Le « mariage pour tous » a attiré plus de couples que prévu
Un an après l’adoption de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, maires et associations témoignent d’un certain apaisement. En revanche, les questions d’adoption et de filiation continuent de susciter de fortes tensions.
THOMASSET Flore
Les chiffres sont rares mais leur interprétation ne fait pas débat: il y a eu davantage de mariages entre personnes de même sexe qu’attendu. Alors que le gouvernement tablait sur 2 500 unions par an, 7 000 ont été célébrées entre mai 2013 et la fin de l’année, soit un peu plus de sept mois. Cela représente, selon l’Insee, 4 % de l’ensemble des mariages conclus sur cette période. « C’est un chiffre important et j’avoue que je n’avais pas anticipé un décollage aussi fort et rapide, reconnaît Philippe Gosselin, maire et député de la Manche, fondateur du collectif Maires pour l’enfance. Nous verrons ce qu’il en est en 2014 et par la suite, mais ce premier chiffre traduit en tout cas une indéniable attente des couples. »
Le nombre de mariages est d’abord dû à un phénomène de rattrapage, beaucoup de couples ayant attendu l’ouverture de ce droit durant des années. La moyenne d’âge des couples de même sexe est d’ailleurs plus élevée que celle des hétérosexuels: 50 ans pour les hommes et 43 pour les femmes dans le premier cas, contre 37 ans et 34 ans pour le second. « Je pense aussi que le climat des débats a favorisé ce « boom » » , observe Éric Garnier, ancien président de l’Association des parents gays et lesbiens et auteur de L’Homoparentalité en France (1).
Les tensions, depuis, sont un peu retombées, comme en témoignent les maires. « À part quelques exceptions au début, dues à la médiatisation des mariages, il n’y a pas eu d’incidents », confirme Jacques Pélissard, maire, député UMP du Jura et président de l’Association des maires de France, avant de poursuivre: « Les maires ne souhaitant pas célébrer eux-mêmes ont tous trouvé des élus pour le faire. On peut seulement regretter qu’il faille, en théorie, une absence ou un empêchement du maire pour déléguer, ce qui est souvent hypocrite pour les mariages homosexuels. » En tout, ceux-ci ont été célébrés dans 2 900 communes, dont un quart dans des villes de plus de 200 000 habitants (contre 9 % des mariages hétérosexuels). En revanche, note l’Insee, la part des mariages célébrés dans les communes de moins de 2 000 habitants est la même, que le couple soit de même sexe ou non (un quart des mariages).
Ces premières données seront-elles confirmées dans les années à venir? La plupart des observateurs pronostiquent un ralentissement du nombre de mariages. Les exemples étrangers montrent plutôt une stabilité de la part des mariages homosexuels dans l’ensemble des unions: près de 5 % en Belgique depuis 2004 et autour de 2 % en Espagne depuis 2006. En France, on peut aussi observer que 7 000 à 9 000 pactes civils de solidarité (pacs) sont conclus chaque année entre couples homosexuels, ce qui représente près de 5 % de ces contrats.
Or, parce qu’il ouvre le droit à l’adoption, le mariage sera probablement davantage choisi que le pacs par les couples homosexuels vivant avec des enfants ou souhaitant le faire. « En un an, j’ai reçu plus d’une centaine de demandes d’adoptions intrafamiliales venant essentiellement de couples de femmes dont l’une a eu un enfant par PMA à l’étranger et qui souhaitent que la conjointe puisse adopter », explique Caroline Mécary, avocate et militante des droits des homosexuels. L’Institut national d’études démographiques (Ined) estime aujourd’hui le nombre d’enfants vivant dans des familles homoparentales entre 25 000 et 40 000. « La vérité est sûrement bien supérieure, d’autant que les jeunes couples d’homosexuels envisagent beaucoup plus leur vie avec des enfants que les générations précédentes », observe Éric Garnier.
L’ouverture de la PMA et de la GPA continuera ainsi d’être, dans les années à venir, une revendication des couples homosexuels… qui rencontreront alors des résistances farouches. « Pour le moment, le gouvernement semble reculer sur ces points mais nous restons vigilants et prêts à nous mobiliser », expliquait récemment Ludovine de La Rochère, la présidente de « La manif pour tous ». L’organisation pourra-t-elle de nouveau mobiliser largement? « Certes, le mouvement s’est divisé et rétréci depuis le vote de la loi, mais il ne faut pas sous-estimer la prise de conscience qui s’est opérée dans la société française, bien au-delà du mouvement en lui-même , répond le député UMP Philippe Gosselin. Sur certains sujets, les Français ont compris qu’il faut se méfier des évidences. »