L’accès aux origines doit être garanti à tous les enfants conçus par don

Cent personnes conçues par PMA avec don de gamètes, réunies par l’association PMAnonyme, demandent que les familles issues de don soient reconnues comme les autres familles que les parents soient de sexe différent ou non et que leur soit désormais autorisé l’accès aux origines. Un appel partagé par 150 personnalités, dont la sociologue Irène Théry, le psychiatre Serge Hefez et l’historien Pierre Rosanvallon

l’association PMAnonyme Irène Théry, Serge Hefez Pierre Rosanvallon

Autrefois, un seul modèle familial était reconnu : le trio père-mère-enfant, fondé sur le mariage et la procréation du couple. Tout ce qui s’en écartait était pointé du doigt. Ainsi, en cas d’adoption, pour être une famille « comme les autres » et protéger l’enfant, il n’était pas rare qu’on préfère ne pas lui dire qu’il avait été adopté.

Depuis, la société a évolué. La croyance en un modèle unique de famille n’a pas disparu, mais elle est devenue minoritaire. On ne considère plus que le seul « vrai » parent est le parent biologique ou celui qui passe pour tel. L’adoption n’est plus cachée, mais au contraire valorisée comme une façon à part entière de faire une famille. Et l’enfant adopté qui souhaite connaître ses origines peut compter en général sur le soutien de ses parents et des institutions.

Mais il reste un domaine où le droit français demeure figé dans l’ancienne logique : la procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur, instituée il y a un demi-siècle. Le recours au sperme d’un donneur était alors considéré par beaucoup comme un acte immoral, introduisant un « enfant adultérin » dans la famille. Les médecins qui ont bravé ces préjugés et créé, dans les années 1970, les premières banques de sperme ont pensé que le secret s’imposait pour protéger chacun. Il fallait à tout prix permettre aux parents de passer pour les deux géniteurs. Le donneur, qu’on se représentait comme un rival potentiel du père, devait être effacé. La plupart pensaient même que, pour le bien de l’enfant, il fallait prescrire aux parents le silence : « Surtout ne lui dites rien. »

Un anonymat perpétuel

Vingt ans plus tard, les premières lois de bioéthique (1994) ont édicté une règle fondamentale : aucune filiation ne peut être établie entre l’enfant et le donneur. Mais, parallèlement, elles ont renforcé le secret. En définissant toute PMA comme un « traitement » de l’infertilité pathologique alors même que le don ne soigne rien , ces lois ont simultanément réservé le don aux seuls couples hétérosexuels (ce que d’autres pays n’ont jamais eu l’idée de faire), organisé le subterfuge pour que l’enfant ne se doute jamais de rien, et fait disparaître donneurs et donneuses dans un anonymat perpétuel.

Nous mesurons aujourd’hui les problèmes causés par ces bonnes intentions. Pensant protéger ces familles, on a involontairement contribué à un insidieux stigmate : celui qui vient de l’intolérance sociale. Car le recours au don n’a rien de honteux ! Ce qui le rend honteux, c’est uniquement que la société le cache à l’enfant comme si c’était « moins bien » de faire une famille grâce à un tiers donneur.

Les parents enfermés dans les secrets de famille ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour en sortir. Quant aux enfants, ils subissent un véritable mensonge d’Etat sur leur histoire personnelle. Et quand ils connaissent leur mode de conception, ils se heurtent à la déshumanisation du don : le donneur n’aura jamais pour eux ni nom ni visage, alors même que son identité est parfaitement connue de l’institution médicale et conservée dans une armoire forte.

Mais l’évolution est là. De nombreux pays ont transformé leur droit pour permettre aux enfants conçus par don d’accéder à leurs origines (Suède, Suisse, Autriche, Australie, Nouvelle-Zélande, Islande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Finlande, Danemark, Irlande, Allemagne, Portugal, etc.). Chez nous aussi, la majorité des parents veut assumer le don. Les professionnels les y incitent depuis longtemps.

Enfin, la première génération de personnes conçues par don sort de l’ombre et revendique avec force la fierté d’être soi. Elle défend ses parents, sa famille, et demande le droit de pouvoir connaître l’identité du donneur ou de la donneuse, qu’elle n’a jamais pris pour un parent. C’est le moment pour la France de réformer son modèle bioéthique. Un Etat qui organise le don ne peut pas maintenir les enfants qui en naissent dans un dispositif occultant délibérément leur histoire. De surcroît, empêcher leur accès aux antécédents médicaux du donneur peut les priver de diagnostics et traitements indispensables.

C’est pourquoi nous lançons un appel.

Nous, personnes conçues par don, parents ayant eu recours au don, donneurs et donneuses de gamètes, proches et amis de familles issues de don tant homoparentales qu’hétéroparentales; médecins et biologistes spécialistes de PMA, cliniciens psy accompagnant ces familles; avocats et magistrats, juristes, philosophes et éthiciens; démographes, sociologues et anthropologues; responsables politiques et acteurs associatifs, citoyennes et citoyens, tous attachés aux valeurs familiales contemporaines, nous disons : la France doit rejoindre les pays qui ont su accompagner le changement social, et donner la priorité aux droits de l’enfant.

Nous demandons que, désormais, l’accès aux origines personnellessoit garanti à tous les enfants conçus par don, comme le recommande le Conseil de l’Europe. A leur majorité, s’ils le souhaitent, ils doivent pouvoir connaître l’identité de leur donneur.

Nous refusons que la loi instaure un « double guichet » (levée possible de l’anonymat uniquement sur consentement du donneur) qui ne garantit pas l’égalité entre les enfants et a été critiqué par le Comité consultatif national d’éthique (avis n° 90).

Nous demandons, pour les dons antérieurs à la nouvelle loi, la mise en place d’un registre volontairepermettant aux anciens donneurs et donneuses et aux personnes conçues par don qui le souhaitent de transmettre des informations.

La possibilité du choix

Ces demandes sont à la fois fondamentales et raisonnables. Elles ne divisent pas les enfants conçus par don : souhaiter ou non connaître leurs origines est leur entière liberté, mais la possibilité de ce choix doit être assurée à tous. Elles confortent les parents dans leur statut parental : un donneur est un donneur, rien d’autre. Elles ne menacent pas la vie privée des donneurs : le droit à l’information n’est pas un droit à la rencontre, et si celle-ci est souhaitée, un organisme médiateur devrait l’accompagner.

Enfin, l’expérience des autres pays doit rassurer les inquiets : l’accès aux origines ne produit aucune chute des dons. Le Royaume-Uni a même enregistré une augmentation de ceux-ci après sa réforme, en 2005. Il n’entraîne aucune augmentation du secret sur le mode de conception : la Suède, première à avoir levé l’anonymat des dons dès 1984, est le pays où les parents informent le plus leurs enfants. Les pays ayant choisi cette voie de justice, de responsabilité et de fierté ne cessent de s’en féliciter. Il est temps pour nous de les rejoindre.

Plaçons les droits de l’enfant au coeur du modèle bioéthique français.

Note(s) :
Parmi les soutiens de l’appel : Michèle André, ancienne ministre; Roselyne Bachelot, ancienne ministre; Régine Barthélémy, avocate, membre du bureau du Conseil national des barreaux; Dominique Bertinotti, ancienne ministre; Vincent Brès, président de l’association PMAnonyme;Jérôme Courduriès, anthropologue, maître de conférences à l’université Toulouse-Jean-Jaurès; Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, anthropologue; Anne-Sophie Duperray, cofondatrice de l’association Mam’enSolo; Valérie Depadt, juriste, conseillère à l’Espace éthique/Ile-de-France;Annie Ernaux, écrivaine; Muriel Flis-Trèves, psychiatre-psychanalyste;Véronique Fournier, médecin, responsable du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin; Maurice Godelier, anthropologue, médaille d’or CNRS; Martine Gross, sociologue au CNRS; Michael Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction, hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine); Serge Hefez, psychiatre-psychanalyste;Anne-Marie Leroyer, professeure de droit à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne;Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris;Alain Milon, sénateur;Israël Nisand, gynécologue obstétricien, fondateur du Forum européen de bioéthique; François Olivennes, gynécologue-obstétricien; Thierry Pech, directeur général de Terra Nova;Dominique Remy-Granger, magistrate, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme;Laurence Roques, avocate au barreau de Créteil (Val-de-Marne); Pierre Rosanvallon, historien, professeur au Collège de France; Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse;Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’EHESS; Laurent Toulemon, démographe, directeur de recherche à l’INED;Jean-Louis Touraine, député; Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales; Laurence Vanceunebrock-Mialon, députée; Dominique Versini, ancienne Défenseuse des enfants.