutionnel. « À moins que la moitié des membres du Conseil constitutionnel ne meure et qu’on les remplace par des pro-vie », ironise Jean-Luc Romero, maire adjoint du 12e arrondissement de Paris (ex-UMP aujourd’hui apparenté PS), qui poursuit : « Fillon sait bien que cela ne sera pas possible, mais il veut faire plaisir à son électorat et à la cathosphère qui l’aide. Il se fera retoquer par les institutions. » La rupture du principe d’égalité pourrait en effet être invoquée par les neuf sages pour invalider une telle décision. « Fillon considère que la France est en faillite, mais il décrète que réduire les droits des homos doit être une priorité pour le pays. Il fait une obsession sur le sujet », s’enflamme l’élu fâché avec la droite.

Même colère du côté de GayLib, ce mouvement « de personnes LGBT de droite et de centre droit » adossé à l’UDI. Selon sa présidente, Catherine Michaud, la remise en cause de l’adoption plénière est une discrimination et créerait deux catégories d’enfants. « Nos opposants, dès lors que l’on parle d’enfant et de famille, veulent faire croire que nous réclamons un droit à l’enfant. C’est faux. Nos enfants sont déjà là, ils existent. » Et de s’interroger : « Pourquoi faudrait-il, pour mieux protéger les enfants des bonnes familles, retirer des droits aux enfants des familles homoparentales ? »

PMA/GPA : s’affranchir de la Cour européenne des droits de l’homme

Sur les questions de la procréation médicalement assistée (PMA) et gestation pour autrui (GPA), le candidat éventuel de la droite pourrait avoir les mains plus libres. « On ne peut que s’attrister que les deux candidats restant en lice à la primaire soient tous deux contre la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules », déplore Virgignie Combe, porte-parole de l’association SOS Homophobie, qui espère sincèrement que « ce ne soient pas les positions [de Fillon] proches de la Manif pour tous qui lui ont permis d’obtenir ce résultat spectaculaire, car les études d’opinion nous rappellent que les Français plus ouverts que la droite ne semble le croire ».

L’obligation de reconnaître PMA et GPA aux couples homosexuels pourrait bien venir des institutions européennes. Un obstacle dont François Fillon compte bien s’affranchir. En 2014, la CEDH a déjà imposé à la France de reconnaître des enfants nés d’une mère porteuse aux États-Unis dans le cadre d’une GPA, une décision qui ouvre une brèche juridique dans le droit français. Ainsi François Fillon propose de réformer la CEDH de manière à ce qu’elle « ne puisse pas intervenir sur des sujets qui sont des sujets essentiels, fondamentaux pour des sociétés », comme le relataient nos confrères du Lab le 26 octobre. Europhile modéré, Fillon propose de sortir de la CEDH, quitte à y réadhérer en formulant des réserves, à l’image de ce qu’on fait les Anglais. Conscient du tollé que déclencherait une telle décision, il fait le pari que « la menace de quitter la CEDH sera suffisante pour qu’elle accepte de se réformer ».

« Les droits de nos familles sont légitimes »

L’association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) qui avait porté le projet de loi du mariage pour tous redoute les conséquences d’une élection de François Fillon à la présidence de la République. « Nous représentons les « nouvelles familles » qui ne rentrent pas dans le moule de la famille traditionnelle », explique Doan Luu, membre du bureau national de l’APGL. Il craint que les associations de parents gays soient écartées des instances représentatives familiales, où les associations conservatrices sont déjà majoritaires. « Les droits de nos familles sont légitimes. Nos familles ont déjà été longtemps stigmatisées, nous ne souhaitons cela à personne. En revenant sur la loi Taubira, on rouvrirait la voie à la stigmatisation à nos enfants ». Doan Luu déplore que « la seule candidate de droite progressiste sur les questions de société » (NKM) ait été écartée de la compétition.

GayLib s’est clairement engagé aux côtés d’Alain Juppé, même si ce dernier est jugé imparfait en raison des réserves qu’il a exprimées sur la GPA. « François Fillon est sous influence de groupuscules radicaux auxquels il s’est abandonné », analyse Catherine Michaud. « Il a voté contre la dépénalisation de l’homosexualité, contre le Pacs, contre le mariage gay et maintenant on découvre qu’il est contre l’IVG « à titre personnel ». Juppé est peut-être plus âgé, mais il est infiniment plus moderne. » Elle fera campagne cette semaine, en espérant une nouvelle surprise dimanche.