Le président de l’association jugé pour apologie de l’ecstasy. Act Up dénonce « un procès politique ».
DUFRESNE David
Devant ses juges, Philippe Mangeot ne se démonte pas. Président d’Act Up, l’homme, grand, se tient droit et « récuse », « répond », « rétorque ». Cité hier devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris pour avoir « provoqué au délit d’ecstasy et présenté ce produit sous un jour favorable », le militant de la lutte contre le sida fixe le tribunal, et interrompt régulièrement le président Thierry de Bonnefond. Sa présence en ces lieux est le nouvel épisode d’un débat qui, peu à peu, s’est amplifié autour de la question des drogues. En quelques mois, il y a eu Dominique Voynet et son aveu de consommatrice de cannabis; Johnny Hallyday et la cocaïne; l’opération « chanvre des députés », lancée par le Centre d’informations et de recherches cannabiques (Circ), avec lettre ouverte aux députés et un pétard pour chaque parlementaire; et même Alain Madelin qui, dans Libération, déclarait en octobre 1997: « Il faut oser le débat sur la drogue. »
Le parquet poursuit Philippe Mangeot pour avoir, le 14 septembre 1997, distribué un tract intitulé « J’aime l’ecstasy » lors d’un rassemblement à Paris de protestation contre la fermeture de cinq boîtes de nuit de la capitale. Fidèle à la calligraphie de l’association, à son image noir et blanc, et à ses titres chocs, le tract s’en prenait, entre autres, à la loi de 1970, qui réprime la présentation des stupéfiants « sous un jour favorable », et au Syndicat national des entreprises gay, accusé par Act Up d’avoir pris le parti des discothèques « contre celui des consommateurs de drogue et des dealers qui les fournissent ». Un tract qui affichait aussi: « Nous sommes des consommateurs d’ecstasy, nous sommes là pour défendre notre plaisir et non pour défendre des établissements. »
Seulement voilà. Philippe Mangeot nie avoir distribué le tract. A la manif, il n’est resté qu' »un quart d’heure ». Et à l’époque des faits, il n’était pas encore président de l’association. Alors, il « récuse » ces poursuites « ès qualité ». Et si, lors de l’enquête, il a admis être « l’un des auteurs » du tract, c’est parce que le fonctionnement d’Act Up est ainsi fait: « Tout militant de l’association peut se considérer comme corédacteur. Le texte du tract a été adopté par un vote à l’unanimité. » Et Philippe Mangeot d’inviter le président Bonnefond « à venir aux réunions d’Act Up, le mardi. Elles sont publiques ».
Parfois, aux réponses de Mangeot, le juge sourit. Parfois, non. Entre les deux, un fossé. Le premier voudrait changer la loi, « au titre de notre lutte contre le sida, parce que nous savons que la répression engendre l’exclusion. Que la moitié des toxicomanes sont atteints du sida. » Le second, lui, rappelle qu’il est précisément « là pour faire respecter » la loi. Dans le tribunal, il y en a un qui ne sourit pas du tout. C’est Pascal Lefur, le procureur. Même s’il admet « légitime qu’on veuille la réforme d’une loi », il ajoute aussitôt: « à condition qu’on ne montre pas une drogue sous un jour favorable. » Comme toujours en la matière, on en revient à la loi de 1970. « Un débat impossible », lance l’avocate d’Act Up. Puisque c’est la loi elle-même qui l’empêche. Et Caroline Mecary de conclure: « C’est un procès politique. Si le ministère public le fait, c’est parce qu’il sent les fondements de cette loi vaciller. » Le procureur a requis 30 000 F d’amende. Le jugement a été mis en délibéré au 8 avril.