Les maires anti-mariage risquent d’être condamnés
Michaël Hajdenberg
Paris – Peut-on être maire et refuser d’appliquer la loi ? La question se pose puisque des élus annoncent chaque jour que non seulement ils sont opposés au mariage pour tous, mais que si la loi est votée, ils ne marieront pas pour autant les couples d’homosexuels.
Le collectif des maires pour l’enfance, créé en 2004, a lancé un appel aux édiles et à leurs adjoints, « premiers impliqués en tant qu’officiers d’état civil » , leur demandant de rejoindre leur association s’ils sont « attachés au mariage entre un homme et une femme » , s’ils ne « veulent pas d’un système qui organise le droit à l’enfant aux dépens des droits de l’enfant » , s’ils ne « veulent pas être forcés de célébrer un mariage entre personne du même sexe » . Le collectif revendique plus de 12 000 signatures.
Comme le reconnaît leur porte-parole, Franck Meyer, maire (Nouveau Centre) de Sotteville-sous-le-Val, tous les signataires n’ont pas la même idée en tête. « Les attitudes à adopter sont très débattues. » Certains souhaitent se battre seulement jusqu’au vote de la loi, quand d’autres entendent continuer après et disent envisager un droit de retrait, une clause de conscience ou la désobéissance civile. Mais que peut-il vraiment se passer d’un point de vue juridique?
À partir du moment où la loi aura été promulguée, une mairie ne pourra pas refuser le mariage à un couple d’homosexuels. Le 17 octobre 2011, le maire de Taputapuatea (Polynésie) a en effet été condamné à 4 190 euros d’amende par la cour d’appel de Papeete pour avoir refusé de célébrer une union en raison du transsexualisme de la future épouse. Un acte de discrimination au vu de l’article 225-1 du code pénal .
Dans son arrêt , la Cour explique qu’un édile ne peut refuser de procéder à un mariage que si les conjoints ne remplissent pas les conditions légales. Peu importe que la mairie ait offert aux futurs époux la prise en charge du voyage vers une mairie plus accueillante. Peu importe surtout, les convictions de l’élu : « Un maire ne peut se parer des avis des autorités religieuses qui, pour respectables qu’ils soient, sont étrangers à l’application du droit positif, qui fixe les règles sociales applicables à l’ensemble de la nation. » À la différence du tribunal de première instance, la Cour n’a toutefois pas agrémenté la peine d’une interdiction de droits civiques d’un an.
À Taputapuatea, ni le maire ni ses adjoints n’avaient accepté de célébrer le mariage. Une situation qu’aucun élu n’a pour l’instant ouvertement évoquée concernant le mariage gay. Certains évoquent le tirage au sort, des tours de garde pour savoir qui mariera. Surtout, beaucoup, comme Jean-François Copé , expliquent qu’ils demanderont à un adjoint de célébrer les noces.
Deux cas de figure sont dès lors envisageables. Celui d’un maire, qui, pour éviter tout problème, se défausse discrètement. Tel Philippe Marini qui a expliqué à Public-Sénat : « On peut être indisponible. Si c’est l’heure de la messe, je suis indisponible. Si je dois me rendre à l’assemblée générale d’une association de boulistes ou du club de tir à l’arc, je suis indisponible. »
Et puis, le cas de celui qui dit haut et fort à un couple venu le solliciter : « Non, pas les homos. Allez voir Monsieur X. » Et qui l’assume publiquement. Comment réagiront les couples ?
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Caroline Mecary, avocate spécialiste du droit de la famille et élue d’Europe Écologie-Les Verts, estime que « deux lesbiennes seront bien contentes de ne pas être mariées par Jacques Myard » , le maire de Maisons-Laffitte (Yvelines) qui a comparé l’homosexualité à la zoophilie .
Probable. Mais un maire ne prend-il pas un risque à se placer ainsi en marge de la loi ? Pour la ministre de la justice Christiane Taubira, interrogée par Ouest-France , « si le maire en confie la charge à l’un de ses adjoints, aucun problème » .
Caroline Mecary, tout en trouvant de tels positionnements de maires « profondément choquants sur le fond » , n’est pas sûre non plus qu’une action en justice puisse aboutir. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale (PS), se montre prudent : « A priori, je ne vois pas de fondement juridique. S’il y a mariage, il n’y a pas de préjudice. Après, tout dépend des propos du maire. Un juge peut estimer qu’il y a incitation à la discrimination. »
Ce n’est peut-être pas tout. Selon Daniel Borrillo, professeur spécialisé dans les questions de genre et de discrimination, l’élu pourrait également être condamné en vertu de l’article L432-1 du code pénal qui dit ceci : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
Il ne serait donc pas nécessaire que l’échec (l’impossibilité de se marier) soit effectif. Puisque l’article suivant, le L432-2 prévoit spécifiquement ce cas : « L’infraction prévue à l’article 432-1 est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si elle a été suivie d’effet. »
La clause de conscience doit être inscrite dans la loi
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Voilà pour le plan pénal. Mais le maire a également une responsabilité administrative, qui, explique Daniel Borrillo, n’est en aucun cas liée à un préjudice. En vertu de l’article L2122-16 du code des collectivités territoriales , « le ministère de l’intérieur serait en droit de demander des explications à un maire qui refuserait haut et fort de marier des homosexuels. Le maire marie en tant qu’officier d’état civil. C’est une question d’ordre public, qui relève de l’organisation de l’État dans les territoires français. Ce serait étonnant que le ministère laisse faire sans réagir. »
C’est d’ailleurs ce qui s’était passé, même si le cas n’est pas pleinement comparable, lorsque Noël Mamère, maire (EELV) de Bègles, avait été condamné pour avoir marié en 2004 un couple d’homosexuels. À la suite des observations du ministre de l’intérieur, Dominique de Villepin, Noël Mamère avait été suspendu un mois .
Enfin au plan civil, il est également envisageable, bien que les chances d’aboutir paraissent minces, qu’un couple s’estime victime d’un préjudice moral, et demande des dommages et intérêts ( article L 1382 du code civil ).
Pour se mettre à l’abri de pareilles procédures, des maires récalcitrants évoquent un hypothétique « droit de retrait » . Qui ne fait pas grand sens, puisque « dans le code de la fonction publique , il s’agit du devoir de ne pas obéir à une décision illégale de nature à compromettre gravement un intérêt public, explique Hugues Portelli, sénateur (UMP) et professeur de droit constitutionnel. Or en l’espèce, il s’agira précisément de maires n’appliquant pas la loi » .
D’autres maires, plus nombreux, veulent faire valoir une clause de conscience. Celle-ci permet en effet à un agent de désobéir à un ordre non pas illégal mais contraire à sa conscience, son éthique. Jean-Jacques Urvoas s’étrangle : « La clause de conscience, ça n’existe pas. Je n’ai jamais vu ça ! Vous croyez que quand un maire expulse quelqu’un, il n’a pas de problème de conscience ? Tous les jours, un maire peut prendre des décisions qui heurtent sa conscience. Mais il ne faut pas mettre sa conscience partout. Il y a une différence entre le maire individu et le maire qui s’efface devant sa fonction. On n’occupe pas celle-ci à éclipse, par séquences. »
Les maires se réfèrent à la loi Veil qui autorise les médecins, grâce à cette fameuse clause, à ne pas pratiquer d’avortements. Une possibilité qui existe pour un autre acte médical sans visée thérapeutique : la stérilisation à des fins contraceptives.
Les agents publics hospitaliers ayant cette faculté, pourrait-elle être étendue à d’autres agents publics ? Non, explique Stéphane Bouisson, docteur en droit, dans un article de 2003 qui fait toujours référence en la matière. Car pour désobéir à la loi, encore faut-il… qu’une loi le prévoie. Sinon, cela « reviendrait à considérer que la religion du fonctionnaire peut être mise en balance avec l’ordre qu’il est tenu d’appliquer » . Or « l’agent public bénéficie certes de la liberté d’expression mais est soumis à un devoir de réserve. Il ne saurait alors en aller différemment en ce qui concerne l’expression des opinions religieuses d’autant plus que la République est laïque et que le service public est régi par le principe de neutralité » .
La droite étant minoritaire à l’Assemblée nationale, les chances d’introduire une telle clause de conscience sont aujourd’hui inexistantes. Mais si elle redevenait majoritaire, « cela n’aurait rien d’inconstitutionnel » , estime Hugues Portelli.
Cette seule idée laisse cependant Daniel Borrillo sans voix : « Les médecins catholiques comparent l’IVG à l’homicide. D’où la clause de conscience, qu’on peut comprendre. Mais en ce qui concerne l’homosexualité, l’Église considère qu’il s’agit seulement d’un acte intrinsèquement désordonné. La protection de la vie n’est quand même pas comparable à un acte désordonné. »
En attendant une très hypothétique refonte de la loi, Hugues Portelli n’exclut cependant pas qu’en cas de recours devant le Conseil constitutionnel, celui-ci émette des conditions d’interprétation. « Le Conseil avait fait de longues pages d’observation sur le PACS » , rappelle le Sénateur. Sans que cela remette toutefois en cause les grands fondements du texte.
Le porte-parole du collectif des maires pour l’enfance, Franck Meyer, dit ne pas être juriste, ne pas s’être soucié de ces questions. « La loi n’est pas votée, je ne fais pas de politique-fiction. Pour l’instant, on demande à être consulté. Et on espère que la loi ne passera pas. »
Au cas où, il évoque toutefois le concept de « désobéissance civile » , mis en avant, entre autres, dans le passé, par José Bové. Une notion hors du champ du droit, qui ne mettrait pas à l’abri les maires de possibles sanctions. Mais Franck Meyer l’assure : « Beaucoup de maires me le disent : ils iront jusqu’au bout. Ils prendront leurs responsabilités. Une condamnation ne les inquiète pas. »