GPA: la Cour de cassation va-t-elle reconnaître les deux parents?

mediapart

Louise Fessard
Paris – Ce mercredi 5 juillet, la Cour de cassation rend plusieurs décisions importantes concernant la filiation d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger.

Les parents d’un enfant né légalement par GPA à l’étranger vont-ils être reconnus tous les deux comme parents par l’état civil français ? Depuis juillet 2015, à la suite de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, la France reconnaît ce statut, qu’il s’agisse de couples hétérosexuels ou homosexuels, mais uniquement au père biologique et non à son conjoint ou conjointe, dit « parent d’intention » . Et encore faut-il que l’état civil étranger soit « conforme à la réalité » , c’est-à-dire qu’il mentionne comme mère juridique la mère porteuse qui a accouché. La gestation pour autrui est interdite en France, mais des centaines de couples y ont recours de façon légale à l’étranger. Plusieurs de ces familles ont demandé à la Cour de cassation d’étendre cette jurisprudence au parent d’intention. Les décisions seront connues ce mercredi 5 juillet. Lors de l’audience du 30 mai , la Cour s’était penchée sur deux questions différentes :

– Celle de la transcription complète de l’acte de naissance étranger dans l’état civil français et de la reconnaissance du parent d’intention. Le pourvoi est porté par deux couples hétérosexuels qui demandent la transcription de l’acte de naissance de jumelles nées par GPA en Ukraine en 2011 et d’une petite fille née en Inde en 2010. À chaque fois, l’acte de naissance étranger porte le nom des deux parents français, sans mentionner la mère porteuse.

À leur retour, le parquet de Nantes a refusé la transcription de ces actes de naissance à l’état civil français, arguant qu’ils n’étaient pas conformes à la réalité (car la mère qui figure sur l’acte n’est pas celle qui a accouché). « Si la Cour accepte de retranscrire complètement l’acte de naissance étranger et reconnaît le lien de filiation avec le parent d’intention, cela permettrait enfin de régler la situation de tous les enfants nés par GPA à l’étranger, et ce dans l’intérêt de l’enfant qui est primordial , explique Caroline Mécary, avocate des deux couples. Sinon nous irons devant la Cour européenne des droits de l’homme. »

À l’audience, le ministère public a qualifié ces actes de « fiction juridique incompatible avec le droit français » . Selon La Croix , il s’était montré favorable à l’adoption par le conjoint ou la conjointe du père biologique qui permettrait de prendre en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant » grâce à un « lien légal et stable » avec ses deux parents, mais non à la retranscription en France d’actes de naissance établis par certains pays étrangers en cas de GPA.

L’avocat général Philippe Ingall-Montagnier s’est appuyé sur le principe de droit romain selon lequel « Mater semper cerna est » ( « L’identité de la mère est toujours certaine » ), impliquant donc que la mère est celle qui accouche. C’est au nom de ce principe que les professeurs de droit privé Hugues Fulchiron et Christine Bidaud-Garon écrivent en 2014 : « La mère d’intention qui apporte ses gamètes n’est pas dans la même situation que le père biologique : la réalité de la grossesse et de l’accouchement s’impose comme une évidence, l’égalité homme/femme, père/mère trouve ici ses limites. »

L’argumentation fait bondir Caroline Mécary. « Ce n’est pas la biologie qui détermine la filiation , dit l’avocate. C’est une construction sociale déterminée par chaque pays sous pression de la société. En cas d’adoption ou de naissance sous X, la femme qui accouche ne devient pas la mère juridique de l’enfant. » Autre exemple du caractère très construit du droit de la filiation, « en 1910, on admettait que les bâtards n’aient pas de père juridique. Et aujourd’hui, quand un père va reconnaître à l’état civil un enfant, on ne lui demande pas un test ADN » . L’absurdité de cette position qui se veut « biologique » est aussi illustrée par le cas des couples hétérosexuels qui ont recours à une GPA, quand la femme ne peut pas porter l’enfant. « La femme donne ses ovocytes qui sont fécondés par le sperme de son mari, et c’est la femme porteuse qui devrait être considérée comme la mère ? » , demande Alexandre Urwicz, président de l’association des familles homoparentales (ADFH).

– L’autre question concerne la possibilité d’adopter l’enfant du conjoint pour un couple homosexuel ayant eu recours à une mère porteuse californienne. Seul le père biologique de l’enfant (10 ans) a été reconnu à l’état civil français. La justice française invoque souvent la fraude à la loi qui interdit la GPA en France pour refuser l’adoption par le parent non biologique. L’avocat du couple, Patrice Spinosi, a plaidé pour que le conjoint puisse adopter l’enfant, ce qui permettrait que les deux pères figurent bien à l’état civil de l’enfant. Dans deux avis, le 22 septembre 2014, la Cour de cassation avait déjà tranché la question pour les enfants nés grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Elle avait estimé que ce recours à AMP à l’étranger par un couple de lesbiennes « ne faisait pas obstacle à ce que l’épouse de la mère puisse adopter l’enfant ainsi conçu » . Mais c’est encore le cas pour les enfants nés de GPA. Pour Alexandre Urwicz, « on ne peut pas trier les enfants en fonction de la façon dont ils ont été conçus, c’est une discrimination » .

À la suite de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne pour non-respect du droit à la vie privée et familiale des enfants nés par GPA, la Cour de cassation a admis dans deux arrêts rendus le 3 juillet 2015 la transcription d’un acte d’état civil étranger résultant d’une GPA, mais uniquement dans un cas très précis. Il s’agissait de deux couples gays ayant eu recours à des mères porteuses, en Russie. Sur chaque acte de naissance, l’homme français qui avait revendiqué la paternité figurait comme le père, et la mère porteuse comme la mère juridique. Pour la Cour de cassation, ces actes de naissance correspondent à la « réalité » biologique (la mère est celle qui accouche). Seule la filiation du père présumé biologique est donc reconnue, pas celle du père d’intention. « Cela ne correspond pas du tout à la réalité des familles , remarque Alexandre Urwicz . La mère porteuse veut tout sauf être déclarée comme mère ! Ce n’est ni la mère biologique, ni celle qui va élever l’enfant. »

Son association estime à environ 500 le nombre d’enfants qui naissent chaque année par GPA à l’étranger de parents français (aux États-Unis, en Inde, en Ukraine ou au Canada). Pour les couples hétérosexuels, dans l’immense majorité des cas, l’acte de naissance étranger mentionne les deux parents d’intention. La femme qui porte l’enfant et accouche n’apparaît que très rarement. Pour les couples homosexuels, trois possibilités existent selon les pays : l’acte mentionne à la fois le père biologique et la mère porteuse (c’est le cas tranché en juillet 2015 par la Cour de cassation) ; l’acte ne mentionne que le père biologique ; ou l’acte fait apparaître les deux pères.

À leur retour en France, les couples peuvent s’adresser au Service central d’état civil (SCEC) à Nantes pour demander la transcription de l’état civil étranger de leur enfant dans l’état civil français. En cas de suspicion de GPA, c’est le parquet de Nantes qui tranche. Et ce dernier, selon Caroline Mécary qui s’y frotte depuis 13 ans, serait « dans un combat idéologique » et ferait « tout ce qu’il peut pour trouver des arguments de droit pour ne pas transcrire » .

Depuis les décisions de juillet 2015, la transcription peut avoir lieu, mais uniquement si l’état civil étranger est considéré comme « conforme à la réalité » , c’est-à-dire s’il mentionne comme mère la femme qui a accouché. Le père biologique est le seul père légal reconnu, son conjoint ou sa conjointe pouvant demander une « délégation d’autorité parentale » .

Dans un avis rendu le 27 juin, le Comité consultatif national d’éthique (CNCE) a jugé cette situation ubuesque comme satisfaisante car « conforme à la réalité des origines » . Il préconise que l’état civil des enfants nés par GPA garde le « nom de tous les intervenants à la convention de gestation et que les enfants aient accès au contrat qui a permis leur naissance, aux fins de pouvoir construire leur identité et reconstituer l’ensemble de leur histoire » .

On peut vivre en France avec un état civil étranger, « comme le font chaque jour les enfants de couples étrangers ou les jeunes Français, nés à l’étranger, pour lesquels les parents n’ont pas demandé la transcription de leur acte de naissance à l’état civil français » , note une mission d’information parlementaire de février 2016. Mais ne pas disposer d’extrait de naissance et ne pas figurer sur un livret de famille compliquent singulièrement les démarches administratives dans les écoles, hôpitaux, caisses d’allocations familiales, etc. « Les fonctionnaires peuvent arbitrairement refuser de vous délivrer un passeport ou une carte d’identité, et il faut alors aller devant le juge » , explique Caroline Mécary, selon qui il s’agit avant tout d’un « combat symbolique pour la reconnaissance de ces enfants » . « Nous voulons que soient reconnus les parents mentionnés par l’état civil étranger, qui sont bien souvent ceux d’intention qui portent le projet parental , dit Alexandre Urwicz. Sur un état civil américain, la France ne peut pas prendre ses ciseaux et le découper : « Lui, OK, c’est le père, mais elle non car elle n’a pas accouché. » »

Foncièrement opposé à la GPA, le président de la République Emmanuel Macron s’était cependant engagé en février 2017 dans le magasine Têtu à « permettre la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger » . « Ces enfants participent d’un projet d’amour. Il faut arrêter l’hypocrisie, et je porterai ce projet pour compléter la circulaire Taubira » , qui permet à des enfants nés d’une GPA d’avoir la nationalité française, avait-il promis .

La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour avoir refusé de retranscrire dans les registres d’état civil les actes de naissance des enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une GPA. Dans ses deux derniers arrêts de juillet 2016, la Cour ne remet pas en cause l’interdiction de la GPA en France, mais estime que le refus de reconnaître la filiation biologique d’un enfant constitue une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. Elle ne se prononce pas clairement sur le cas du parent d’intention.

Malgré ces condamnations, les cinq familles françaises concernées n’ont toujours pas obtenu gain de cause. La loi de modernisation de la justice au XXI e siècle, du 18 novembre 2016, a créé une procédure permettant de demander le réexamen d’une décision de la Cour de cassation en matière de droit des personnes « lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que cette décision a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » . Mais « c’est une procédure lourde, une sorte de double peine » , estime Caroline Mécary.